L'école israélite
Ainsi, lors de la séance extraordinaire du 28 janvier 1835
"convoquée par le Maire en vertu d'une autorisation de M. le Sous-Préfet...à l'Effet de délibérer sur une demande de quelques Israélites de Reichshoffen (42), tendant à obtenir la reconnaissance formelle d'une École Spéciale Communale israélite et par suite un traitement de 200 francs à un Instituteur de leur culte et le logement nécessaire.
Considérant au fait qu'il existe trois Écoles dans la Commune de Reichshoffen, l'une de filles tenue par une Sœur française et l'autre aussi de filles tenue par deux sœurs enseignant l'allemand et une troisième École de Garçons française et allemande tenue par un Instituteur et un aide, Écoles qui ensemble coûtent à la Commune annuellement la somme de deux mille quatre cent cinquante francs....
Suivent le détail des coûts, dont traitement aux deux sœurs 500f., de l'instituteur 600f. (43),... et Prix d'encouragement aux élèves 40f.
Considérant qu'au moyen de ce grand Sacrifice fait par la Commune en faveur de l'instruction primaire, il a été obtenu des résultats avantageux, une amélioration sensible et surtout le premier avantage d'une Instruction absolument gratuite.
Considérant que les Écoles Primaires ... ne sont pas des Écoles religieuses mais qu'elles se bornent à une bonne Instruction primaire...qu'elles sont destinées aux Enfants de tous les habitants de Reichshoffen sans distinction de culte, que conséquemment la demande des Israélites d'avoir une École à part pour eux n'est ni rationnelle, ni dans l'intérêt de l'Instruction même, tendant plutôt à perpétuer dans la jeunesse Israélite cette crasse ignorance, cette intolérance religieuse et la malpropreté du Corps (44) qui la caractérise."
On croit comprendre que le CM refusera la demande pour des raisons essentiellement financières, mais s'égare dans une justification oiseuse. Le rédacteur poursuit :
"car la loi ne peut ni ne doit demander la ruine... et qu'enfin la Commune de Reichshoffen en sacrifiant annuellement la somme de 2450 francs pour l'Instruction primaire a fait plus qu'aucune Commune dans l'arrondissement."
Si l'argument disant que les écoles sont publiques sans distinction de culte pourrait être recevable, les autres raisons invoquées sont triplement spécieuses :
- contestation de la loi ;
- utilisation d'arguments pédagogiques mal compris et qui ne sont pas du ressort du politique ;
- discrimination à la limite du racisme.
Ces arguments témoignent en plus d'une profonde méconnaissance réciproque. Dans une religion juive fondée sur l'éducation, l'enseignement et la pureté de l'esprit et du corps, la "crasse ignorance" est possiblement celle de la langue vernaculaire (d'ailleurs française ou allemande ?), mais certainement pas l'illettrisme en hébreu et en Jedisch. La malpropreté du corps ne peut être totale alors que la religion juive exige des ablutions permanentes (…). Quant à l'intolérance religieuse, elle est pour les deux parties la résultante de mille ans de séparation.
Tout cela pour envelopper un seul motif : le coût qu'il faut justifier devant les électeurs !
Rappelons cependant que nous sommes en 1835, moins de cinquante ans après l'émancipation de 1791, que le "décret infâme" est levé depuis sept ans à peine et que le serment "more judaico" ainsi que l'esclavage sont encore en vigueur.
Toutes les écoles sont confessionnelles et souvent payantes. Leur statut privé ou publics (45) est encore confus comme le démontre le document cité. L'école laïque ne viendra qu'en 1881 avec Jules Ferry. La nouvelle synagogue n'est même pas encore envisagée.
19 mai 1844 - Séance du Conseil municipal |
Le CM, dans sa séance du 28 juillet 1839 réitère à l'unanimité son refus avec les mêmes arguments mais en spécifiant que «si une partie des Enfants israélites ne fréquente pas l'école, l'intolérance est du côté de ces derniers (sic) qui d'ailleurs refusent d'habituer leurs Enfants à la propreté condition exigée pour l'admission aux Écoles".
