Marguerite Cohn
De Ingwiller à Jérusalem, une vie bien remplie.
Vendredi 28 juin 2002, avant-hier à Nataf, petite localité située
à une demi-heure de Jérusalem, famille et amis célébraient
le 80ème anniversaire de Margot Cohn. Daniel, son fils et sa belle-fille
Hanah, habitent ce joli village avec leurs trois enfants. Margot a l'habitude
de s'y rendre tous les quinze jours pour y passer le Shabath. C'est une grande
dame dont une des qualités majeures est la modestie, et elle n'avait
pas du tout imaginé ce que lui préparaient famille et amis.
Quand sa belle-fille l'a emmenée en voiture à 13h30, elle a
eu la joie, la surprise et la grosse émotion de découvrir d'abord
son fils Elie, arrivé quelques heures avant de Los Angeles, puis sa
fille Ruthi qui habite Haïfa, et plein d'amis d'antan et de maintenant,
y compris d' "enfants" dont elle s'était occupée pendant
la guerre.
Nous étions tous installés sur une prairie superbement ombragée,
et après nous être régalés de salades et de quiches,
nous avons eu le plaisir de voir défiler des épisodes de la
vie de Margot (née Marguerite Kahn). Ce fut d'abord le tour de Marthe
Heymann, ancienne camarade de jardin d'enfant et d'école, qui a su
faire revivre avec simplicité et chaleur la vie juive de ces petites
localités où des instituteurs dévoués et compétents
ont su réparer des classes de 25 enfants de 6 à 12 ans aux étapes
suivantes, où les élèves se rendaient à Bouxwiller,
en train la semaine, à pied le Shabath, parcourant les sept kilomètres
qui séparaient les deux petites villes.
Puis la guerre survenant, les Juifs d'Ingwiller sont expulsés par les
Allemands ; Margot, qui est membre du Mouvement de jeunesse Yechouroun, se
réfugie dans
la région de Limoges avec sa famille.
En 1942 débutent les rafles de jeunes étrangers, et l'OSE
demande aux moniteurs de colonies de vacances de laisser ces dernières
ouvertes. C'est ainsi que Margot commence son travail auprès des adolescents
de la région de Limoges. L'un d'eux, le professeur Meno Horowitz venu
de Tel Aviv, raconte comment dès cette période sombre de 1942-43,
alors qu'il était placé en internat à Limoges, les visites
de Margot étaient pour lui comme l'apparition d'une bonne et belle
fée. Car Margot, n'en déplaise à sa modestie, était
une superbe jeune fille, et c'est une octogénaire droite et belle,
bonne marcheuse, à qui on ne donne pas son âge.
Puis, dès 1943, elle "travaille" comme résistance,
assistante sociale dans la région de Lyon, visite les enfants placés
dans des familles de l'Ain, découvre la misère de la communauté
de Saint-Fond. Elle fait partie du réseau Garel et de l'OSE, prend
des initiatives personnelles. Et au moment de la Libération, le 2 septembre
1944, elle retire les enfants des familles où ils étaient placés
pour qu'ils passent Rosh Hashana dans des familles juives de Lyon, puis dans
un home à Oublins avec Gaby Wolf. Deux mois après, ceux-ci seront
placés dans la maison des Hirondelles, ouverte par les Samuel mandatés
par l'OSE.
Mais laissons la période de la guerre et de l'immédiat après-guerre
: Margot a épousé le directeur pédagogique de l'OSE ;
ensemble ils maintiennent et développent leurs relations avec les jeunes
adolescents, et pour certains d'entre eux, ils deviennent réellement
des substituts de parents.
En 1950, ils montent en Israël avec leurs trois petits enfants. Malgré
la modestie de leur logement, leur maison est ouverte à tous, autant
aux amis strasbourgeois qui visitent Israël en touristes, qu'aux étudiants
immigrés dans le pays sans leurs parents, qui trouvent une table accueillante
et une ambiance chaleureuse.
Quelques années plus tard, Margot devient la secrétaire de Martin
Buber, et au cours des années 60, bibliothécaire à la
Bibliothèque nationale universitaire où elle travaille depuis
lors, aussi bizarre que cela puisse paraître : en effet, depuis sa retraite,
elle a continué à travailler au même rythme. Sont témoins
et présents là, à sa fête, son patron et ses collègues
avec certains desquels elle s'est liée d'une amitié très
solide et chaleureuse. Son patron témoigne avec humour de son assiduité
au travail.
Sont là également des amis avec lesquels Margot a voyagé
ces dernières années en Chine, sur la Route de la Soie etc..
Bref, ce qui apparaît, c'est qu'à toutes les étapes de
sa vie, malgré des épreuves dures, puisque depuis presque trente
ans elle est veuve, elle a su réunir autour d'elle des gens qui l'apprécient,
l'admirent, et qui l'aiment : nous sommes de ceux-là et lui souhaitons
de continuer sur sa lancée active, tonique de grand-mère aimée,
d'amie d'antan et d'aujourd'hui, et de planifier encore de beaux voyages.
En ces jours si éprouvants, où l'on ne perçoit pas de
lumière au bout du tunnel, les rencontres de ce genre sont d'un réconfort
appréciable.
Margot Cohn est décédée le 1er mars 2016 à Jérusalem (n.d.l.r.).