LE DIALOGUE JUDEO-CHRETIEN DE 1945 A NOS JOURS.
Théorie et mise en oeuvre à Strasbourg (Suite)

 

Présentation des Associations
Charles Péguy

Brève présentation :
Cathédrale de Strasbourg - © M. Rothé
Fondée en 1990, l'Association Charles Péguy est une association "d'inspiration chrétienne" (14), avec un conseil d'administration composé uniquement de chrétiens, catholiques et protestants. Son but est d'éduquer les chrétiens en leur faisant mieux connaître le "judaïsme en tant que tel, pour lui-même" (15) et en leur faisant "découvrir dans le christianisme toute la part juive qui est sa racine" (16). Cela se fait essentiellement par des conférences et activités diverses. La présidente de cette association est Madame Cuche, membre fondatrice de l'association.

Sources :
L'Association Charles Péguy possède peu d'archives : seuls subsistent les dépliants de communication qui annoncent les programmes annuels de l'association, éventuellement des activités plus exceptionnelles, et ce en série continue de 1991-1992 à 2002-2003. De plus, de 1992-1993 à 1995-1996 a paru une lettre annonçant les événements touchant au dialogue judéo-chrétien ou au judaïsme à Strasbourg et Mulhouse, mais nous n'avons pas utilisé cette source car elle mentionne des activités qui ne sont pas organisées par l'Association Charles Péguy, mais par l'Amitié Judéo-chrétienne, la Synagogue et le Cercle Wladimir Rabbi. La multitude des organisateurs, des thèmes en question et la brièveté de la période concernée rendent ce document difficilement exploitable et peu significatif. Enfin, il existe une lettre circulaire interne, rédigée par Mme Cuche depuis 1991 à raison de 6 ou 7 par an, de un ou plusieurs feuillets, qui annonce les grandes dates, donne à lire des articles et propose des pistes de réflexion et de prière. Là encore, cette source a paru peu représentative puisque le seul auteur en est Mme Cuche. Quoique intéressant, ce document ne permet pas de saisir réellement la nature des activités de l'Association et leur évolution. Nous nous sommes donc limités à la liste des conférences et activités de l'association, ainsi que des intervenants et lieux de rencontre.

Buts et statuts :
Les buts de cette association sont définis dans ses statuts :
Article 2 : Buts
L'Association entend agir en conformité avec l'inspiration chrétienne qui l'a fait naître et se donne pour but de contribuer à la connaissance de la foi, de l'histoire et de la culture du peuple juif, dans un esprit de dialogue, de respect mutuel et d'amitié, en s'attachant particulièrement à essayer d'entrer dans la compréhension que le judaïsme a de lui-même et à étudier les racines juives de la foi chrétienne.
Article 3 :
Pour atteindre ces buts, l'Association se propose notamment :
  • de fonder un Centre de documentation sur le judaïsme ouvert au public,
  • d'organiser des cours, cycles de conférences, journées de formation, etc., en rapport avec ses objectifs,
  • de diffuser une information en rapport avec ses objectifs par voie de tracts, bulletins, affiches, expositions, etc.,
  • d'intervenir dans la formation et l'information des groupes, organismes, institutions qui le lui demanderont dans le respect de ses statuts, d'agir concrètement pour lutter contre l'antisémitisme."
Comme on le voit, ce n'est pas tout à fait une association de dialogue interreligieux, dans la mesure où il s'agit essentiellement d'une association à but didactique à l'intention des chrétiens. Le but est de mettre en œuvre les directives du Vatican sur les rapports des chrétiens avec le judaïsme, et on voit que les principaux thèmes de la littérature catholique dans ce domaine sont repris : la connaissance de la foi, de l'histoire et de la culture du peuple juif, dans un esprit de dialogue, de respect mutuel et d'amitié, en s'attachant particulièrement à essayer d'entrer dans la compréhension que le judaïsme a de lui-même et à étudier les racines juives de la foi chrétienne.