19 mai 1844 - Séance extraordinaire du CM à la demande du sous-préfet, afin de délibérer sur la demande de la communauté israélite pour obtenir le paiement du loyer de leur l'école spéciale qu'elle vient de créer et le bois de chauffage nécessaire... "Considérant... qu'il est à désirer dans l'intérêt de la vraie civilisation des Israélites (sic) de cette commune qu'ils ne soient pas tenus entre eux dans une école spéciale..."
La communauté israélite écrit au préfet elle aussi, se demandant comment faire pour apprendre "les articles de leur religion" à l'école catholique, qu
"les autorités de Reichshoffen sont indifférentes si les Israélites sont instruits ou non", et présente les coûts de 6 à 8 francs par mois pour trois enfants que de nombreuses familles indigentes ne peuvent pas supporter... Et que les élèves sont entassés dans une chambre.
Signé : Zacharie Levy (47), quatre membres de la communauté israélite et l'instituteur Grosmuth.
Le préfet émet un avis en forme d'arrêté, à l'intention du ministère de l'Instruction publique :
"Vu la demande du commissaire surveillant et de la commission administrative de la synagogue de Reichshoffen tendant à obtenir que cette commune accorde un traitement et un local pour l'école spécialement affectée au culte israélite ;
Vu la Délibération du 19 mai dernier, par laquelle le conseil municipal a refusé de faire droit à cette demande ;
Vu l'avis du comité d'arrondissement de Wissembourg et celui de l'inspecteur des écoles primaires ;
Vu budget de la commune de Reichshoffen pour l'année courante ;
Considérant que le nombre d'habitants israélites est de 235 et celui des enfants en âge de fréquenter l'école de 50;
Que ce nombre est suffisant pour motiver l'érection d'une école communale et que la situation financière de la commune de Reichshoffen lui permet aisément de faire face à la dépense ;
Est d'avis qu'il y a lieu d'établir dans la commune de Reichshoffen une école publique spécialement affectée au culte israélite.
Strasbourg le 31 juillet 1844
Signé : Louis Sers
Le Consistoire Israélite appuie la communauté de Reichshoffen par un courrier au préfet du 29 novembre 1844 :
"...Sous le motif que la jeunesse israélite devrait fréquenter l'école de garçon tenue par l'instituteur catholique et l'école de filles tenue par les Sœurs de la Providence.
Ce système peu .praticable à la campagne laisserait les enfants de nos coreligionnaires privés de toute instruction religieuse. La communauté israélite de Reichshoffen, composée de 235 âmes, possède un temple légalement autorisé (48), desservi par un ministre du culte salarié par l'État. D'après cette organisation, les réclamants doivent obtenir une école spécialement consacrée à leur jeunesse..."
Le 18 janvier 1845, le préfet envoie un courrier au ministre, avec copie au Consistoire, pour le presser de prendre une décision, car "la création de l'école (israélite) est indispensable..."
Un Conseiller d'État se saisit de l'affaire. Par un courrier à en-tête "Université de France" daté du 13 juin 1845 (ADBR), il écrit au préfet :
"... j'ai examiné en séance du conseil royal (49) de l'instruction publique la demande formée par les habitants israélites de Reichshoffen à l'effet d'obtenir la conversion en école publique d'une école israélite privée qui existe dans cette commune, mais que le peu d'aisance des familles ne permet pas de soutenir plus longtemps.
...les pères israélites aiment mieux garder leurs enfants chez eux que de les envoyer à l'école catholique.
Le Conseil royal ... a pensé que les choses pouvaient rester en l'état actuel, mais que l'autorité académique doit veiller à ce que la liberté religieuse des enfants soit respectée dans les écoles chrétiennes où ils sont admis.
.... Serait-il possible d'adopter des mesures à l'exécution desquelles on pourrait veiller avec soin et qui auraient pour effet de rassurer complètement les familles ?
Je vous prie de m'éclairer confidentiellement et promptement à ce sujet."
