La vie juive à Rixheim : présente depuis 1327.
Peu de textes font mention à cette époque d'une communauté juive à Rixheim qui est alors une petite bourgade agricole d'environ 1500 personnes. On y évoque néanmoins un vignoble "an des Juden bletz" où l'on produisait sans doute du vin cacher. Ces deux mentions sont la preuve d'une présence juive à Rixheim ou en tout cas du passage de Juifs, souvent colporteurs ou maquignons dans cette bande rhénane.
A cette époque, la présence des Juifs reste très discrète puisqu'en 1394 un décret royal a expulsé les Juifs de France et qu'en 1573, l'Archiduc d'Autriche a expulsé les Juifs de toutes ses terres. En 1540 on trouve trace de deux juifs, David et Raphaël, qui habitent "Richssheym".
En 1648, lorsque l'Alsace est rattachée à la France, le Roi, par pragmatisme sans doute, décide de tolérer les Juifs en Alsace. A partir de là, 50% des Juifs de France vivent en Alsace, le plus souvent à la campagne, car ils n'ont toujours pas, sauf de très rares exceptions, le droit de s'installer dans les villes. Ils y travaillent en journée mais repartent dormir à l'extérieur. Mulhouse, ville libre suisse depuis 1515, majoritairement protestante, ne fait pas exception à la règle. Les Juifs n'y sont pas les bienvenus. Le rattachement de Mulhouse à la France le 15 mars 1798, ne change guère leur statut. On les accepte lorsqu'on a besoin d'eux ; comme fournisseurs d'argent, de chevaux, de marchandises diverses. On les rejette quand les besoins ont changé.
On ne trouve plus de traces écrites de la présence juive à Rixheim jusqu' à la fin du 17ème siècle. En juin 1681 on trouve mention de la présence d'un Salomon Haas (vraisemblablement un de mes ancêtres paternels), originaire d'Uffholtz et qui s'installe à Rixheim après avoir vécu à Mulhouse puis en avoir été expulsé à l'issue de la guerre de Hollande. On sait aussi qu'en 1689 le rabbin itinérant Simon Blum pratiquait des circoncisions à Rixheim (celle notamment de Benjamin Bloch, mon aïeul maternel, ascendant également du capitaine Alfred Dreyfus (avec qui je partage les arrières-grands-parents Israël Dreyfus né en 1727 et Bloch Ella née en 1731, tous deux mariés, épiciers et décédés à Rixheim.) A cette époque Rixheim, comme Blotzheim font partie de la Seigneurie de Landser. Ces villages faisaient partie du Sundgau qui était "judenfrei" avant son rattachement au royaume de France en 1648. Néanmoins de rares communautés dont Jungholtz en 1655 et Hégenheim en 1673 y obtiennent la permission d ouvrir des cimetières.
En 1696, deux familles juives au moins vivent à Rixheim
où la communauté est "tolérée". En
1708 on dénombre quatre familles juives à Rixheim,
malgré l'opposition des habitants qui reprochent aux Juifs de ne pas
être soumis aux mêmes charges que les chrétiens (droits
de protection à payer au Roi et au Seigneur du village. Obligation
d'héberger les militaires). En 1719 on passe à onze
familles, nombre qui continue de croître régulièrement
puisque 34 familles (150 âmes environ) demeurent à Rixheim
en 1726.
En 1742, face aux récriminations des citoyens rixheimois chrétiens,
les Juifs passent un accord avec la commune et s'engagent à payer
annuellement des impôts locaux et royaux.
Entre 1744 et 1754 "les huit meilleures maisons du lieu" c'est-à-dire
les plus spacieuses auraient été acquises par des Juifs ce qui
déplait fortement à leurs concitoyens chrétiens qui dénoncent
la présence de "150 personnes de cette nation errante" à Rixheim…
En 1761 un rabbinat regroupant Habsheim et Rixheim est créé. Sa résidence est fixée à Rixheim, le rabbinat de Haute Alsace siégeant à Ribeauvillé. Jacob Meyer occupa ce poste de 1771 à1802 avant de devenir en 1813 grand rabbin de Strasbourg.
En 1763, la communauté finance la construction d'une synagogue sise dans le prolongement du mur pignon de la maison du 16ème siècle au 10 rue de l'Eglise. (Elle sera réaménagée en 1857 dans l'arrière cour.)