Le but est donc de substituer à "l'enseignement du mépris" l'enseignement de l'estime que Jules Isaac a appelé de ses vœux dans Jésus et Israël. Cela se fait par une communication très active à l'attention des chrétiens et de l'ensemble de la société. En effet, les dépliants de l'association sont présents dans les paroisses strasbourgeoises et on trouve des affiches annonçant les conférences dans les couloirs de l'université (les conférences se tiennent régulièrement au Palais Universitaire).

Actions :

On peut donc constater que dans ce domaine, l'Association a d'abord organisé des visites et manifestations nombreuses et plutôt culturelles, tandis qu'aujourd'hui elle réduit cet effort et se tourne plutôt vers des journées d'étude, moins nombreuses, axées davantage sur le dialogue proprement dit et qui complètent les conférences.

Public visé et atteint :
Le public visé selon les statuts est chrétien, mais il y a toujours quelques juifs présents lors des conférences, leur nombre dépendant des thèmes. Certains ont même désiré devenir membres de l'association. Le public est relativement âgé dans l'ensemble, même si certaines conférences plus historiques ou politiques (notamment sur l'Etat d'Israël et la question palestinienne) attirent un public plus large et jeune.
Les intervenants sont généralement des universitaires ou des religieux, à renommée nationale voire internationale.
Les lieux d'intervention sont assez révélateurs : il y a quarante conférences au centre Mounier (local de l'Aumônerie universitaire catholique animée par les Dominicains), neuf au collège Notre-Dame de Sion (collège catholique), quatorze au Palais Universitaire dans les locaux de l'Université, cinq à l'aumônerie universitaire protestante, trois à l'ORT (école juive) et deux au Conservatoire. Le Palais universitaire est utilisé depuis 1995 pour les colloques et les conférences à forte attraction, notamment les trois interventions du Père Emile Shoufani. L'ORT a été utilisée uniquement à l'occasion du colloque sur le Cantique des Cantiques, tandis qu'à l'origine et jusque 1994, l'Association tenait ses conférences systématiquement au Centre Mounier, si ce n'est une conférence au Conservatoire en 1992. La première conférence à Notre-Dame de Sion a lieu en 1995.

