Nous possédons des preuves certaines que des Juifs étaient établis à Munster déjà dans la première moitié du 14ème siècle.
L'empereur Louis de Bavière, lors de son séjour à Colmar, le 13 mars 1338, fit don au seigneur Hanemann de Hattstatt de la maison du Juif Simon dit Bonamy de Munster, maison qui était échue à l'empire par suite de la mort de son propriétaire.
L'acte de donation se trouvait autrefois aux Archives de la famille Nofhaft à Friedenfels en Bavière et il est maintenant conservé au Relasarchiv de Munich (1).
La ville de Munster fit partie de la Confédération conclue, le 3 mars 1345, par l'évêque Berthold de Strasbourg, Henri, abbé de Murbach, des seigneurs, des comtes et des villes, telles que Strasbourg, Bâle, Fribourg„ Haguenau, Rosheim, Obernai. Sélestat, Colmar etc., en vue de réprimer toute émeute dirigée, soit contre des prêtres, soit contre d'autres Chrétiens ou contre des Juifs (2).
Et la ville de Munster figure aussi parmi les villes d'Alsace auxquelles l'empereur Charles IV promit, en 1347, de ne pas leur demander des dommages et intérêts pour ce qu'elles avaient fait à leurs Juifs (3).
L'original de cette lettre est conservé aux Archives de la Ville de Colmar.
Les Juifs de Munster avaient donc été autorisés par l'empereur à s'établir dans cette ville comme leurs coreligionnaires des autres villes libres d'Alsace dont ils eurent à partager le sort, en 1349. Car nous savons, par le Mémorial de Nuremberg, que les Juifs de Munster ou plutôt de Munstertal, comme il y est dit, périrent également lors des persécutions de la Peste Noire, soi-disant parce qu'ils avaient empoisonné les puits, mais en réalité, pour des raisons d'ordre politique, économique et social, ainsi que l'a déjà remarqué le chroniqueur Jacob Twinger von Koenigshofen en écrivant dans sa Chronique : "C'est l'argent qui a causé la perte des Juifs, car s'ils avaient été pauvres et. si les seigneurs n'avaient pas été leurs débiteurs, ils n'auraient pas été livrés aux flammes."
Après ces événements lugubres, Munster n'eut, sans doute, plus de Juifs dans ses murs.
On peut pourtant admettre presqu'avec certitude quo les Juifs des environs, de Kaysersberg, de Turkheim et même ceux de Colmar venaient dans la seconde moitié du 14ème siècle à Munster les jours de foires et de marchés pour y vaquer à leurs affaires.
Mais cela ne convenait évidemment pas aux négociants établis à Munster. Ceux-ci firent démarches sur démarches pour évincer leurs concurrents juifs. Ils y arrivèrent au début du 16ème siècle.
Nous voyons, en effet, par une lettre de l'empereur Maximilien, datée du 21 mai 1507 et conservée aux Archives de la ville de Colmar, que le Bourguemestre et le Conseil de Munster s'étaient adressées à ce monarque et lui avaient fait savoir qu'ils avaient eu le privilège d'être débarrassés à tout jamais des Juifs et de pouvoir faire tenir des foires, etc. Ils réclamèrent donc la restitution de ces privilèges, et l'empereur fit droit à leur demande vu les services éminents qu'ils lui avaient rendu et qu'ils lui rendraient encore (4).
Mais à Munster, comme partout ailleurs, il y avait des gens qui, plus ou moins souvent, se voyaient forcés de s'adresser aux Juifs, surtout quand ils avaient besoin d'argent.
Lorsque le Conseil de la ville apprit cela, il prit un arrêté et le fit inscrire dans le Registre des délibérations, en 1548, que tout citoyen de la ville ou de la vallée qui trafiquerait avec les Juifs ou leur emprunterait de l'argent, serait mis en prison pendant huit jours et puis expulsé de la ville et de la vallée et plus jamais admis comme bourgeois (5).
Le nommé Hans Heine, bourgeois, domicilié à Munster, fut le premier délinquant contre cet arrêté. Il fut mis en prison, où il se permit même de proférer des paroles de menaces, de sorte qu'il fut expulsé, après avoir prêté serment de ne pas vouloir se venger.
Cela se passait le mardi après la Saint-Jean de 1553 (6).
La même punition fut infligée aux nommés Blaise Schneider de Soultzeren, le 13 septembre 1561, Martin Huser, le 27 octobre 1570, Hans Cuser, le 20 novembre 1574, Martin Bauer, Hans Niedermüller, le 5 février 1575, les frères Hans et Jacob Walch en 1576, et en 1741 encore, le nommé Chrétien Spenie, bourgeois et habitant de Breitenbach, fut mis à l'amende, parce qu'il avait échangé un cheval avec le Juif David Bloch de Wintzenheim (7).
