Sociologie des élèves juifs reçus
à l'X, 1794 – 1927
par Félix PEREZ
Auteur de « Talmudiques, Thora et Sciences »
Trésorier de l'AJECLAP
Secrétaire Général du Bné
Akiva de France
L'étude a pour but
d'analyser la rapide intégration des juifs de France après la
Révolution, en mesurant leur réussite croissante à l'un
des fleurons de l'éducation française, l'École Polytechnique
(ou « l'X »).
À partir des riches fichiers historiques de l'X, nous avons recensé
sur la période 1794-1927 les élèves juifs d'après
les critères des noms et prénoms des parents (lorsque les renseignements
ne laissaient aucun doute).
La première partie de l'exposé décrit
quelques lignées juives de l'X :
La seconde partie est quantitative :
- Le nombre d'élèves juifs reçus à l'X
évolue d'une moyenne de un tous les deux ans vers un nombre
de plus de dix par an après 1900. Sur des tranches de dix ans, la
proportion des juifs par promotion augmente linéairement de 0,25%
(deux fois plus que la proportion des juifs de France) à 3,5 à
4% en fin de période (soit une surreprésentation de 12 à
14). Cette présence croissante des juifs de France à l'X
illustre ainsi leur grand intérêt pour cette institution et
leur adaptation progressive à ses exigences culturelles et scientifiques.
- Le classement moyen des élèves juifs à l'entrée
est dans la norme mais avec un écart type supérieur à
la moyenne. Leur taux de réussite dans les vingt premiers de chaque
promotion est quant à lui supérieur de 20 à 50% à
la normale après 1850.
Au départ, ce sont essentiellement les juifs de Bordeaux ou "du
Pape" qui entrent à l'X.
Entre 1840 et 1910, 70 à 80% reçus ont des parents originaires
d'Alsace ou de Lorraine, avant une baisse de ce pourcentage consécutive
à l'arrivée progressive, visible sur les listes d'entrée
à l'X, des juifs d'Europe naturalisés ou des juifs
d'Afrique du Nord devenus français.
Le lieu de résidence principale des reçus évolue du Nord
et de l'Est de la France vers l'actuelle Île-de-France,
région qui devient prépondérante après 1870.
L'origine sociale est constituée d'une majorité
de fils de rentiers, de propriétaires ou de négociants jusqu'en
1870, puis de fils de salariés ou de professions intellectuelles, avec
un nombre croissant d'enfants d'employés.
Les juifs qui entrent à
l'X gardent un attachement à l'institution. En effet, après
1870 :
- on compte 10% des reçus qui ont leur père à l'X,
- 2% leur grand père,
- 20% un frère.
- Ils ont plus de 20% de chance d'avoir eux-mêmes un fils à l'X
- et 10% un petit-fils.
Cette étude montre ainsi comment une communauté, plutôt
handicapée au départ, peut réussir progressivement à
s'intégrer au plus haut niveau du tissu national par le goût,
l'ambition et l'effort ; leçon à méditer
de nos jours…
Elle illustre également la possibilité d'utiliser de nouvelles
sources généalogiques ou sociologiques et permet de faire revivre
des moments de l'histoire de France ou de sagas familiales juives.
Quelques cas intéressants
Les Dreyfus à l'X :
- Le Capitaine Alfred
Dreyfus entré en 1878 avec quatre condisciples juifs dont Henri
Meyer, Gaston Moch et deux fils de rabbins (!) : Lucien, fils du Rabbin
Salomon Lévy en 1878 et Alfred fils du Grand Rabbin Benjamin Lipman
- Autres Dreyfus : Louis (61), Paul (73), Silvain (81), Jules (82), Pierre
(88) et son frère Louis (91), Simon (89), Georges (94),...
Quelques autre X fils de rabbins :
- Gaston Blum (X 1872) né à Fontainebleau fils d'Emma
Lévy et du Rabbin Alexandre Blum
- Aron Alexis en 1897 fils du Rabbin Michel Alexis
- Léon Debré (1905) fils du Rabbin
Simon Debré (prénom officiel Jacques)
- Lévi Henri (1907) fils du Rabbin
Israël Lévi, frère de Robert (1914), père
de Philippe (1950), grand-père de Daniel (75)
- Edmond Dreyfus (X1908) fils du Grand Rabbin de Paris Jacques Dreyfus et
père de Gérard (X 1942)
- Isaac Heyneman (1913) fils du Rabbin David Heyneman
La famille Sée (descendance
de Meyer Sée, marchand à Ribeauvillé)
:
Famille bien connue des généalogistes juifs alsaciens
- Un petit-fils, Israël Gabriel, a pour fils Léopold
Sée, premier général juif en 1849 et père
du polytechnicien Pierre André Raymond (X 1895).
- Dans la même promotion X 1895, un autre Sée dont le lien
de famille n'est pas connu : Alexandre, fils de Paul Sée (ingénieur
civil) et de Pauline Hatzfeld.
- Un autre petit-fils, Gerson Sée (agent d'affaires), a pour fils
le député Camille Sée,
père de la Loi Sée (1879) instaurant l'enseignement secondaire
des jeunes filles et frère de Achille Sée (X 1860)
- Un fils d'Henriette Sée et Henoch Lévy à Ribeauvillé
: Maurice Lévy (X 1856), hydrodynamicien réputé.