Autrement dit, le Conseil royal sèche sur le sujet et retourne la question au préfet de Strasbourg.
Celui-ci répond à la question posée sur les moyens à mettre en œuvre pour conserver l'état actuel (par courrier du 8 octobre 1845) :
"Je n'en connais aucun. Dans l'école chrétienne la religion du Christ se révèle constamment dans les exercices de mémoire, dans la plupart de ceux de grammaire, dans l'enseignement de l'histoire. Elle se retrouve à chaque page des livres de classe. Je n'en connais pas qui ne fût susceptible de blesser le sentiment religieux de l'israélite, et cependant les livres doivent être les mêmes pour tous les enfants de la même école. Si donc, dans certaines localités, les juifs envoient leurs enfants dans l'école chrétienne, c'est à un âge plus avancé ou parce qu'ils sont arrivés à un degré d'indifférence pour leur religion que leurs coreligionnaires condamnent, que les chrétiens considèrent comme un progrès, mais auquel l'autorité ne peut ni ne doit le contraindre.
Si donc il y a sous ce rapport répulsion chez les israélites, il faut leur accorder une école spéciale, mais bien entendu seulement là où leur nombre, les ressources des communes, etc., la mettent dans la situation que l'on exige en pareil cas à l'égard des communautés chrétiennes. Cette situation existe à Reichshoffen (50) et je persiste à penser qu'une école israélite doit y être établie."
Il s'agit du comte Louis Sers, Préfet du Bas-Rhin de 1837 à 1848, qui mérite un hommage distingué pour autant de sagesse et de bon sens ! Comme pour la synagogue, on retrouve là aussi un grand serviteur de l'État au sein de l'administration française du 19ème siècle. On ne connaît pas non plus de suite apportée par l'État.
La Seconde République (1848-1852) est proclamée après la Révolution de 1848, sous la présidence de Louis-Napoléon Bonaparte qui, après son coup d'état de décembre 1852 proclamera le Second Empire sous le nom de Napoléon III.
Au recensement de 1851, Reichshoffen compte :
- Catholiques romains : 2376
- Calvinistes : 4
- Luthériens : 9
- Israélites : 253 (c'est l'apogée)
- Autres cultes ou Communions : 7
TOTAL : 2737 individus
Le présent recensement comparé à celui de 1846 est en
diminution de 91 individus.
La population diminuée... résulte de l'émigration en Amérique.
Inauguration d'un Pentateuque (les 5 livres de la Torah), fête israélite célébrée à Reichshoffen le 7 novembre 1857 |
Si l'esprit du Siècle des Lumières a pris corps dans l'administration française depuis les Intendants d'Alsace d'avant 1789 jusqu'au Préfet Sers, il est loin, en soixante ans, d'avoir pénétré les mentalités de nos campagnes et de Reichshoffen en particulier, après plus de 350 ans de ségrégation.
Et pourtant, une aquarelle de 1857 représente une cérémonie en grandes pompes, drapeaux et Conseil Municipal en tête, mais sans le Préfet Louis Sers, muté en 1848.
En avril 1856, une note interne (ADBR) signale au sous-préfet que "l'école israélite de Reichshoffen est trop petite et malsaine ; il n'existe point de lieux d'aisance" et demande des instructions.
Le 20 janvier 1861, Samuel Loeb, l'instituteur israélite se décide à écrire à son inspecteur primaire. Il explique que sa salle de classe est délabrée, que les parents n'y envoient plus leurs enfants, comme le sous-préfet a pu le constater lors de sa visite.
"Les Sœurs se trouvent installées dans une nouvelle maison d'école et M le Maire refuse de me céder l'ancienne...Il n'est pas disposé à me fournir un local convenable...à cause de certains différends et contestations survenus entre la communauté et l'autorité municipale au sujet la cession de l'ancienne maison des Sœurs."
Il cite l'article de la loi de 1860 qui impose aux communes de fournir un local aux classes de chaque confession et rajoute :
"Je me permettrai, Monsieur l'Inspecteur, de vous faire observer en outre que la communauté m'avait fourni jusqu'à ce jour un local pour y tenir classe et comme j'habite la maison de ma mère, je n'ai jamais reçu d'indemnité de logement.