Evolution :
On note une évolution dans les thèmes abordés : au début il s'agissait essentiellement d'une présentation assez élémentaire du judaïsme qui a évolué vers une réflexion sur le dialogue et le partage sur des textes bibliques et des notions communes. Les sujets plus actuels voire politiques ont fait récemment leur apparition. Faut-il y voir une évolution du public, ou un approfondissement dû à la constance des gens présents qui permet de dépasser les thèmes basiques déjà connus, ou enfin une évolution dans le recrutement du public, moins religieux et plus intellectuel ?
Si l'on répartit les thèmes des conférences selon les quatre grandes questions définies pour l'étude des textes, on constate que la plupart des conférences portent sur le dialogue avec 41 conférences sur ce thème. Pour l'essentiel, il s'agit de conférences ayant pour but de faire connaître le judaïsme, mais aussi de conférences sur l'histoire du dialogue, des études bibliques et des témoignages sur le dialogue. Puis il y a des conférences théologiques (au nombre de treize), avec d'abord des conférences sur les racines juives du christianisme, puis sur la judéité de Jésus et divers autres sujets théologiques. Il n'y a que sept conférences sur des thèmes proprement historiques : avec d'abord l'antisémitisme, puis la Shoah et Israël. Il faut remarquer qu'à l'exception d'une conférence sur la Shoah en 1992 et une sur l'antisémitisme en 1997, ces conférences historiques débutent à partir de 2000. Enfin viennent quelques autres conférences sur l'art et la littérature essentiellement (au nombre de dix-sept).
Les conférences de présentation du judaïsme sont une constante de 1990 à 1999, même si les thèmes évoluent : des origines de l'association jusque 1997, il s'agit de conférences sur des thèmes relativement fondamentaux (présentation de fêtes, d'éléments du mode de vie et de la culture). Après 1997, il n'y a que deux conférences visant à faire connaître le judaïsme, l'une sur la mystique juive, l'autre sur les divergences et convergences entre juifs et chrétiens. Pendant cette même période de 1991 à 1997, on a essentiellement des conférences sur les origines juives du christianisme et sur les premiers temps du christianisme. A partir de 1997 se multiplient les conférences sur des sujets historiques, soit propres au dialogue (Shoah et antisémitisme pour la plupart), soit sur le dialogue-même, avec le colloque sur le cinquantenaire de la conférence de Seelisberg. Enfin, en 2001 apparaît pour la première fois l'Etat d'Israël, alors que dans le même temps se multiplient les témoignages de dialogue en Europe et en Israël.
Pendant ce temps, les conférences sur le dialogue se maintiennent. On pourrait donc distinguer deux phases et une phase intermédiaire : de 1990 à 1997, des conférences de présentation du judaïsme et des conférences sur les origines juives du christianisme, puis depuis 2000, des conférences portant sur des sujets plus actuels : le dialogue aujourd'hui présenté par des penseurs et par des témoignages d'acteurs, et la question de l'Etat israélien. Entre les deux, de 1997 à 2000, une phase intermédiaire avec des conférences à thèmes historiques et sur le dialogue sous une optique historique.
Il est remarquable que cette évolution dans les thèmes traités par l'association reflète, avec retard et accélération certes, l'évolution du dialogue judéo-chrétien. Les chrétiens se sont d'abord intéressés au judaïsme comme racine du christianisme, tout en cherchant à en comprendre les manifestations visibles actuellement (rites et mode de vie). Puis ils ont cherché à comprendre l'histoire récente du peuple juif et les responsabilités éventuelles de l'Eglise dans les persécutions subies. Il a alors été enfin possible d'accepter la vie politique actuelle de ce peuple tel qu'il l'exprime dans son lien à l'Etat d'Israël. Cela permet d'amorcer un dialogue réel avec des individus qui ne sont plus vus comme les reliques de l'époque de Jésus, mais comme un peuple dynamique avec sa vie spirituelle, intellectuelle et politique.
Tel semble être le processus nécessaire à un chrétien pour qu'il puisse appréhender en vérité et en totalité son contemporain juif. L'Association a suivi ce processus car elle est composée d'un noyau de fidèles qui suivent ses conférences depuis longtemps, même si de l'aveu de Mme Cuche, il serait nécessaire de revenir sur les bases de la connaissance du judaïsme pour les personnes qui suivent depuis moins longtemps les conférences. Quant aux lectures juives de la Bible, elles sont rares mais constantes : en 1992, 1994, 1996 deux fois, 1997 et 2000.

Analyse :
Il est clair que l'Association Charles Péguy s'inspire directement des textes catholiques : elle insiste dès l'origine sur les racines juives du christianisme, ce que font les textes catholiques depuis Nostra Aetate. Elle n'évoque la Shoah qu'à partir de 1997, quand la conférence épiscopale française le fait, si ce n'est un témoignage sur la Shoah en 1992, qui est le fait d'un chrétien d'ailleurs.
(...)

Amitié judéo-chrétienne

Présentation rapide :
Créée dans les années 1960 sur l'impulsion du Pr. Landau, il s'agit d'un groupe local de l'Amitié judéo-chrétienne de France fondée par Jules Isaac et Edmond Fleg. Elle fonctionne sur le même mode que l'Amitié judéo-chrétienne de France, avec un comité composé de juifs, catholiques et protestants et ses activités sont essentiellement des conférences.

Sources :
M. Landau est le principal acteur de la vie de cette association à l'heure actuelle. C'est chez lui que se trouvent les archives de l'association. Il a malheureusement été très malade cette année, ce qui nous a empêché d'avoir accès aux dites archives. Nous avons donc cherché à obtenir les titres des conférences pour avoir un corpus similaire à celui de l'Association Charles Péguy. Nous avons eu connaissance des conférences annoncées par l'Association Charles Péguy dans ses propres bulletins, mais cela ne couvre qu'une partie de l'époque récente et pas du tout les débuts de l'activité de l'Amitié. Nous avons donc dépouillé le journal de la communauté juive de Strasbourg qui paraît régulièrement sur toute la période d'activité de l'Amitié, mais dont le corpus est malheureusement incomplet à la Bibliothèque Nationale Universitaire de Strasbourg. De plus, ce journal n'a pas pour principale vocation d'annoncer ce type de conférences. Nous n'avons donc pas pu accéder à l'ensemble des conférences prononcées, et celles prononcées au centre communautaire israélite par un conférencier juif sont surreprésentées car ce sont celles qui sont le plus souvent annoncées par Unir, puis Echo-Unir (17).

