Hommage aux Juifs de Rixheim disparus dans la Shoah
Rixheim, dimanche 5 mai 2024
par Martine et Francis Grad
© M. Rothé
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Ce soir nous commémorerons le
Yom Hashoah = jour de la
Shoah. En Israël le pays s’immobilisera pendant une minute et partout dans le monde, on rendra hommage aux six millions de Juifs exterminés par le pouvoir nazi.
Nous avons, avec le soutien du
Consistoire du Haut Rhin, voulu apposer une plaque commémorative au
cimetière juif de Rixheim et, lors d’une courte cérémonie, rappeler ce que fut la vie de ces onze juifs natifs de Rixheim qui, comme des millions d’autres, perdirent la vie à Auschwitz.
Habitant Rixheim "par hasard", nous ignorions leur nombre et leurs noms. C’est principalement grâce au travail de Monsieur Benoît Meyer, archiviste de la ville de Rixheim, Monsieur Christian Thoma, historien et président de la Société d’histoire de Rixheim, et à Monsieur Christophe Woehrle, historien et président de l’association Stolpersteine-France que nous savons aujourd’hui qui ils sont et que nous pouvons dès lors rendre hommage à chacun de ces hommes et femmes, à leurs vies perdues, reconnaître leur identité individuelle et rappeler l’existence de ceux que les nazis et leurs complices ont tenté d’effacer.
A Rixheim, petite ville de la couronne mulhousienne (68), vivait une communauté juive apparemment heureuse et bien intégrée qui compta jusqu’à 372 personnes en 1833.
Une synagogue, un mikvé (bain rituel), trois boucheries cashères, une classe de 40 enfants juifs au sein de l’école publique communale, attestent de la richesse et du dynamisme de cette communauté. Mais à cause de l’exode rural, la guerre de 1870, l’émigration vers de grandes villes, ou d’autres pays cette communauté décroît au début du 20ème siècle. En 1931, la synagogue trop vétuste et quasi désertée, est démolie et ne sera pas reconstruite.
A la veille de la deuxième guerre mondiale ne vivaient plus à Rixheim que trois membres de la communauté : Caroline Lévy et sa fille célibataire Berthe, ainsi que le jeune Docteur Raymond Wolff, médecin généraliste.
Rappelons le souvenir de nos onze frères et sœurs qui ont vécu à Rixheim et sont morts sans sépultures mais sans sombrer dans l’oubli :
- Salomon et Flora ACH tenaient une boucherie casher à Rixheim jusqu’à la fin des années 1920. Salomon, que les Rixheimois appelaient d’r Salmi, avait vu le jour à Rixheim le 7 septembre 1874, dans le foyer de Joseph Ach, commerçant et de Pauline née Katz. En 1902, âgé de 28 ans, Salomon, boucher et maquignon (Beïmeshändler), épousa à Hégenheim Flora Dreyfus née le 10 décembre 1878 dans cette même ville. Flora âgée de 24 ans était la fille du bouquiniste Marc Dreyfus et d’Adèle Picard. Le jeune couple s’installa à Rixheim, et tint une boucherie dans la Grand’Rue, avant de partir pour Mulhouse. Pendant la guerre, Salomon, Flora Ach, leurs enfants et petits-enfants se réfugient à Geix (Ain) où ils sont arrêtés en février 1944. D’abord internés à Lyon, ils sont envoyés à Drancy et font partie du convoi n°69 du 7 mars 1944. Agés de 70 et 66 ans, ils furent gazés dès leur arrivée à Auschwitz.
- Jeanne ALEXANDRE est née LEVY à Rixheim le 20.3.1874. Elle est la fille de Samuel Lévy et Hélène Bloch. Le jeune couple et leur fille sont partis habiter Mulhouse où Irma est née, en 1876. Jeanne demeurait à Valence lors de son arrestation avec sa sœur Irma, épouse MAYER, mère de deux enfants. Jeanne et Irma sont arrêtées le 20.01.1944, internées à Lyon, transférées à Drancy et déportées à Auschwitz le 10.2.1944 par le convoi n° 68. Jeanne était âgée de 70 ans.