La communauté refuse d'envoyer à l'avenir ses enfants dans l'école actuelle....
Je me rendis ...chez Monsieur le Maire pour lui exposer ma situation critique et lui demander d'obvier à ce grave inconvénient...
M. le Maire me répondit qu'il ne saurait y porter remède pour le moment et que s'il se voit forcé par l'autorité supérieure de me fournir de suite un local, il mettra alors à ma disposition une salle de l'ancienne maison des Sœurs pour la tenue de la classe uniquement." signé : Samuel Loeb Instituteur communal israélite
L'inspecteur répond le 22 janvier que "l'école israélite est interdite par le fait même du refus des pères de familles de continuer d'envoyer leurs enfants dans le pitoyable local...." et informe qu'il saisit le sous-préfet afin qu'il intervienne au mieux.
Le 23 janvier 1861 (AVR Vol 16 - 31), on découvre avec surprise que
"vu la lettre de Mr Loeb de janvier... est unanimement d'avis qu'il doit fournir provisoirement pour la tenue de la classe des enfants de la Communauté israélite, l'une des grandes salles au 1er dans l'ancienne maison d'école des Filles ainsi qu'un logement pour l'Instituteur au rez-de-chaussée, que le reste du bâtiment soit réservé à la position de la commune."
Par un courrier du 28 janvier, le maire s'empresse de tenir informé le sous-préfet de sa décision.
Cette lamentable démonstration de mauvaise foi cesse ainsi car "force est restée à la loi" grâce à l'administration.
Le 4 février 1861: admission gratuite des enfants aux écoles primaires. Par arrêté préfectoral, le nombre est limité à 54 garçons, 50 filles et à 16 (sans précision de sexe) pour les Israélites, mais le conseil décide d'admettre tous les enfants.
On constate que Reichshoffen, ses droits de protection des Juifs, ses synagogues et son école israélite ont à plusieurs reprises posé problème jusqu'au plus haut niveau de l'état et sous huit régimes politiques différents, de la Constituante jusqu'au Second Empire.
L'appareil administratif, il faut le souligner, a toujours été bienveillant à l'égard de la communauté juive de Reichshoffen, et ce, depuis la révolution de 1789.
On peut donc en conclure que la volonté d'émancipation de ces "petits Juifs" pauvres de Reichshoffen a contribué, par des escarmouches incessantes mais toujours respectueuses vis-à-vis de l'État et de la Municipalité, à la libération de l'Homme en marche depuis 1789. Tout cela sans jamais sortir de sa modeste condition, mais aussi avec une ténacité jamais démentie. On voit bien l'opiniâtreté du caractère alsacien se manifester entre les protagonistes.
Par ailleurs, la lettre de Zacharie Levy démontre bien la situation financière dans laquelle se trouve plus de la moitié de sa communauté.
Le désastre de la Bataille dite de Reichshoffen se produisit le vendredi 8 août 1870. La retraite de l'armée de Mac Mahon s'effectua le lendemain, Shabath. On racontait dans ma famille qu'une de mes arrières grand-tantes courut après le régiment de son mari pour lui porter son repas du Schawess !
Il ne semble pas y avoir eu d'options vers la France en 1872, sauf, comme le fait justement remarquer Jean-Camille Bloch, pour ceux et celles qui avaient déjà quitté Reichshoffen avant 1870.
Aucun départ n'est connu, à l'exception d'Emilie Loeb, émigrée aux USA vers 1885 à l'âge de 18 ans. (Monique Rombourg - Annuaires de la SHARE)
Il s'agit donc de retracer l'histoire des Juifs de Reichshoffen devenus allemands.
Les registres de délibérations du Conseil Municipal (AVR Vol 18,19 et 20) relatent quelques affaires ayant trait à notre synagogue.