Buts et statuts :
Les membres fondateurs de la section strasbourgeoise sont deux catholiques, le Père Join-Lambert (oratorien) et le père Lichtenberg (dominicain), un anglican, le Professeur Marcel Simon (doyen honoraire) un protestant, le Professeur Edmond Jacob, ainsi que deux juifs, les Professeurs André Neher et Lazare Landau.
Il y a environ 70 adhérents à Strasbourg aujourd'hui. L'Association organise trois grandes conférences par an qui se déroulent à tour de rôle dans un lieu juif, catholique et protestant présentées par un conférencier de chaque religion. Le public est en général peu nombreux aujourd'hui, de l'ordre de quinze à trente personnes plutôt âgées. Les statuts de l'Amitié judéo-chrétienne de France définissent ses objectifs :
L'A.J.-C.F. a pour tâche essentielle de faire en sorte qu'entre judaïsme et christianisme la connaissance, la compréhension, le respect et l'amitié se substituent aux malentendus séculaires et aux traditions d'hostilité.
Elle veut, en particulier, par un dialogue fraternel et par une coopération active et amicale, travailler à réparer les iniquités dont les juifs et le judaïsme ont été victimes depuis des siècles, à en éviter le retour, et à combattre l'antisémitisme et l'antijudaïsme dans toutes leurs manifestations.
Elle exclut de son activité toute tendance au syncrétisme et toute espèce de prosélytisme. Elle ne vise aucunement à une fusion des religions et des Eglises. Elle ne réclame de personne aucune abdication ni renoncement à ses croyances ; elle n'exige ni exclut aucune appartenance religieuse ou idéologique. Mais elle attend de chacun, dans la conscience de ce qui distingue et de ce qui unit juifs et chrétiens, une entière bonne volonté, une totale loyauté d'esprit dans la recherche, en même temps qu'un rigoureux effort de vérité. (18)
Il ne s'agit donc pas d'une association confessionnelle comme l'Association Charles Péguy. Dans l'absolu, nul besoin d'être Juif ou chrétien pour y adhérer. L'exigence se place dans l'honnêteté de la démarche et surtout dans sa rigueur. C'est ce que démontrent les sujets des conférences tenues à Strasbourg depuis les années soixante.

