Communautés
juives d'Alsace
en Zone Sud
1940 : installation des Juifs d'Alsace en Haute-Vienne et en Indre
Archives de Rose Rubinstein (née Hochner)
Documents communiqués par Isidore Rubinstein


Rose Hochner (1921-2016) est née à Tarnow en Pologne. Elle est la fille d’Isidore Hochner et de Nécha, née Glasberg. La famille émigre en France et s’installe à Nancy.
Contrairement aux départements d’Alsace et de Moselle, Nancy n’est pas évacuée en 1939, mais les Hochner, sentant les menaces qui pèsent sur les Juifs, décident de se réfugier à Limoges au printemps 1940. Ils ont choisi cette destination parce que le frère de Nécha et son épouse ont été évacués de Strasbourg et se trouvent déjà dans cette ville.

Abraham Deutsch, rabbin de Bischheim, est venu s’établir à Limoges en novembre 1939. Il sera, pendant cinq ans, l’âme et le moteur de ces réfugiés de Strasbourg et d’Alsace et fera de Limoges une communauté modèle. C’est lui qui sera à la source de la création de toutes les institutions juives de cette "Communauté de Strasbourg-Limoges". De plus il aura le souci constant de maintenir une bonne entente entre les Alsaciens, les familles "indigènes" qui se trouvaient déjà dans la ville avant l’arrivée des évacués (1), ainsi qu’entre les Juifs d’origine "française" ou bien les "polonais", dont fait partie la famille de Rose.

Vraisemblablement, Rose Hochner entre au service du rabbin Deutsch en tant que secrétaire dès son arrivée à Limoges. Les documents que nous présentons ci-dessous, nous ont été communiqués par son fils, Isidore Rubinstein, qui les a retrouvés après le décès de sa mère. Ils offrent une image détaillée de la naissance de cette communauté et des communes environnantes où sont réfugiés des Juifs en 1940.

Rapports mensuels du rabbin Deutsch
Il n’est pas dit à qui ces rapports ont été adressés, mais on peut supposer que leur destinataire était le Consistoire central.