Le 8 septembre 1872, le "Gemeinde Rath" refuse son accord pour une plus-value de 4000F pour réparation (51) de la synagogue. Pourtant, sur pression du "Herr Kreis Direktor" (préfet), le même Conseil Municipal votera à la majorité en 1873 une aide de 2000 francs (52) pour les réparations effectuées par la "israelitische Genossenschaft".
Un véritable feuilleton à rebondissements et coups de théâtre est rapporté dans les registres municipaux, au sujet d'un mur de clôture dont la communauté voudrait entourer le jardin derrière la synagogue. Ce considérable sujet ne donnera pas lieu à moins de huit délibérations, de mars 1879 à mars 1881.
Après avoir dû plier sur le point précédent, le CM semble en faire un sujet de guérilla en s'opposant par toutes sortes de motifs (53) aux pressions répétées du Kreis Direktor. L'affaire ira jusqu'au "Präsident des Unter Elsass" Ledderhose (sic). Celui-ci, après une mise en demeure à la Ville, finira par se rendre aux arguments du Bürgermeister Schaller, qui veut "eine Oelfarbegestrichenen Bretterzaue. (54)" Non mais !
Le Maire Schaller gagne le dernier round par KO puisque le Präsident Ledderhose, par une décision du 31 mars 1880, finit par céder en acceptant la "Bretterzaun (55)" financée à 50% par la Ville.
Après une énième tentative de demande de mur par la communauté juive "Juden Genossenschaft", le Maire finit non sans humour par en accepter le principe, mais pour pas un Pfennig de plus que pour la palissade.
Cocorico !
Et dire que Hansi n'a jamais eu vent de cette histoire !
Plus sérieusement, en 1880, le CM refuse une subvention au Culte protestant de Gundershoffen au motif qu'il finance déjà les cultes catholique et israélite (56).
En 1889, une demande d'aide pour repeindre à la chaux le plafond (57) et le mur avant de la synagogue est refusée au motif que la Ville verse 80 Marks par an depuis 1877 pour l'entretien de l'édifice.
En 1897, le CM reçoit une nouvelle demande d'aide pour réparations urgentes sur la toiture et le plafond pour 700 Marks. Le CM considère que les travaux peuvent être réalisés pour 250 Marks, et vote à l'unanimité une aide unique de 200 Marks. Cela semble confirmer les infiltrations d'eau. Cela expliquerait aussi pourquoi le plafond, initialement prévu en plâtre par Albert Haas, est aujourd'hui en panneaux de bois pressé.
En nov. 1899, une demande de secours pour l'éclairage électrique de la synagogue pour un montant de 471 Marks est introduite (58). Le CM vote par 8 voix contre 1 abstention une contribution de 100 Marks. Le CM avait fait remarquer au cours des débats, que l'installation aurait pu être réalisée "avec moins de luxe et de lustres".
Une nouvelle demande d'aide (11 mai 1901) pour des réparations (59) à la synagogue (on ne dit pas lesquelles) sur devis de 649 M est acceptée par un concours de 300 M, "sous réserve que les travaux seront exécutés et que la facture finale soit produite". La confiance ne règne pas ; s'agit-t-il toujours du problème de toiture de 1897 ?
Enfin, le 27 août 1903, le CM accepte, par 10 voix pour, 3 voix contre et un bulletin blanc, de contribuer à hauteur de 100 M sur 150 M sollicités, à l'éclairage électrique de la synagogue.
L'école israélite sous l'Annexion
Nouvelle école israélite anciennement des soeurs - rue des Juifs |
Le 10 novembre 1878, le CM décide, à la demande de la communauté israélite, l'aménagement de WC particuliers propres aux Juifs, dans l'école mixte de la Rue des Juifs.
Le 20 février1879, le CM relève le traitement annuel de 80M pour l'instituteur israélite Samuel Loeb, à l'occasion de ses 25 années de service (60).
Un compte rendu de CM du 27 avril 1879 relate que le Président de la communauté israélite s'est entretenu avec la monitrice de couture de l'école catholique, et qu'il n'a pas obtenu qu'elle intervienne aussi dans l'école juive (61).