En 1780, 14% de la population rixheimoise serait juive (217 juifs et 1557 chrétiens). Et en 1784, le Dénombrement des Juifs d'Alsace recense 243 Juifs à Rixheim soit 50 familles (12% de la population). Malheureusement, cette importante présence juive crée en juillet 1789, une forte agitation au sein d'une population où sommeillait de façon latente un fond séculaire d'antisémitisme. A l'image de nombreux villages du Sundgau, les Juifs rixheimois furent chassés et leurs maisons détruites et pillées. (Mulhouse accepta, du reste à cette occasion, d'ouvrir ses portes pour accueillir les fugitifs.)
Dans la continuité de cet anti-judaïsme séculaire, on trouve à Rixheim, en 1793/1794, un maire particulièrement mal intentionné envers les Juifs. Il réquisitionne, hors de toute légalité, la synagogue, bien privé appartenant à la communauté pour en faire une prison qui servira pendant la Terreur. Il impose aussi aux Juifs de multiples travaux d intérêt général, les rançonne, leur attribue des tours de garde plus fréquents qu'aux autres habitants et il est bien loin d'appliquer le principe de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. En août 1794 la Synagogue est saccagée.
En 1798 on ouvre officiellement le cimetière juif de Rixheim, mais des tombes datant de 1785 à 1790 y ont été retrouvées.
2. La vie juive à Rixheim au XIXème siècle
Rixheim sur une carte postale ancienne - © coll. M. & A. Rothé |
Dans cette première moitié du 19ème siècle, nombre de commerçants juifs demeurent encore à Rixheim. Ce sont des commerçants sédentaires ou des colporteurs. Ils sont marchands de bestiaux ou de graines, prêteurs d'argent ou vendeurs de peaux de lapins et de chiffons, "Choreth" (ou Schächter - bouchers rituels), vendeurs d'étoffe. Ils participent à la vie de la commune. Ils s'appellent Ach, Bernheim, Blatt, Bloch, Blum, Brunschwig, Cahen, Dreyfuss, Ginsburger, Goldschmitt, Haas, Kahn etc… Ils donnent à leurs enfants des prénoms à consonances bibliques, yiddisch, françaises ou parfois allemandes selon leurs origines, leur attachement au judaïsme, leur fidélité aux prénoms familiaux, l'histoire de l'Alsace.
En 1863, la communauté juive qui compte 260 à 280 Juifs, dont 40 enfants, adresse une lettre au maire de Rixheim, pour solliciter la création d'un "emploi d'instituteur adjoint israélite" à l'école publique de la commune. Pour obtenir cette création de classe, huit notables, tous commerçants et fortunés, des familles Dreyfuss - Weil - Lévy - Haas et Bloch s'engagent à payer intégralement le traitement dudit "aide instituteur" ! M. Zuber, le maire, donne son accord et transmet la pétition à l'inspecteur départemental. Se présente "un jeune homme nommé Samuel Hirsch, fils du rabbin de Sierentz, instituteur breveté en 1862 et réunissant toutes les conditions de moralité désirables". Il exercera les fonctions de "maître-adjoint, spécialement chargé d'une classe pour les enfants israélites", et dispensera, sous la surveillance de l'instituteur public, M. Schumacher, des cours de religion et d'initiation à la langue hébraïque.
Quarante enfants juifs fréquentent l'école dans un local fourni
par la commune dans le même bâtiment que l'école
publique. Fin 1864, lorsque le jeune Samuel part pour l'Algérie il
est remplacé par Wolfgang Meyer, natif de Pfaffenhoffen
puis par Raphaël Schwob.
Après 1870, on continuera, apparemment d'enseigner, dans une
Alsace devenue allemande, le français dans cette classe !
Mais la guerre de 1870 amorce le déclin de cette communauté florissante et observante qui disposait notamment d'un mikwé [bain rituel] (Rue du Bain/rue du Tilleul ) géré jusqu'en 1914 par Salomon Franck, d un abattoir où officiait Abraham Lévy et de trois boucheries cachères ( L'une dans la Judegassele, aujourd'hui impasse des Bergers, l'autre Grand'rue,exploitée par Salomon Ach dit Sàlmi (déporté) et la 3ème appartenant à Leib-Léopold Meyer située au N°4 rue de la Paix). Abraham Lévy, originaire de Cernay et greffier à la mairie de Rixheim fut le dernier "Choreth" ou "Shächter" de la communauté.
