La synagogue située rue Haute, a été
construite en 1787. C'est l'une des plus anciennes synagogues du Bas-Rhin
existant de nos jours. Mutzig a été le siège d'un rabbinat jusqu'en 1915. C'est là que se trouvait le Beith Dîn (tribunal rabbinique) des Juifs de l'Evêché de Strasbourg au 18ème siècle. |
La communauté juive de Mutzig s'est constituée du 17ème au 19ème siècle même si la présence de juifs y est relevée dès le 13ème siècle. Son déclin s'est amorcé vers le début du 20ème siècle.
Dès 1308, l'Empereur Henri VII fit abandon de ses juifs à l'Evêque de Strasbourg. C'est ainsi que pendant le moyen-âge et jusqu'à la fin du 18ème siècle, Mutzig dépendait de l'Evêché de Strasbourg. Le 14ème siècle fut particulièrement tragique pour les juifs d'Alsace. A Mutzig, en 1328 des juifs furent torturés et conduits au bûcher en raison d'une accusation d'un meurtre rituel sur un enfant et des autodafés furent perpétrés. En 1330 trois juifs furent conduits au supplice de la roue pour le même motif. Ces accusations n'avaient bien évidemment aucun fondement mais elle permettait d'exprimer la haine des juifs qui se propageait partout.
C'est l'époque où le tristement célèbre Armleder sévissait dans toute l'Alsace avec son armée de brutes qui massacraient tous les juifs qu'ils trouvaient sur leur chemin pour déjà à l'époque rendre l'Alsace "Judenrein". Puis ce fut la période tragique de la Peste Noire au cours de laquelle les juifs furent à nouveau accusés faussement de tous les maux et conduits aux bûchers par milliers dans toute la région.
Ce n'est qu'au cours de la deuxième moitié du 17ème siècle que des juifs revinrent à Mutzig après la guerre de Trente Ans. En 1680, on y comptait douze chefs de familles juives, soit une cinquantaine de personnes, et à cette époque, la communauté disposait déjà, c'était assez rare à l'époque, d'une synagogue avec bains, cuisine, un four pour cuire le pain et une cave. Elle est d'ailleurs mentionnée sur un plan de la ville datant de 1748 et se situait rue du Commandant Clerc.
La synagogue aujourd'hui |
L'école israélite |
Face arrière de la synagogue |
Entrée de la synagogue |
L'oratoire aménagé dans la galerie des femmes après la guerre |
Plainte
Le 23 septembre 1694, la communauté juive déposa une plainte auprès des autorités pour vandalisme. En effet, la porte de la synagogue avait été cassée, les rouleaux de la Torah jetés à terre et déchirés, les taliths déchirés, le tronc cassé et vidé, les bougies volées, des livres et des mappoth déchirés, des bancs cassés à la hache, un chandelier et des cuves brisés ainsi que des vitres ; une "ordure d'homme" a même été découverte au milieu de la synagogue. Un témoin, une jeune fille, a vu deux hommes et plusieurs filles entrer dans la synagogue et elle a vu les deux hommes commettre ces actes de vandalisme et a même précisé que l'un des deux avait coupé les bandes de toiles, les mappoth, avec un "chechmesser" un couteau de shoheth, de sacrificateur. D'autres témoignages sont concordants et les deux hommes sont arrêtés en attendant une décision du Conseil de Régence de Saverne. l'un des accusés s'échappa de sa cellule grâce à des complicités avérées et bien entendu il ne fut pas rattrapé. La Communauté réclama 50 florins pour les dommages causés, elle n'en obtint qu'à peu près la moitié.
Dès 1721, il est fait mention de deux juifs, Meyer et Wolff qui étaient marchands d'immeubles ; en 1723 de deux bouchers, Isaac et Gombert et en 1760 un juif de la commune obtint l'autorisation irrévocable d'héberger chez lui un rabbin et six de ses élèves.Le siège du rabbinat des terres de l'évêché de Strasbourg a été précisément établi à Mutzig en 1762. Auparavant, le rabbin en charge de la communauté résidait à Niedernai. De 1754 à 1762 ce fut le rabbin Joseph Steinhardt qui fut ensuite rabbin de Fürth, puis ce fut le Rabbin Baer décédé en 1771 et enterré à Rosenwiller qui était le cimetière, avec celui de Westhoffen, des juifs de Mutzig.
c'est le Rabbin Leib Elsass qui a exercé sa fonction à Mutzig de 1762 à 1784 et fut à ce titre président du Tribunal rabbinique. Son successeur fut Simon Horschheim jusqu'en 1803. l'un des descendants célèbres de cette véritable lignée de rabbins fut le grand rabbin de France Isaïe Schwartz (1876-1952). Dans la seconde moitié du 18ème siècle la communauté comptait environ 200 personnes et en 1784 il y en avait 307 selon le recensement de cette année-là.