Le CM décide d'ouvrir un crédit de 50M au budget de l'année en cours, pour créer un cours de couture dispensé par une enseignante que la communauté doit encore recruter.
Le 23 janvier 1887, le CM prend acte de la liste des écoliers dispensés du paiement de l'enseignement pour 1886/87, à savoir 50 garçons, 37 filles et 2 élèves de l'école israélite (62).
En 1888, on voit relever la rémunération annuelle de l'instituteur Abraham Levy à 800 M. Il semble donc qu'un second enseignant israélite ait été nommé. La même année, on exonère de frais de scolarité 44 garçons et 38 filles catholiques et 36 élèves israélites.
En 1887/88, les mauvaises récoltes ont provoqué la disette. On voit l'importance de l'agriculture sur toutes les couches de la société, lors des mauvaises récoltes ; ce qui encouragea l'émigration en Amérique, mais peu au départ de Reichshoffen.
En 1893, "compte tenu de la mauvaise situation économique, le CM renonce à la perception des droits pour la fréquentation des écoles primaires."
Petite chronique syndicale. (CM du 10 mars 1900)
Le CM prend connaissance d'une demande qui lui est adressée (traduite de l'allemand) :
"Comme MM les Conseillers ont eu la grande bonté d'augmenter les traitements de leurs propres instituteurs, mais aussi ceux des Frères et des Sœurs enseignants, MM les Vicaires demandent les mêmes augmentations, sachant que leurs émoluments qui n'ont pas changés depuis un siècle s'établissent à 400M.
Nous souhaiterions être traités sur un pied d'égalité avec l'instituteur israélite à qui la Commune verse annuellement 1200M.
Ce souhait peut sembler quelque peu trop élevé en regard de la gestion municipale ; cependant nous nous sentirions flattés si la Ville catholique de Reichshoffen ne mettait pas ses Vicaires en situation inférieure à celle de l'instituteur israélite. Cela entraînerait un surcoût de 1600 M à la Municipalité. Pourtant, comme les prix de vente du bois ne cessent d'augmenter, cette augmentation ne pèsera qu'à peine dans la balance d'une situation financière aussi brillante que celle de Reichshoffen."
Les conseillers comparent alors les traitements :
Instituteurs isrélites | - Commune : | 900.- | |
- Etat : | 300.- | 1200.- M | |
MM. les demandeurs : | - Commune : | 400.- | |
- Etat : | 540.- | ||
- Conseil de Fabrique de l'Eglise : | 200.- | 1140.- M | |
Différence : | 1 | 60.- M (63) |
La suite des registres du CM de Reichshoffen relate : 1915 : complément de salaire financé pour l'instituteur Samuel Loeb ; en pleine guerre c'est étonnant.
On constate que l'administration allemande a elle aussi, soutenu ses Juifs alsaciens devenus Israélites. Cela a-t-il servi de prétexte à certains pour manifester leur résistance au régime ?
Pourtant, on sait par divers travaux d'historiens qu'à à la même époque, de nombreux professeurs d'université juifs berlinois sont venus s'installer à Strasbourg pour s'éloigner de l'antisémitisme prussien.
Le rideau de l'Armoire sainte comporte un texte en hébreu. On remarque l'emplacement des prières à la République et la balustrade de la bima en fonte moulée. |
Le principal sujet en est l'exode rural. L'industrialisation commencée par la France s'accroît sous le régime allemand. Il est donc tentant de quitter une vie de pauvreté pour aller chercher fortune en ville, et notamment à Haguenau, mais surtout à Strasbourg.
Dans une société européenne en pleine mutation, beaucoup de Juifs ont compris que seule l'éducation et "l'école libératrice" permettront à leurs enfants de sortir de leur condition misérable et d'un milieu resté hostile. La ville leur offre de bien meilleurs espoirs et possibilités.
Le vieux rideau (64)) tout défraîchi de l'Armoire sainte comporte un texte en hébreu traduit par E. Kauffmann : "Don du boucher - en l'honneur du sage Avraham fils de Mosché Weil et avec sa femme madame Malka fille de Schlomo Cerf installés dans la communauté de Strasbourg et qui le donnent à la communauté de Reichshoffen sa ville natale en 5634", soit en 1874. Ce rideau illustre donc parfaitement ce phénomène de société à Reichshoffen.