En 1873, néanmoins, malgré le déclin de la communauté, Jacques Lévy (1845-1916), époux de Caroline née Zivi (1847-1944) acquiert, Grand Rue, en copropriété avec Cerf Willard , son beau frère, prêteur sur gages, une vaste maison bourgeoise datant du 16ème siècle. (Cette maison existe toujours. Un panneau commémoratif conte son histoire.) Né à Altkirch, Jacques Lévy devint un des plus grands propriétaires de vignobles rixheimois. Il employait au moment des vendanges une importante main d'œuvre. Son épouse Caroline fut une des dernières habitantes juives de Rixheim. Elle mourut, pendant l'exode, à 98ans. Ses trois filles et sa petite fille, furent déportées à Auschwitz.
La guerre de 1870, à l'issue desquels de nombreux
juifs français patriotes quittèrent l'Alsace devenue allemande,
puis celle de 14-18 marquent définitivement la dispersion de
cette communauté active. 107 Juifs demeurent encore
à Rixheim en 1883, mais ils ne sont plus que 69 en 1895, 46
en 1910 et une dizaine en 1931.
A partir de 1882, le rabbinat de Rixheim est vacant, il est
rattaché à Dornach
puis transféré à Thann.
La synagogue construite en 1763 est vendue puis démolie pour
cause de vétusté en 1931. Elle n'était
plus fréquentée.
A propos de la première guerre mondiale et du patriotisme des juifs alsaciens, rappelons le souvenir de David Bloch, patriote français, né à Guebwiller le 27 novembre1895 et fusillé à Rixheim-Ile Napoléon le 1er août 1916. Le jeune homme se trouvait à Baccarat (54) lorsque la guerre éclata. Il proposa à l'état-major de se faire déposer derrière les lignes ennemies où, grâce a son bilinguisme, il pourrait recueillir des informations utiles. L'opération eut lieu dans la nuit du 22 au 23 juin 1916 mais l'avion qui devait le déposer derrière les lignes ennemies côté allemand capota au contact du sol. Traduit devant le conseil de guerre David Bloch fut condamné pour espionnage et fusillé. Il symbolise, comme Alfred Dreyfus, l'attachement à la France de ces juifs alsaciens. Il est enterré au cimetière israélite de Mulhouse, et une stèle commémore son sacrifice ainsi que celui de sept autres patriotes alsaciens condamnés pour trahison et fusillés en 1916 sur le champ de tir de l'Ile Napoléon.
Les jeunes rixheimois ont donc quitté les leurs pour s installer dans
de plus grandes villes industrielles comme Mulhouse ou Paris. Certains ont
émigré en Suisse, au Canada, en Amérique. Ne restent
plus, à Rixheim que des personnes, majoritairement âgées,
souvent anciens petits commerçants ou colporteurs aux faibles revenus.
L'histoire de la famille du Capitaine Alfred Dreyfus est représentative
de cette évolution des Juifs de Rixheim et de leur exode.
L'arrière grand-père d'Alfred, Abraham (1756-1810)
est né et mort à Rixheim où il est enterré et
où sa famille vivait depuis cinq générations. Il était
boucher et circonciseur comme le signalent encore les marques symboliques
inscrites sur sa tombe au cimetière de Rixheim. Son fils Jacques (1783-1838)
naît à Rixheim mais part s'installer à Mulhouse
où il sera marchand de toile. Le fils de ce dernier, Raphaël (1818-1893)
naît à Rixheim mais poursuit l'ascension sociale de la
famille en devenant industriel à Mulhouse avant de partir pour Paris.
Alfred (1859-1935) naît et vit à Mulhouse avant de suivre sa
famille à Paris et d'y intégrer l'école polytechnique,
puis l'armée française avec le sort qu'on lui connaît.
Ma famille paternelle (Haas) a vécu à Rixheim du 17ème (1689) jusqu'au début du 20ème siècle. Les parents de ma grand'mère tenaient une petite Garkich (restaurant-pension de famille) à Rixheim et vendaient le lait de leur unique vache. Comme nombre de leurs concitoyens ils quittèrent Rixheim au début du 20ème siècle, où ils n'avaient plus de clients ni de débouchés, pour s'installer à Mulhouse, auprès de leur fille mariée.