Dans la forêt de Mutzig, se trouve un endroit connu des randonneurs qui s'appelle curieusement "la cabane ou la baraque des juifs" que l'on atteint en empruntant en plus un sentier dénommé "le sentier des juifs" non loin du rocher de Mutzig. Cet endroit a été nommé ainsi, peut-être et c'est une hypothèse, parce que les juifs pouvaient s'y réfugier en cas de manifestations antisémites. Selon une autre hypothèse, il a été nommé ainsi car il pouvait servir aux juifs marchands de bestiaux ou colporteurs, qui partaient très tôt le matin, de faire une pose plus tard pour la prière du matin qui ne peut se faire que lorsqu'il commence à faire jour.
Une nouvelle synagogue
C'est vers 1787 qu'une nouvelle synagogue, une centaine d'années après la première, a été construite à l'initiative d'Aaron Meyer (1710-1795), Préposé Général de la nation juive de 1746 à 1788. Il était banquier et fournisseur des armées comme Moyse Blien de Mutzig en 1743. Aaron Meyer a eu un fils, Lazare Aron qui fut rabbin et qui avait créé une Yeshiva, une célèbre école talmudique, à Rosheim. Aaron Meyer est également enterré au cimetière de Rosenwiller.
Voici quelques éléments concernant la synagogue construite en 1787 : une salle principale carrée, éclairée aujourd'hui par de beaux vitraux du 19ème siècle et occupée en son centre par l'almemor, une tribune où l'officiant accomplissait son service, et par une galerie au premier étage, face à l'Arche Sainte, destinée aux femmes. Le rideau de l'Arche sainte de l'époque est conservé au Musée Alsacien de Strasbourg. De l'extérieur, la construction est du même style que les grandes maisons bourgeoises ; ce qui fait penser à un lieu cultuel, ce sont les fenêtres hautes et les colonnes toscanes de la façade. Elle se trouve rue Haute dans un quartier dénommé "Judehofft", la cour des juifs.
Les rabbins de Mutzig
Succédant au Rabbin Horschheim, le Rabbin Emmanuel "Mennel" Bloch a été nommé rabbin de 1803 à 1805, il était né à Niedernai où il termina sa carrière en 1837. Son successeur fut David Israël Durkheim de 1805 à 1816, date de son décès. Il était né à Durkheim en 1766 et avait épousé la fille du rabbin Horschheim. Il fut le grand-père du sociologue Emile Durkheim et l'arrière grand-père de l'anthopologue Marcel Mauss. l'apogée de la communauté se situe précisément au milieu du 19ème siècle lorsqu'elle comptait environ 320 personnes.
La construction d'une école juive a été réalisée également au milieu du 19ème siècle à côté de la synagogue et elle fermera définitivement en 1922. En 1843, il est relevé que la Communauté avait des difficultés à recruter un instituteur. Toutefois, l'un d'entre eux, un certain Bloch, obtint du Consistoire de Basse-Alsace en 1898 le Prix de la Fondation Fanny Weill qui récompensait les enseignants méritants.
En 1826 et 1827, la communauté fut dirigée par le rabbin Anselme Schoeple-Lévy, né à Rosheim en 1773 et décédé à Haguenau en 1846. Sa famille était originaire de Schoepfloch en Franconie. Avant son passage à Mutzig, il exerça en Suisse et en Allemagne notamment à Ingenheim où l'un de ses élèves fut Alexandre Weill de Schirhoffen. Après Mutzig, il fut rabbin à Fégersheim puis à Haguenau. Il avait épousé Reine, la fille du Rabbin Samuel Buttenwieser, le rabbin de Strasbourg à l'époque.
De 1827 à 1864, le Rabbin Juda Moïse Nathan, né en 1795 à Mutzig où il décéda alors qu'il exerçait encore sa fonction en 1864, exerça sa fonction dans sa ville natale. Il avait épousé Charlotte Durkheim, sœur de Moïse Durkheim, rabbin d'Epinal et fille du Rabbin de Mutzig David Israël Durkheim. Avant sa mort, il fit un legs pour copier un Séfer Torah. Son successeur, de 1864 à 1873, fut Samson Lévy né en 1806 à Bischheim et décédé à Mutzig en 1873. Il avait étudié à Frankfort et à Metz et publia un célèbre manuel pour les écoles juives en 1845, La Source de Vie. En 1859, il avait été rabbin à Constantinople et lorsqu'il vint à Mutzig, il fut remplacé à Constantinople par son fils Sylvain. Il fut nommé officier dans l'ordre de la légion d'honneur en 1869.