1er Rapport mensuel – 6 décembre 1939
  1. Communauté de Limoges
    Création d’un comité d’organisation qui comprend les familles juives autochtones.
    Institution d’offices journaliers et de cours de judaïsme. Mise en place de leçons pour les élèves juifs des écoles primaires.
    Prochaine ouverture d’une boucherie juive (Buchinger).
    Le service social fonctionne de manière exemplaire.
  2. Dans le département de la Haute-Vienne
    Liste des localités où se trouvent des évacués auxquels le rabbin a rendu visite.
    Conditions difficiles de logement des évacués qui demandent à rester entre Juifs (au lieu d’être dispersé dans plusieurs communes).
    Lettre des préfets de l’Indre et de la Haute-Vienne : tous deux acceptent de réunir dans la même localité les israélites qui résident dans le département. Lettre de M. Altorffer, directeur des Cultes, qui lui répond dans le même sens.
  3. Problèmes divers
    Visite du camp de rassemblement pour étrangers à Limoges.
    Les internés dans les camps déclarent vouloir servir la France.
    Suggestion : éditer une feuille de liaison hebdomadaire.
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2ème Rapport mensuel – 6 janvier 1940
  1. Communauté de Limoges
    Progrès dans la vie communale juive. La communauté compte environ 150 familles.
    La boucherie est ouverte et le bain rituel en cours de construction.
    Problème de la surveillance des adolescents isolés et création d’un internat.
    Les cours de judaïsme au lycée remportent un franc succès, de même que la fête de Hanoucca.
    Création d’une société de dames.
  2. Dans le département de la Haute-Vienne
    Liste complète des centres d’accueils visités par le rabbin Deutsch et liste nominative des familles qui y résident.
    Visite du 4 janvier 1940 aux familles de la communauté de Hatten repliée à Châteauponsac.
    Peu de progrès dans l’idée du regroupement.
  3. Dans le département de l’Indre
    On trouve 45 familles bien installées à La Châtre, pour la plupart d’origine polonaise, mais il y a aussi des Juifs d’origine tchèques ou hongroise. Chacun ayant son rite, il est difficile de les mettre d’accord.
    Mlle Paulette Weil a été nommée assistante sociale auprès des évacués de l’Indre.
  4. Problèmes divers
    La question du périodique juif est en voie de réalisation.
    Le problème des camps d’internement reste entier.
    ANNEXE :
    Liste des populations juives repliées avec indication de leur commune d’origine et de leur commune d’accueil.
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4ème Rapport mensuel – 5 mars 1940 (2)
  1. Limoges
    Difficultés à trouver une salle pour y célébrer les offices.
    Difficultés pour l’enseignement religieux qui ne fait pas comme en Alsace, partie intégrante de l’enseignement normal.
    Problème angoissant : la présence de nombreux réfugiés d’Allemagne à Limoges, et du manque de crédits pour les aider.
    Problèmes dus au rationnement de la viande décrété par le gouvernement.
  2. Dans les départements
    Le rabbin a visité dans l’espace de quatre mois 49 communes avec une population juive de 185 familles.
    Difficultés à "découvrir" des familles juives isolées.
  3. Divers
    Chargé du s’occuper du camp de Rassemblement de la Bracenne, le rabbin tente de faire libérer les vieillards.
    Le regroupement des Juifs isolés dans diverses communes est en bonne voie.
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5ème Rapport mensuel – 5 mars 1940
  1. Limoges
    Stabilisation de la communauté israélite qui se compose de 150 familles.
    Organisation avec grand succès d’un Séder public auquel assistent 140 personnes.
    Création d’un "Repas Familial" pour les plus défavorisés.
    Création d’un Bureau de placement.
    La jeunesse s’est constituée en un mouvement nommé Héatid « l’Avenir » qui comprend plus de 80 membres.
    Le bain rituel sera prochainement ouvert au public.
  2. Départements
    Le regroupement est enfin réalisé dans la commune de St-Jouvent, à 16 km de Limoges.
    Décès et enterrements à St-Jouvent.
    A l’entrée de la fête de Pessach, tous les deux départements ont eu leurs pains azymes.
    L’absence d’un journal juif en langue allemande est à déplorer.
    La communauté de la Châtre va avoir incessamment son rabbin : M. Jakobovits, rabbin de Strasbourg de rite polonais.
    Melle Fleischer vient d’être chargée d’un cours d’enseignement religieux à St-Junien.
    La réquisition civile bat son plein, mais les réquisitions se font d’une manière assez inconsidérée.
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Documents divers
Fragment d’un document non signé et non daté    [Lire le document]
(sans doute écrit par le rabbin Deutsch, début 1940)
"Le nouveau gouvernement conduira l’Etat selon la conception paysanne, c’est-à-dire prudent et sage, des vrais intérêts de ses compatriotes, comme il le fait savoir."
La jeunesse juive doit se vouer à l’agriculture, notamment dans les régions dépeuplées du Sud-Ouest. Il faut pour cela créer des fermes écoles (3).
De plus, l’Industrie française a besoin d’ouvriers de précisions, et la jeunesse juive doit y trouver un métier approprié et lucratif. "Le judaïsme doit y aider avec tous ses moyens" .

Circulaire non datée du Comité des Œuvres d’Aide Sociale Israélite    [Lire le document]
Signée par les rabbins Marx (Périgueux) et Deutsch (Limoges), elle fait appel aux "Amis, Compatriotes, Coreligionnaires" à soutenir financièrement les populations juives repliées.
A la fin de la circulaire, figurent les noms de tous les membres du Comité.

Lettre pastorale du rabbin Deutsch pour Pessa’h 1940    [Lire le document]
écrite en allemand.

Lettre adressée au Garde des Sceaux de la Justice (24 juillet 1940)    [Lire le document]
Signée par les présidents des consistoires israélites du Bas-Rhin et du Haut-Rhin repliés à Vichy, cette lettre attire l’attention du ministre sur la situation catastrophique des Juifs d’Alsace qui étaient demeurés sur place au moment de l’évacuation, et qui viennent d’être expulsés par les autorités allemandes (4).

Lettre pastorale d’Isaïe Schwartz, grand rabbin de France (29 septembre 1940)    [Lire le document]
à l’occasion de Rosh Hashana, le nouvel an.

Tableau provisoire des ressorts rabbiniques de la France métropolitaine (zone non occupée) à la date du 1er janvier 1942    [Lire le document]

Notes

  1. Les familles juives qui résident à Limoges avant l'arrivée des repliés venus d'Alsace sont pour la plupart d'origine turque, mais on y trouve aussi quelques Juifs alsaciens.
  2. Le troisième Rapport n'a pas été retrouvé.
  3. Le mouvement des Eclaireurs Israélites de France va effectivement créer deux fermes écoles : à Lautrec et à Taluyers.
  4. Lire à ce propos les articles sur La dernière expulsion des Juifs d'Alsace, 15 juillet 1940.
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