Actions :
Les conférences sont la seule activité de l'association que nous ayons pu appréhender et sa seule activité à notre connaissance. A la différence de l'association Charles Péguy, il n'y a presque aucun intervenant qui prononce plusieurs conférences pour l'Amitié. Ces conférences sont de grande qualité, avec des universitaire de renom, mais moins abordables que celles de Charles Péguy. Les sujets ne sont pas directement liés au dialogue mais appartiennent davantage à la recherche universitaire sur des thèmes qui concernent le dialogue ou l'une ou l'autre communauté engagée dans le dialogue. Le but semble donc plus de donner une bonne connaissance de la recherche actuelle touchant à l'histoire juive et chrétienne, à la théologie et au judaïsme actuel que de favoriser le dialogue directement.
Le fait que la confession du conférencier soit liée au lieu de la conférence (19) et qu'il y ait trois conférences par an, une par religion, permet de se faire une idée des lacunes que nous avons par les sources discontinues que nous avons utilisées. En près de quarante ans d'existence, l'Amitié Judéo-chrétienne a dû organiser à Strasbourg de l'ordre de cent vingt conférences. Nous n'avons trouvé la trace que d'un tiers de ces conférences. Ce fait nous empêche de bien étudier cette association.
Nous avons connaissance de dix-sept conférences tenues au centre communautaire israélite (et d'une réunion dans un restaurant casher : le restaurant Chalom), onze au foyer de l'église Saint-Paul réformée, huit à Notre-Dame de Sion, deux au Conservatoire, une à l'université et cinq dont le lieu n'est pas connu.
Si les conférenciers sont pour la plupart des universitaires, ils sont aussi bien souvent très engagés dans leur communauté religieuse : nous avons en effet quatorze religieux (rabbins, pasteurs et prêtres), trente-quatre universitaires, sept théologiens, huit historiens, un homme politique et un secrétaire de la communauté israélite de Strasbourg. Il s'agit donc bien de conférences d'un haut niveau.
Quant aux sujets traités, ils sont à la fois très variés et pointus, moins ciblés sur le dialogue que ceux de l'Association Charles Péguy. Il s'agit le plus souvent de conférences à thème historique, touchant soit à l'époque des premiers chrétiens, soit à l'histoire juive médiévale et moderne, à la Shoah et à l'histoire de l'Etat d'Israël. Ces conférences ont lieu sur l'ensemble de la période d'activité de l'association. Les conférences sur le dialogue proprement dit sont plus courantes dans les années soixante, soixante-dix, et les sujets théologiques sont plus fréquents depuis les années quatre-vingts et surtout à partir de 1990.
La plupart des conférences juives portent sur l'histoire, de même que les conférences catholiques, tandis que les conférences protestantes portent davantage sur des questions théologiques. Toutefois, il faut être conscient que nous sommes tributaires de nos sources, qui citent d'abord les conférences juives, puis les conférences pouvant intéresser un public juif. Il apparaît cependant que, du moins pour la période que couvre l'Association Charles Péguy, l'essentiel des conférences portent sur des sujets touchant au judaïsme : il y a des conférences à thème uniquement juif (Les juifs Catalans dans le grand commerce méditerranéen, L'image du Juif dans le cinéma contemporain ou Les communautés juives d'Alsace au Moyen-âge), mais aucune conférence ne concerne uniquement les chrétiens.
Les conférences ne paraissent pas tout à fait en adéquation avec les statuts, car elles sont essentiellement culturelles et n'ont pas systématiquement d'impact sur le dialogue. C'est à tout le moins l'évolution que les conférences dont nous disposons semblent illustrer. En effet, si pendant le concile et jusqu'en 1978 on trouve des conférences sur le dialogue, cela disparaît par la suite au profit de conférences plus intellectuelles et universitaires comme La Grande Bretagne et les problèmes juifs de 1932 à 1945.
Cette évolution semble être allée de pair avec une désaffection progressive pour les conférences, désaffection qui est générale et touche toutes les conférences strasbourgeoises. Est-ce donc pour faire face à la désaffection de la masse que l'Amitié a réagi par une spécialisation des conférences, ou cette spécialisation a-t-elle fait fuir des auditeurs moins avertis ? Les sources ne nous permettent pas de juger. Néanmoins, les comptes-rendus des conférences parus dans Unir font état de salles combles lors du débat public sur le Concile du 15 décembre 1964. De même, la soirée en hommage à Martin Buber de 1967 aurait réuni quelques 200 personnes autour d'André Neher et Edmond Jacob. Il faut également rappeler qu'à ses débuts et jusqu'en 1980, l'Amitié organisait fréquemment ses conférences avec les soutiens de la Communauté Israélite de Strasbourg, du Congrès Juif Mondial ou de la revue Esprit, tandis que par la suite elle les organise seule, ce qui attire nécessairement moins de monde. De plus, durant son épiscopat Mgr Elchinger a bien souvent soutenules conférences par sa présence et ses interventions toujours très favorables au dialogue et à la connaissance du judaïsme.

Evolution :
La première mention dans le périodique de la communauté israélite de Strasbourg date de 1964, mais dès la fin des années 50 et le début des années soixante, on note l'apparition dans ce périodique d'articles incitant au dialogue, essentiellement sous la plume de Lazare Landau et de Lucien Lazare. Avec le Concile de Vatican II, ces articles se multiplient et la première conférence citée porte précisément sur le Concile et les juifs. Il est très surprenant que la naissance de cette association ne soit nulle part mentionnée dans cette revue, alors que Lazare Landau en était un collaborateur majeur. Peut-être aurait-il fallu chercher dans le Bulletin de nos communautés, bihebdomadaire strasbourgeois.
A ses débuts, l'association voit ses conférences bénéficier de comptes-rendus qui disparaissent avec le temps. Faut-il y voir le résultat d'un changement dans les rédacteurs du journal, peut-être moins portés sur le dialogue, un changement d'optique du mensuel, plus général, ou le moindre écho de ces conférences dans la communauté juive de Strasbourg ? Les trois facteurs jouent certainement.