- Jacques DREYFUS est né à Rixheim le 29.5.1863. Il est le fils de David Dreyfus, revendeur, et de Rachel née Ebstein. Agé de 27 ans, il a épousé, à Paris, Valérie Schul née le 12.2.1868 à Benfeld (67). Le couple a trois enfants et vit en région parisienne. Il est commerçant et demeure à Vichy, au moment de la guerre. Il perd sa femme en 1942. Il est arrêté, en même temps que son fils David (48 ans), le 11.4.1944 lors d une rafle à Vichy. Il est interné à la prison militaire de Moulins (Alliers) et transféré le 21.4 à Drancy. Il est déporté à Auschwitz le 29.4.1944, par le convoi n° 72, à l’âge de 81 ans. Son fils sera déporté par le convoi 76 et décédera en août 44 à Birkenau. Pour la petite histoire, Jacques Dreyfus était le grand-père paternel de la comédienne Anouck Aimée, de son vrai nom Nicole-Françoise Dreyfus, née en 1932 ! (Fille de Henri Dreyfus comédien dramatique sous le pseudo d’Henry Murray pris pendant la guerre).
- Lucienne KAUFFMANN née Lévy vit le jour à Rixheim le 10 janvier 1885. Elle était la fille du ‘hazan de la synagogue de Rixheim; Abraham Lévy et de Mélanie Schwob. Elle épousa, en 1910, Jacques Kauffmann, commerçant, né en 1878 à Trimbach (67). Le couple s’installa dans cette commune du Bas-Rhin et eut deux filles : Germaine (née en 1911) et Irène (née en 1916). Suite à l’évacuation de cette commune en septembre 1939, la famille trouva refuge à Belval, dans le département des Vosges. C’est là qu’elle fut arrêtée le 10 octobre 1942. Après un internement à Ecrouves (54), tous quatre furent, transférés à Drancy où ils restèrent quelques semaines jusqu’au départ, le 13 février 1943, du convoi n° 48 depuis la gare du Bourget-Drancy. Lucienne, son époux et leurs deux filles furent assassinés à Auschwitz-Birkenau.
On trouve également sur cette plaque commémorative le nom de trois, sœurs filles de Jacques LEVY et Caroline née ZIVI :
- (Camille) Marguerite Willard, née Lévy à Rixheim le 9.8.1869, épouse d’Isidore Willard,( né à Rixheim, commerçant) et sa fille (Marthe) Fanny Willard, née à Rixheim le 9.8.1896 ; Berthe (Irma) Lévy née à Rixheim le 3.11.1871 ; Rose (Valérie) Steinmetz née Lévy à Rixheim le 8.3.1873
- Berthe LEVY, célibataire, vivait à Rixheim avec sa maman, Caroline née en 1847.
Son père, né en 1845, était, avant la guerre de 14-18 un des plus grands propriétaires de vignobles rixheimois. Il employait au moment des vendanges une importante main d’œuvre et avait même créé une école de taille de la vigne. Le couple avait acquis, (en copropriété avec Cerf Willard, son beau-frère, prêteur sur gages) une vaste maison bourgeoise datant du 16ème Siècle. Jacques Lévy mourut, à Rixheim, en 1916. (Leur maison, 44 Grand Rue, existe toujours ; un panneau commémoratif conte son histoire.)
Le 5.9.1939, au lendemain de la Déclaration de la guerre et de l’évacuation de Strasbourg, Caroline, âgée de 92 ans et Berthe quittent Rixheim et se réfugient en Haute Saône où elles rejoignent la famille Willard, qui s’était installée à Strasbourg en 1919. Après l’armistice de 1940, comme tous les Juifs alsaciens qui furent évacués, les Lévy-Willard se voient interdits de retour en Alsace. Caroline meurt à l’âge de 97 ans à Vauvillers (70) où elle vivait avec sa famille. Et c’est dans ce petit village de Vauvillers, qu’en février 1944, la police allemande arrêta Berthe Lévy, Marguerite et Fanny WILLARD. Internées à Vesoul, transférées à Drancy elles montèrent, le 7 mars 1944 dans les wagons plombés du convoi N°69 qui emporta vers les chambres à gaz 1501 personnes dont également Salomon Ach et son épouse Flore.
A ce moment Berthe Lévy (73 ans) et Marguerite Willard (75 ans) ignorait sans doute que leur cadette :
- Rose, veuve de STEINMETZ Charles Albert, (né à Mulhouse, marchand de cuir) avait été arrêtée le 4 janvier 1944 à Montredon-Labessonnié (Tarn), où elle s’était réfugiée avec sept familles juives. Tous résidaient à l’hôtel Maurel où ils furent arrêtés par la police allemande. Deux personnes qui tentaient de fuir ou de résister furent abattues sur place, les treize autres dont Rose furent déportées le 3 février 1944 par le convoi N° 67.
