1. La mobilisation.
2. Volontaires pour le front.
Au premier rang de ceux qui s'offrirent pour lutter contre l'agresseur, et qui sollicitèrent des postes de combat, se trouvaient des gens qui avaient depuis longtemps passé l'âge de servir, comme le Commandant d'infanterie retraité Jules Lévy et le capitaine Brissach, âgés de 62 ans, le capitaine d'infanterie Charles Lehmann, âgé de 61 ans, le commandant de chasseurs à pied René Franck (père du poète Henri Franck), âgé de 56 ans, le capitaine Rheims, âgé de 54 ans, le lieutenant René Blum-Picard, (54 ans), le sergent Rosenwald (51 ans), etc... (3) ; ou des gens qui, tels le capitaine Raoul Bloch, cité par Maurice Barrès (4), ou le lieutenant Henry Blum ou le sergent Kaufmann, affectés avec leur classe à une formation de l'arrière ; ou qui, comme le lieutenant Mayer, le sous-lieutenant Edmond Picard, spécialiste du coup de main, le sous-lieutenant Robert Ruff, le caporal Bernard Citroën, ou le soldat Henri Cahn, réformés avant les hostilités ou au cours de la guerre, sollicitèrent et obtinrent la faveur de servir dans une unité combattantes. Avec de tels exemples, il n'est pas étonnant que les devancements d'appels et les engagements à la fleur de l'âge, comme celui du jeune Jacques Sax, élève du Talmud-Tora (institution secondaire préparant à l'École rabbinique) aient été nombreux.
De ces serviteurs volontaires de la Patrie, il convient de ne pas séparer les aumôniers qui partirent au front alors qu'ils étaient dégagés de toute obligation militaire. Le premier d'entre eux qui tomba victime de son devoir est le grand rabbin de Lyon, Abraham Bloch, mobilisé à 55 ans et mort en accomplissant un geste religieux de charité devenu historique. C'est lui, en effet, qui fut frappé d'une balle alors qu'il apportait un crucifix à un soldat chrétien qui l'avait pris pour un prêtre catholique. Le rabbin de Verdun, Jules Ruff, tué dans l'ambulance de Vadelaincourt (Meuse), avait 52 ans à la mobilisation, et le premier ministre-officiant de Marseille, Raoul Hirschler, décédé des suites des fatigues de la guerre, entra en campagne à l'âge de 50 ans.
Le dévouement de médecins qui servirent sous la ligne de feu, en dépit de leur âge, celui des infirmières qui soignèrent les blessés dans les ambulances de l'avant, méritaient également davantage que la brève mention que le cadre de cet ouvrage nous autorise à leur consacrer.
3. Les engagés volontaires étrangers.
Nous devons un témoignage particulier de reconnaissances et d'admiration à tous ceux qui, n'étant pas citoyens du pays, ont offert leur vie pour sa défense. La France est le seul pays qui, en 1914, ait suscité tant de dévouements et qui ait enregistré tant d'engagements volontaires. Plus de 40.000 étrangers combattirent sous le drapeau français. Sur ce nombre, il y eut plus de 13.000 juifs. La plus grande partie d'entre ces hommes de cœur étaient des ouvriers tailleurs, casquettiers, maroquiniers, ébénistes, serruriers, électriciens, des petits marchands forains et quelques étudiants, qui étaient venus chercher en France un abri contre les violences du régime tsariste ou contre les brutalités ou les exactions des fonctionnaires roumains. Parmi ceux qui répondirent à l'appel lancé par le Comité créé au IVe arrondissement (8, rue de Jarente) il y avait des immigrés arrivés de la veille, des pères de famille, approchant de la cinquantaine. Les juifs ottomans aussi, qui n'avaient pas oublié ce que l'Alliance Israélite (créée en 1860) avait fait pour les arracher à la misère, se précipitèrent par centaines vers les bureaux de recrutement. Des juifs égyptiens, grecs, voire américains ou hollandais, vinrent également combattre sous le plis du drapeau français.
Affectés, au début, au 1er Régiment de la Légion Étrangère, les volontaires israélites se sont battus comme des lions et, à Carency (9 mai 1915), ils ont laissé plus d'un millier des leurs. Répartis, par la suite, par petits groupes, dans les autres unités, ils ont illustré de leur mieux cet adage qui a depuis longtemps cours dans certaines contrées : "tout juif a deux patries, la sienne et la France."
Parmi ces engagés volontaires relevons le nom du poète Edmond Fleg (parti à 42 ans), du dramaturge Alfred Savoir, de l'ingénieur Rothstein, qui conquirent les galons d'officier sur le champ de bataille ; du romancier Joseph Kessel, qui dut attendre l'âge de 18 ans pour être accepté dans l'aviation ; d'Alexandre Waisman, qui arriva de Suisse à la tête d'un groupe de volontaires juifs russes recrutés par lui ; des trois frères hollandais de Boer, morts pour la France en même temps que leur quatrième frère né français; du roumain Isaac Iticovici (6 citations), de Léon Slamowicz, engagé à 50 ans, de Georges Braun engagé à 50 ans en même temps que son fils et que son neveu, d'Isidore Untermann, engagé à 46 ans, de Blitstein (6 citations), du sous-lieutenant Kremer (5 citations), de David Danon (5 citations), de S. Moscovici (4 citations); d'Elie Krouker, de Vanikoff, "courageux à l'excès", de Z. Bach, véritables entraîneurs d'hommes. Quelles lettres admirables certains, d'entre eux ont-ils laissées ! C'est Léon Litwak (russe), qui sentant la mort venir, écrit : "La mort ne nous fait pas peur... Les juifs savent mourir pour une Patrie qui ne fait pas de différence entre ses fils". C'est le jeune Rozenvit (roumain) qui écrit : "Si je meurs, que vive la France !"