Analyse :
Cette association ne répond pas précisément aux objectifs des textes de dialogue, si ce n'est qu'elle est un lieu de rencontre de gens intéressés par celui-ci et qu'elle permet de mieux connaître l'histoire juive, ainsi que des aspects théologiques, éthiques et autres du dialogue. Son caractère non confessionnel proclamé dans ses statuts, en fait également le lieu d'un soutien à l'Etat d'Israël et aux juifs face à l'antisémitisme. Cet aspect apparaît peu dans les sujets des conférences mais certains comptes-rendus d'Echo-Unir le révèlent. Il s'agit semble-t-il d'une particularité de la section strasbourgeoise. En effet, en janvier 1968 se tient à Strasbourg l'Assemblée Générale de l'A.J.-C.F au lendemain de la guerre des six jours. Or Unir constate :
"Ceux qui, de longue date déjà, conçoivent ce groupement sur une base uniquement confessionnelle, se sont refusé à toute évocation des événements concernant l'Etat d'Israël dans leurs réunions et leurs déclarations. Ceux qui au contraire donnent une base allant au-delà d'une définition confessionnelle à l'Amitié judéo-chrétienne, et c'est le cas du groupe de Strasbourg ont par contre pris position à l'occasion de la crise au Moyen-Orient. On en trouve une expression dans plusieurs motions, et notamment dans celle adoptée par le comité directeur le 19 novembre1967 affirmant "que l'existence indépendante et souveraine de l'Etat d'Israël ne sauraient être matière à discussion, et que les chrétiens ne voient aucun motif théologique pour s'opposer à la garde des lieux saints par Israël". De même, après la conférence de presse du Général de Gaulle, l'A.J.C. a publié une déclaration regrettant "profondément que le Président de la République ait cru devoir se servir pour caractériser les juifs dans leur ensemble, d'expression qui risquent d'alimenter l'antisémitisme dont ils ont si abominablement souffert dans un passé récent".
Cet article nous permet d'appréhender un second rôle de l'Amitié : il apparaît que la section strasbourgeoise a assumé un rôle de réflexion face aux événements et à la politique française et internationale, notamment par le biais de son comité directeur et de motions votées.
Cette association qui évolue vers un relatif élitisme a donc un double rôle à Strasbourg. Dans un premier temps, elle permet la vulgarisation de travaux universitaires sur divers thèmes touchant essentiellement à l'histoire du judaïsme et à des aspects théologiques, historiques et éthiques proches du dialogue judéo-chrétien au niveau religieux, mais également social. Dans un deuxième temps, elle permet une réflexion et une action de vigilance sur les événements contemporains qui touchent les juifs et l'Etat d'Israël.
On remarque en outre que cette association recourt au mêmes lieux de conférence que l'Association Charles Péguy, et en partie aux mêmes conférenciers : les intervenants communs sont Dominique Cerbelaud, Jean-François Collange, Philippe de Robert, Jean Dujardin, Gérard Israël, Pierre Pierrard, Freddy Raphaël et Alain Weil.

Groupe biblique interconfessionnel

Présentation rapide :
Il s'agit d'un groupe informel créé en 1978 qui étudie la Bible, essentiellement la Bible Hébraïque. Ce groupe est composé de chrétiens (catholiques et protestants) et de juifs.

Sources :
Nous avons eu accès à peu de sources sur ce groupe qui est relativement informel : un document de l'Evêché, Un état des lieux du dialogue interreligieux en Alsace que promeuvent ou auquel participent des catholiques (élaboré notamment à partir de la consultation lancée par la commission diocésaine aux mois de décembre 1997 et janvier 1998). Ce document se présente comme un tableau avec, par association, la paroisse ou la personne responsable, le profil du groupe, les caractéristiques, le public, le but et les initiatives. Nous avons aussi utilisé un document produit par le GBI: du groupe, Vingt ans de vie du Groupe, qui résume le projet et donne les thèmes abordés. De plus, nous avons pu rencontrer deux membres de ce groupe, l'une catholique et l'autre juive.