Rose, la troisième fille de Caroline et Jacques Lévy-Zivi, avait 71 ans.
- Sara SCHWOOB est née MEYER à Rixheim le 11.01.1868. Elle est la fille de Hirsch MEYER et Fanny WEIL. A 20 ans elle épouse le marchand de tissus Adolphe Schwoob, de douze ans son aîné, né, lui, à Champagney (Haute-Saône) et installé à Vesoul. Sara Schwoob s’installa dans cette ville et ne revint quasiment plus à Rixheim. Sur la fin de sa vie, pour se mettre à l’abri des rafles, elle s’installa à Nice, dans la zone d’occupation italienne où l’antisémitisme était peu virulent. Sous le nom de Céline Schwob, elle était pensionnaire de la Fondation Hospitalière Israélite installée dans la villa Jacob, sise dans le quartier résidentiel de Cimiez. Mais en septembre 1943, les troupes allemandes prirent le contrôle de l’Italie. Du coup, la zone d’occupation italienne vit déferler l’ordre nazi qui se mit en chasse des Juifs, nombreux à s’être installés dans cette zone-refuge. (Comme par exemple la famille de Simone Weill née Jacob et de Serge Klarsfeld !). Le 21.11.1943, l’ensemble des pensionnaires de la maison de retraite (3 hommes et 12 femmes pour la plupart octogénaires) fut arrêté et transféré à Drancy. L’infirmière de la maison de retraite, Marie Simon, non-juive, décida de les accompagner jusqu’au camp de transit. Le 7 12.1943, ils furent tous déportés avec le convoi N°64 et, vu leur âge, gazés dès leur arrivée à Auschwitz. Sarah avait 76 ans.
- Raymond WOLFF, fils de Bernard Wolff, commerçant, et de Myria née Lévy, vint au monde à Sarre-Union le 10 septembre 1908. Ayant réussi ses études de médecine, il vint s’installer à Rixheim le 1er octobre 1937, au 23 rue de la Gare. A la déclaration de guerre, il fut mobilisé comme officier de réserve dans une Compagnie du Train. Après l’armistice de 40, le retour en Alsace étant interdit aux Juifs, il resta en zone libre. Vu les restrictions professionnelles imposées par le Statut des Juifs, il ne put reprendre son activité de médecin. Début 1943, Raymond Wolff se fit embaucher comme manœuvre dans l’entreprise Lecorché Frères, implantée avant-guerre à Rixheim. Il demeurait à Vertaizon et se pensait à l’abri des rafles dans cette firme qui s’était repliée dans le Puy-de-Dôme dès le mois de septembre 1939 et fabriquait des baraquements en bois pour l’armée. Mais fin 1943, suite à une descente de la Gestapo sur les chantiers, il fut arrêté, interné à Vichy puis transféré à Drancy le 17 janvier 1944. Trois jours plus tard, le convoi N°66 qui comptait 632 hommes, 515 femmes et 221 enfants l’emporta vers Auschwitz, A l’arrivée, Raymond Wolff, jeune et robuste, fit partie des 236 hommes du convoi sélectionnés pour le travail forcé. Il survécut jusqu’au 25 janvier 1945, date de son décès à Auschwitz. Il avait 35 ans !
Pour conclure, nous voudrions rappeler ces phrases du Rabbin Daniel Farhi :
« Je te promets d’être la mémoire de ta mémoire. Je te promets que ce que tu as enduré ne sera pas effacé de la conscience humaine. Je te promets cette ultime justice de ne pas laisser ton nom ni ta souffrance disparaître de l’histoire universelle… » (Au dernier survivant Biblieurope 2000).
Que leur souvenir demeure et soit source de bénédictions. Nous ne les oublierons pas.
Pour conclure la cérémonie, Jacky Herrmann, ministre officiant à Mulhouse a magnifiquement chanté le El Maleh Rahanim, Hymne dédié à nos martyrs…Gregory Sellam et Guy Bamberger ont récité le Kaddisch. La maire de Rixheim, Rachel Baechtel, a ajouté quelques mots sur la nécessité du "Bien vivre ensemble" et Elie Cohen, président du Consistoire du Haut-Rhin, a clôturé cette cérémonie que nous avions voulu sobre mais émouvante.