Mais ce n'est pas uniquement pour des questions d'argent ou de marchandises qu'on s'adressait aux Juifs. En 1605, un certain Hans Thomann eut un procès, parce que quelqu'un lui avait fait entrer un objet dans un œil. Or, les dépositions des témoins nous apprennent qu'il avait été traité et, sans doute, aussi guéri par un oculiste juif, dont on ne mentionne ni le nom ni l'origine (8). On ne dit pas non plus, si Hans Thomann a été puni, parce qu'il s'était fait traiter par un médecin juif.
Par contre, nous savons qu'en 1735, les deux Juifs Emanuel Abraham et Aron Simon de Landau eurent. à payer une amende de 3.000 livres, parce qu'ils avaient fabriqué de l'eau-de-vie (9).
Mais en 1770, le Conseil de Munster fit payer, lui-même, au Juif Wof Moïse, tapissier de Horbourg, la somme, de 105 livres
"pour avoir refait à neuf les hauts et bas sièges de l'auditoire sur l'Hôtel de Ville y compris les fournitures" (10).
Je dois à l'amabilité de mon regretté ami Auguste Scherlen toute une série de notices extraites: des Archives de la ville de Munster, qui nous montrent que les anciens sentiments de haine et d'aversion firent place, de part et d'autre, à une meilleure compréhension des intérêts mutuels.
Ainsi, le Juif Moïse Blin, syndic des Israélites de la Basse-Alsace et fournisseur des armées royales, demeurant à Bischheim près de Strasbourg, avait entrepris, en 1753 et 1754, des coupes de bois de chauffage dans les forêts de la seigneurie de Fraise en Lorraine. Pour ce motif il se mit en rapport avec l'administration de Munster, en vue d'obtenir la permission de pratiquer un chemin de schlittage sur son communal et en général, d'obtenir des facilités au sujet de l'exploitation et du passage de ces bois lorrains (11).
Le nommé Libmann Moyse de Ribeauvillé, qui s'occupait du même commerce, eut une contestation avec la ville de Munster à propos des droits de péage du bois de flottage venant de la Lorraine (12).
Pour le dégagement d'un pauvre bourgeois qui avait eu le malheur d'être emprisonné par les Juifs pour des dettes prétendues, la ville paya, en 1760, la somme de 12 livres (12).
Le nombre des Juifs qui venaient séjourner à Munster devait être assez élevé, puisqu'une décision du Magistrat de l'année 1773 nous apprend qu'un bourgeois, Johann Léon Franck, vendait du vin spécialement destiné à l'usage des Juifs (13).
Le commerce de ces Juifs était la vente et l'achat de chevaux et de bestiaux en général, le colportage (14).
Eh 1754, le nommé Marc Lévy de Wintzenheim acheta des biens à Lutterbach, mais il fut forcé de les revendre trois ans après, et en 1771, un Arrêté de la Cour des monnaies fit défense aux Juifs, colporteurs et revendeurs, d'acheter, vendre ou échanger des bijoux ou marchandises d'or et d'argent sans y être autorisés (15).
Les lieux de domicile de ces Juifs étaient : Wintzenheim ,Wettolsheim, Türckheim, Voegtlinshofen, Hattstatt, Neuf-Brisach, Herrlisheim, Biesheim, Staffeitelden, Issenheim, Husseren, Ingersheim, Horbourg, Zillisheim, Kolbsheim, Riedwihr, Ribeauvillé (16).
Quelques-uns de ces Juifs se convertirent au christianisme, mais cela ne paraît guère avoir apporté de changement dans leur activité professionnelle, puisque nous voyons que l'un d'eux continua à faire le commerce de bestiaux après sa conversion. Un autre changea son nom de Joseph Lévy en celui de François Joseph Lévy (17).
Quelques familles israélites vinrent s'établir à nouveau à Munster, dans la seconde moitié du 19ème siècle. Elles et leurs descendants ont toujours eu des rapports excellents avec le reste de la population.
C'est que cette population s'était inspirée des idées de la Grande Révolution et a fini par comprendre que la meilleure politique à suivre à l'égard des Juifs est encore et est toujours celle de les considérer comme des hommes et de leur accorder les droits de l'homme et du citoyen, de faire abstraction de toutes lesquestions de race et de religion, et de les traiter suivant les principes de la justice, de la vérité et de l'humanité.
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