Buts et statuts :
Ce groupe étant informel, il ne possède pas de statuts. Il s'agit pour ce cercle de "sonder les textes bibliques en faisant apparaître les caractéristiques des lectures traditionnelles ou novatrices, auxquelles les uns et les autres se réfèrent". (20)

Actions :
En 1978 ont eu lieu des rencontres préliminaires, puis en 1980 un week-end d'étude et depuis, les Franciscains (21) accueillent les réunions d'étude mensuelles qui sont centrées sur un thème annuel. Les réunions accueillent une vingtaine de participants, un passage de la Bible Hébraïque est lu et la lecture juive de ce passage est étudiée. En fait, on trouve des études de la Bible Hébraïque, des études thématiques (par exemple l'Alliance), des comparaisons (Shavouoth Pentecôte), des études des Evangiles et des études de phénomènes contemporains (Névé Shalom ou le document des Evêques de France). Mme Warschawski, la femme du Grand Rabbin Warschawski, évoque ainsi le GBI :
Au bout de quelques temps, j'ai créé avec des femmes catholiques et protestantes une association (hommes et femmes) qui se réunissait une fois par mois dans le couvent des Franciscains, pour une soirée d'études, dont le mot d'ordre était "écouter l'autre" et le comprendre. Ce furent non seulement des soirées d'étude et de compréhension mutuelle, mais des soirées d'amitié profonde. Et cela se perpétue jusqu'aujourd'hui : je suis en relation profondément amicale et téléphonique avec un certain nombre des membres de l'association.
Une de ses amies juives dit être "rentrée au Groupe biblique interconfessionnel par Mme Warschawski avec la peur d'être influencée, donc j'ai longtemps écouté avant de parler, cela m'a poussé à étudier, je suis active. Le GBI pousse à prendre position par rapport à soi-même".

Public visé et atteint :
Le Groupe étant en fait la réunion d'un cercle. Les réunions n'accueillent que quelques juifs et une trentaine de chrétiens engagés dans le rapprochement avec les juifs : "essentiellement des membres alsaciens du Comité épiscopal pour les relations avec le judaïsme, de la Commission Eglise et Peuple d'Israël de la Fédération protestante de France et les sœurs de Notre Dame de Sion" (22). Quant aux juifs participants, il s'agit d' "amis juifs qui vont rester de fidèles participants" (23). Les animateurs sont à l'origine le Franciscain Théophane Chary aujourd'hui décédé, le Pasteur Keller, professeur de théologie protestante à la retraite formé par André Neher et Mme Warschawski, femme du Grand Rabbin de l'époque. Il y a très peu de juifs dans ce cercle. Le public concerné est donc très restreint mais le fait que les membres soient presque tous actifs dans des associations ou commissions très actives montrent qu'indirectement, le GBI atteint un grand nombre de personnes, puisqu'il nourrit la réflexion de quelques uns des Strasbourgeois les plus actifs en matière de dialogue judéo-chrétien à Strasbourg. Néanmoins, dans les questionnaires, plusieurs catholiques semblent être au courant de son existence : ils parlent du "Groupe des Fransiscains".

Evolution :
Tout au long de la période et en très large majorité il s'agit d'études de textes de la Bible hébraïque et de leur lecture talmudique. Néanmoins, on trouve régulièrement des sujets évoquants la lecture chrétienne, notamment des Pères de l'Eglise, et d'autres sujets présentant certains aspects du christianisme directement liés à la Bible ou aux racines juives du christianisme, c'est à dire à la réinterprétation et réappropriation par les chrétiens d'éléments rituels ou bibliques juifs.

Analyse :
Le GBI est donc un groupe fermé dont l'action n'a pas d'impact extérieur, si ce n'est que ses membres sont en fait généralement proches des Associations Charles Péguy et Amitié Judéo-chrétienne et de la commission épiscopale. Le groupe participe donc à leur formation et au renforcement de leurs liens. Comme les témoignages l'ont montré, il suscite une réflexion personnelle et une remise en cause des préjugés et méfiances.


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Relations judéo-chrétiennes
 
         

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