On connaît mal les optants pour la nationalité française de 1872. J-C. Bloch a trouvé à Paris quelques mariages concernant des reichshoffenois : Jules Neuburger, Léopold Rehs, Myrtil Loeb. D'autres ont pu quitter leur ville natale avant 1870 et ne jamais revenir.
En "Vieille France", la IIIème République est secouée en 1895 par l'Affaire Dreyfus (encore un Alsacien). La France est coupée en deux : les dreyfusards (globalement à gauche), et les anti-dreyfusards (plutôt à droite) ; Zola d'un côté, Maurras de l'autre. Cet événement va profondément secouer le monde juif : l'antisémitisme virulent reste possible dans une nation aussi laïque et assimilatrice que la France. Théodore Herzl en déduit qu'il n'y a pas d'autre solution que de fonder un Etat juif et crée ainsi le sionisme.
Nos Juifs alsaciens restent toujours prudents et mesurés (pour ne pas dire conservateurs), montrant ainsi qu'ils se sont imprégnés de la mentalité alsacienne. Cependant, cette affaire Dreyfus refroidit leur reconnaissance et leur attachement à la France.
Le boucher Samuel Loeb est élu adjoint au maire de 1914 à 1919.
5. Le retour à la France en 1919
Jacques Strauss, négociant de 47 ans, est élu dans l'équipe municipale du Maire de Leusse en 1920.
Les registres du Conseil Municipal recèlent quelques informations sur cette période.
La montée du nazisme en Allemagne va inverser la tendance dans les mentalités juives qui pensent que la France est le rempart contre Hitler. On saura dans peu d'années qu'il n'en sera rien, hélas.
Cette mapa (66) porte de nombreuses décorations et symboles dont une colombe de la paix et un drapeau français laissant transparaître l'angoisse qui monte en 1936.
La débâcle de juin 1940 laisse Reichshoffen désorganisé. Les Juifs, prévenus par des amis chrétiens français ou installés en Allemagne, ont déjà, pour la plupart, franchi les Vosges. Les derniers s'enfuient précipitamment, souvent aidés par leurs compatriotes reichshoffenois.
Une famille sera ainsi conduite à la gare de Sarrebourg par le chauffeur du Baron de Dietrich, deux heures avant l'arrivée des SS qui les recherchaient. D'autres ont reçu du Comte De Leusse, Maire de Reichshoffen, les sauf-conduits pour passer en zone libre.
Les Juifs de notre commune se dispersèrent en zone libre, dans les Alpes, le Lyonnais ou le Périgord (...).
Le Memorbuch du grand rabbin Gutman recense quinze morts, sur les 31 habitants de 1931. Treize personnes sont assassinées à Auschwitz, après avoir passé par les camps de Drancy et Beaune-la-Rolande de 1942 à 1944. (ADBR ou site du Judaïsme Alsacien)
René Weil, est mort pour la France, fusillé par les nazis en 1944 en Dordogne.
René Kern est tombé au combat lui aussi en 1944 en Dordogne.
Les Juifs de Reichshoffen ont donc payé un énorme tribut à la barbarie nazie.
Reichshoffen se distingua par l'héroïsme de ses Résistants et Passeurs, dont plusieurs furent assassinés au Struthof (67) .
Il y eut une tentative heureusement ratée d'incendie de la synagogue par des nazillons.
Sa façade arrière porte des impacts de balles sur, provenant peut-être des violents combats de l'opération Nordwind de l'hiver 1944/45.
Dernier office célébré dans la synagogue de Reichshoffen |
La façade de la synagogue porte une plaque en grès portant l'inscription :
"En souvenir de Maurice Dreyfus (68) et de son épouse qui ont élevé dix-huit enfants (69) - leur fils Salomon Lucien"
On retrouve ce Salomon-Lucien Dreyfus dans un compte-rendu de séance du CM en octobre 1953 :
"Don de M. Lucien Dreyfus, 61 faubg de France à Belfort
Mons. Le Maire donne connaissance à l'assemblée d'une lettre de Monsieur Lucien Dreyfus envisageant une fondation en faveur des enfants qui se distinguent dans le langage français.