Le Rabbin Jacques Schwab, né en 1831 à Wintzenheim, fut nommé à Mutzig en 1873 où il resta jusqu'à son décès en 1883. Ayant étudié à Metz, il fut d'abord rabbin de Rixheim en 1854. En 1882 il n'y avait plus que 154 juifs dans la commune soit la moitié par rapport à 1851 en raison de l'attirance vers de plus grand centre et en raison des conséquences de l'occupation allemande.
Le successeur Jacques Schwab fut le rabbin Aron David Goldstein. Né en 1838 en Slovaquie actuelle (Autriche), il fit ses études à Berlin et devint rabbin à Berne en 1874, à Durmenach en 1880 avant de venir à Mutzig en 1884. Il y resta jusqu'à son décès en 1913 et fut le dernier rabbin de Mutzig puisqu'à cette date le poste fut supprimé. Le Rabbin Goldstein était un grand érudit qui édita une revue hebdomadaire Lectures Israélites pour l'Alsace-Lorraine et la Suisse. En 1899, il fut élevé par le Kaïser Wilhelm II au rang de chevalier dans l'ordre de l'Aigle Rouge, une très haute distinction qui réjouit alors toute la communauté. La nouvelle avait paru dans la presse le second jour de Rosch Hachanah et la communauté fêta le récipiendaire pendant toute l'après-midi tellement cette distinction semblait méritée.
Au 20ème siècle
En 1896, une campagne antisémite s'était développée sous forme d'envois à la population non-juive de lettres anonymes particulièrement virulentes à l'encontre des juifs. Le journal Der Israelit du 2 juillet 1896, s'éleva contre cette campagne inacceptable et honteuse et attribua ces agissements crapuleux à de jeunes écervelés dont la punition relèverait d'une sanctification du nom divin !
En 1900, la commission administrative était composée de MM : Jonas Léon Reiss, Moïse Schwartz, Léon Lévy, Isidore Cahn et Emmanuel Baumann. En 1910, la communauté comptait 107 membres et ce chiffre confirme bien entendu son déclin progressif comme beaucoup d'autres petites communautés d'Alsace. La plupart des juifs étaient de petits artisans, surtout des tailleurs, des bouchers et des tapissiers ou des commerçants exerçant dans différents domaines comme les tissus, les chaussures, les grains et bien entendu les bestiaux. Par la suite d'autres métiers seront exercés comme celui de rabbin, de médecin, de pharmacien, d'huissier. Le plus célèbre enfant de la communauté fut le Général Baumann et la ville a honoré sa mémoire en donnant son nom à l'une de ses rues.
En 1936, il n'y avait plus que 54 personnes, soit moitié moins qu'en 1910 en même pas trente ans.
Pendant l'Occupation, la synagogue, après avoir été pillée et saccagée, fut transformée en garage et atelier de réparation. Les dégâts à l'intérieur furent particulièrement importants et il a fallu recouvrir le magnifique dallage d'origine d'une dalle de ciment. Toutefois, globalement, elle a pu être conservée dans son aspect originel. Le lieu de culte, pour des raisons de commodité, a été installé au premier étage jusque dans les années 1980. La synagogue d'ailleurs est inscrite à l'inventaire supplémentaire des Monuments Historiques et le bâtiment conserve toujours son état d'origine.
Les onze membres de la communauté qui ne revinrent pas des camps de la mort furent : Carmen Bauer, Françoise Bauer, Louise Bauer, René Baruch Bauer, René Baumann, Maurice Bloch, Samuel Block, Andrée Dreyfus, Adèle Lévy, Arnaud Reiss et Salomon Reiss.
Après la Shoah, 36 juifs étaient revenus en 1953, et en 1965, ils étaient encore 33, mais il n'en restait plus que huit en 1986, et quatre en 1997.
Une tradition a été conservée, elle existait même avant 1918, c'est celle de la présence d'un ou de deux juifs au conseil municipal. Dans les années 1960, M. Raymond Strauss a été premierer adjoint de la ville. M. Jean Baumann a été longtemps président de la communauté et M. Norbert Cahn ministre officiant et conseiller municipal. Ce sont ces familles, Baumann et Cahn, qui perpétuent de nos jours la mémoire de cette communauté qui est à l'image de ce judaïsme alsacien rural, au sens noble du terme, et si chaleureux.
Sources principales
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