- Un petit-fils, Benjamin (brasseur), a pour fils Jacques Daniel polytechnicien
(X 1886), lui-même beau-père de Maxime Roger Lévisalles
(X 1919)
Autres cas intéressants :
Les premiers Cohen et Lévy :
- Lévy : Ferstel (1807) né à Mutzig
d'un père fripier,
- Salvador (1832), Alvares (1843), Théodore (1856), son fils Paul
(1887) son frère Adrien (1872),
- Maurice (1856), Adolphe (1857) et Auguste (1862) célèbre
minéralogiste,...
- Cahen : Salomon (1807),
- Lyon (1831) et son frère Mayer (1844),
- Daniel (1857), Alfred (1860), Charles (1869) et Urbain (1875) fils de
ministre officiant,...
- Cohen : Maurice (1843) et Benjamin (1872),...
Les Terquem :
- Olry (1801) et ses fils Charles (1844) et Félix (1859),
- Edmond Louis (1873), son fils Pierre Edmond (1914), son neveu Olry Paul
(1899) avec ses cousins Emile (1890) et Olry Albert (1881),...
Jules Moch et famille :
- Gaston (X 1878) dit « de religion catholique » (fils de Jules
et de Levi de Gressen), père du célèbre Jules Moch
(X 1912) et de François Moch (1918)
Autres cas :
- Enos Narcisse fils d'Abraham Enos et de Régine Sasportès
en 1876 né à Alger (le premier) et dont le fils Edmond entre
à l'X en 1911
- Paul Hadamard en 1876 fils de Jean Hatzfeld (X 1834) et beau-frère
du Capitaine Dreyfus
- Cerf Henri (1872) et son frère Julien Napoléon (!!) en
1879 dit de religion catholique, nés de Joel Cerf receveur des impôts
et de Henriette Woussen
- René Kahn (X 1874) fils d'Abraham Kahn et de Carolie Isidore.
Dit de « religion catholique ».
- Lucien Lévy examinateur à l'X pour sa lignée ascendante
et descendante (!) : petit fils de l'X Samuel Wolff et père du Maître
des probabilités Paul Lévy (X 1904), grand-père de
JC Paul Lévy (X 37)
- Levi Robert Lazare (X1914), père de Bernard Levi (Xbis 1941),
frère de Henri Levi (1907) et oncle de Philippe Levi (1950)
Les Bloch
- Le premier Bloch recensé à l'X est Nicolas en 1853.
- Il est suivi de Léon en 1871 et son frère Jules en 1874
nés à Rouen dont le père (né vers 1820) est
déjà officier
- Richard, né à Auxerre, entre en 1872 et ses fils Marcel
en 1901 et Pierre en 1913, ainsi que son beau-frère Mirtyl Lévy
en 1875. Son père est tailleur.
- David entre à l'X en 1877 sa mère est aussi une Bloch ;
il est né à Sultz et son père est propriétaire.
- Emmanuel en 1882 avec son cousin Emile en 1893. Son père est Cerf
Bloch et a épousé une juive du Comtat, Milhaud, par qui naît
le lien de cousinage.
- Aaron entre en 1887, né à Paris d'un père (Nathan)
industriel
- Georges et Emile en 1893, ce dernier mort à Auschwitz
- Abraham en 1895, Léon en 1896 né à Paris d'un père
médecin
- Marcel X 1901 fils de Richard (1876) avec son frère Pierre en
1913.
- Darius X 1901 a un frère très célèbre, Marcel
né Bloch, et tous deux sont devenus Dassault (Marcel n'a eu que…
SupAéro). Leur père est Adolphe Bloch médecin à
Paris et sa mère connue des généalogistes est Noémie
Allatini.
- Roger et Marcel en 1911,
- les frères Lucien et Jacques entrent la même année
en 1912, suivis de Pierre en 1913 frère de Marcel (X1901), …
et de nombreux autres à partir de 1923.
Pourcentage d'élèves juifs reçus à
l'X
Nombre d'élèves reçus à
l'X
(en
Par tranche moyenne de 10 ans, nombre de juifs reçus ramené
à la taille de la promotion
- Croissance régulière et quasi linéaire du pourcentage
de juifs reçus pour atteindre 4%.
- On note des pics à 6 ou 10% après 1890.
- Les juifs de France sont attirés par l'entrée dans
le service public, les métiers d'ingénieur, la norme
de réussite.
- Ils s'adaptent parfaitement aux canons de préparation et
réussissent leur intégration, ;algré un contexte
assez antisémite
- A méditer par les populations qui n'y arrivent pas aujourd'hui
!
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Origine géographique des élèves juifs reçus
Pourcentage d'élèves juifs dont un des
parents est originaire d'Alsace-Lorraine
- Les juifs non originaires d'Alsace-Lorraine sont majoritaires les
premières années.
- Les X juifs originaires d'Alsace-Lorraine représentent l'essentiel
des reçus dès 1850, y compris après 1870 du fait
de leur importante immigration/naturalisation.
C'est le phénomène le plus marquant de l'étude.
- On recense des élèves juifs français d'origine
étrangère dès les dernières années
de la période (Algérie, Europe).
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