A cet effet M. Dreyfus lègue à la commune un titre de rente 1949 - 5% de 50 000 frs ce qui donnera 2500frs de revenus annuels à répartir en plusieurs prix.- Par suite le prix annuel du donateur se perpétuera et portera le nom de "Fondation Salomon Lucien Dreyfus en souvenir de ses parents Maurice et Pauline Dreyfus"
Le Conseil Municipal, à l'unanimité accepte cette donation, exprime son vif remerciement à M. Lucien Dreyfus et charge le Maire de lui adresser, au nom du Conseil Municipal et de toute la population, l'expression de sa reconnaissance."
Cependant, cette fondation est restée introuvable. Aucun ancien reichshoffenois n'a de souvenir d'un tel prix. L'actuelle Municipalité n'en a jamais entendu parler.
Malgré le savoir-faire du généalogiste Jean-Camille Bloch, les descendants de Lucien-Salomon, s'il en reste, n'ont pas pu être contactés. Il a trouvé cependant, que :
Né à Reichshoffen le 3 janvier 1870, Salomon-Lucien Dreyfus est décédé le 14 mai 1961 à Belfort. Il s'était marié le 21 mai 1896 à Belfort (70) avec Emma Dreyfus qui est morte à Auschwitz. Ils ont eu au moins trois enfants. Le mystère à propos de cette très belle idée restera donc entier.
Yvan Lang, le cafetier et dernier ministre officiant de Reichshoffen, disparut en 1967, et sa communauté avec lui.
Gardons en mémoire les personnages émergents de cette longue histoire :
Ascher Levy (1620), Goetschel der Barnes (1727), Albert Haas, Zacharie Lévy et Samuel Loeb, ainsi que le Préfet Sers (au 19ème siècle) et Yvan Lang après la guerre.
La synagogue de Reichshoffen, si chargée d'art et d'histoire, reste aujourd'hui le dernier témoignage amer de plus d'un demi-millénaire de présence des Juifs à Reichshoffen. Elle mérite de renaître sous une forme ou une autre pour témoigner d'une histoire passée aux générations futures.
Bernard Rombourg, le fondateur de la Société d'Histoire et d'Archéologie de Reichshoffen et Environs (SHARE), s'est préoccupé de cette synagogue depuis les années 1970, en bon historien qu'il est. Aujourd'hui, la SHARE continue à lui espérer un avenir de témoin du passé et de conservation du patrimoine local. La synagogue est incluse dans les fréquentes visites de l'ancien Reichshoffen historique qu'elle organise.
Depuis plus de dix ans, la Journée Européenne de la Culture Juive organisée dans la synagogue, draine chaque année 200 visiteurs, tous surpris par la beauté du lieu et s'étonnant qu'il ne soit pas mieux conservé et utilisé.
En guise de conclusion, relisons l'introduction de l'article de Bernard Rombourg dans le N°16 de la Revue de la Société d'Histoire et d'Archéologie de Reichshoffen et Environs.
"Si j'ai pris l'initiative, en qualité de "non juif", de m'intéresser à l'histoire d'une communauté, certes minoritaire, c'est que j'estime qu'elle fait partie intégrante du patrimoine de notre cité."
Citant Pierre Deyon, ancien recteur de l'Académie de Strasbourg dans sa préface de 1981 pour la brochure Etre juif en Alsace, il poursuit :
"Il faut que notre jeunesse sente le prix des diversités religieuses, culturelles, idéologiques. Elles enrichissent toutes notre patrimoine commun, leur reconnaissance et leur mutuel respect doivent cimenter l'unité de la nation."
Ce texte n'a pas pris une ride aujourd'hui.
12 mars 2014
Remerciements à :
Crédit photos : Raymond Lévy
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