3. Les Juifs rixheimois pendant la Shoah.
A la veille de la deuxième guerre mondiale, seule une poignée de Juifs vit encore à Rixheim, où le cimetière compte 324 tombes. Lorsque l'ordre de mobilisation générale est lancé en France le 1er septembre 1939 et que les populations qui vivent dans une bande de 8 km le long de la frontière avec le 3ème Reich, sont évacuées avec quelques affaires et quelques jours de nourriture, plus de 2500 Rixheimois quittent leur ville. Parmi eux, les quelques juifs qui y demeurent encore :
A l'issue de cette hécatombe, plus aucun Juif n'habitait
Rixheim. La synagogue était détruite, la rue des Juifs
rebaptisée rue des Bergers. Nul ne se souvenait de la signification
de la rue du Bain.
Les quelques survivants des familles durement touchées s'étaient
établies ailleurs.
Tout ce qui subsistait de cette communauté autrefois prospère,
c'était
un cimetière, longtemps délaissé.
4. Rixheim aujourd'hui
Et puis quelques juifs s'installent ou se réinstallent à Rixheim.
Inauguration du Jardin de la Fraternité, 8 octobre 2018 - © Jean-Paul Willaime |
La plus ancienne tombe identifiée est ainsi celle de Moshe Dreyfuss enterré en 1797. Ont aussi été retrouvées les sépultures du Rav Moïse Monius (descendant du Maharal de Prague), ou celles de Mordechaï Samuel (1800), Gretel Grumbach (1805), Fanny Hass (1830), Yakov Abraham Lévy (1870) pour n'en citer que quelques unes. Les enterrements se succèdent jusqu'en 1939 (Isaac Ach 1846-1939, époux de Gertrude Ach née Picard 1853-1937). Une plaque commémorative rappelle le souvenir de la famille Lévy-Zivi décimée pendant la Shoah. Une tombe plus récente est celle d'Odette Weill épouse Heimendinger, décédée et enterrée à Rixheim en 2014.
En 2016, naît à Rixheim, suite aux nombreux attentats dont la France a été victime et à la montée de la violence et de l'intolérance à travers le monde, l'idée d'un jardin interreligieux appelé Jardin de la Fraternité, imaginé comme un lieu de paix, de "vivre ensemble" où chaque personne pourrait trouver sa place quelles que soient son origine, sa culture, sa religion. Ce projet, porté par les représentants des différentes confessions religieuses présentes à Rixheim (catholique, musulmane, juive, protestante réformée et évangélique) s'est concrétisé et a donné vie à un espace arboré inauguré en octobre 2018 et nommé "Jardin de la fraternité", réalisé par les services techniques de la Ville et sis dans un lieu fréquenté par les Rixheimois, près des étangs de pêche et aires de jeux.
A un autre endroit de Rixheim, une placette s'intitule "square des
Justes" "en hommage à toutes les personnes non juives qui, lors de
la Shoah, ont mis leur vie en danger pour sauver des Juifs. Ils sont à
jamais, Juste parmi les nations."
Des panneaux explicatifs commémorent, via un parcours historique, la
vie juive à Rixheim.
Des pavés mémoriels,
pour ne pas oublier les victimes rixheimoises du nazisme et honorer leurs
mémoires, vont être installés dans la commune en 2024.
Ils seront posés devant leurs dernières adresses connues à
Rixheim, à l initiative de la Ville et de la Société
d'Histoire de Rixheim, avec l'aide de l'association Stolpersteine
en France. (Décision du Conseil Municipal du 09.3.2023)
Rappelons par ailleurs qu'à Rixheim, le collège se nomme
depuis 1996, Collège Capitaine Dreyfus, en souvenir de la famille rixheimoise
de cet homme illustre, injustement condamné, dégradé
et incarcéré parce que Juif.
Tous mes remerciements vont à Mme Matter et Mrs Ingold, Imbert, Meyer,
Thoma,etc…qui,grâce à leur investissement citoyen, leurs
écrits sur la situation des Juifs en Alsace ou à Rixheim, leurs
recherches sur le cimetière de Rixheim ou les Juifs rixheimois déportés,
m'ont permis ce retour sur la vie de nos coreligionnaires, membres d
une importante communauté rurale aujourd'hui disparue.
Nos remerciements vont aussi aux membres de la communauté, au consistoire,
à la municipalité de Rixheim et à toutes les personnes
de bonne volonté qui œuvrent pour la sauvegarde de ce cimetière
longtemps délaissé et pour la mémoire de nos coreligionnaires
!
Synagogue précédente |
Synagogue suivante |