Des chefs d'unité d'infanterie nous ont personnellement assuré, au cours de la guerre, qu'un plus grand nombre d'entre ces héros, aurait acquis les galons d'officier s'ils avaient eu le temps de parfaire leur instruction française.
4. Les volontaires alsaciens-lorrains.
Pour les alsaciens-lorrains restés attachés à la France après plus de quarante ans de domination germanique, la guerre fut un véritable drame de conscience : "Sujets allemands, incorporés malgré eux, ils risquaient de tirer sur des frères, sur des parents dans la tranchée en face d'eux (5)". Servir dans les armées françaises est pour eux dangereux : s'ils sont faits prisonniers, c'est le Conseil de Guerre pour désertion. N'empêche que près de 18.000 alsaciens-lorrains se sont enrôlés sous les drapeaux français. Parmi eux les israélites sont en très grand nombre. Aux premiers rangs de ces volontaires se trouvent le lieutenant Gougenheim (lorrain), âgé de 61 ans, le lieutenant Georges Weill, député d'Alsace, Alfred Weil, magistrat à Metz, Schuhl industriel à Ste-Marie-aux-Mines, Paul et Léon Geismar, neveux du général français G. Geismar, André Bernheim, âgé de 17 ans, etc... Presque tous ils ont franchi la frontière au prix de cent périls. Malgré la facilité que le gouvernement leur a laissée de servir au Maroc ou en Tunisie, ils préférèrent combattre sur le front français, le plus souvent sous un nom d'emprunt.
L'un de ces héros, le jeune David Bloch, de Guebwiller, s'était spécialisé dans les missions les plus périlleuses : il se faisait déposer par un avion dans les lignes allemandes afin de recueillir des renseignements. Trahi un jour par un accident d'aviation, il fut pris, reconnu et fusillé. Il mourut en brave. Ses dernières paroles furent : "Je suis soldat français, ma patrie me vengera."
5. Les combattants réguliers.
Mais ce ne sont pas seulement les volontaires de tout âge, de toute origine, qui se sont signalés par des actes exceptionnels. Du plus haut au plus bas de la hiérarchie, officiers et soldats de l'active, de la réserve et de la territoriale, français depuis des siècles, fils de naturalisés, naturalisés de fraîche date, tous ont rempli leur devoir dans son sens le plus large. Le général Heymann commanda pendant longtemps le XVe corps d'Armée. Les généraux Grumbach, Lucien Lévy, Alexandre, Geismar et Camille Lévi obtinrent des citations élogieuses. Ce dernier, qui avait prédit, dans un ouvrage publié en 1914 (en collaboration avec Maxime Lecomte), l'invasion allemande par la Belgique, était devenu légendaire pour sa bravoure et son énergie. Le Colonel (devenu Général) Weiller, titulaire de 8 citations, le colonel Gréange, le capitaine Loeb (6 citations), le lieutenant Haguenau (6 citations), fils d'un rabbin parisien, parmi les survivants de la grande guerre ; le capitaine Jacques Olchanski. marmi les morts glorieux (5 citations), ne sont que quelques exemples entre tant d'autres puisés dans les listes incomplètes que M. Albert Manuel, secrétaire général du Consistoire de Paris, a essayé de réunir pour conserver le souvenir des actions d'éclat accomplies par les combattants israélites (6).
S'il fallait simplement rappeler les exploits accomplis par les aviateurs israélites, des pages entières n'y suffiraient pas. Les anciens aviateurs ou leur famille ne nous en voudront sûrement pas de nous borner à rappeler les noms du capitaine Jean-Pierre Weiler (11 citations), de l'adjudant Jacques-Louis Ehrlich (19 victoires officielles, 10 citations), du lieutenant Marcel-Robert Bloch, (6 citations), du lieutenant Marcel-Léopold Bloch (5 citations), du lieutenant d'hydravions René Mesguisch (5 citations).
Des médecins, volontaires pour les missions périlleuses, refusant de quitter les postes de secours bombardés, tels Michel Reinhold (6 citations) Bernard Wagner (6 citations), Albert Lubetzki (5 citations), il y en a dans tous les corps d'armée.
Il nous faudrait encore énumérer les évadés de guerre, les volontaires pour les missions spéciales, pour les coups de main, les entraîneurs d'hommes, les blessés refusant de se faire évacuer, ou ceux qui n'attendirent pas d'être guéris pour remonter en ligne. Et tant d'autres encore qui se signalèrent, à des titres divers.
Et enfin comment parler des morts glorieux ? Comment faire un choix parmi les milliers de noms et parmi les émouvantes citations qui leur furent décernées ? Rappelons simplement qu'ils sont morts "pour que la Patrie renaisse plus belle, plus grande, plus honorée, plus noble, et meilleure encore. Ils sont morts pour les grandes traditions de la France : la justice et la liberté." (7)
La France victorieuse se doit aussi de ne pas oublier ceux qui, par leurs inventions ou leurs découvertes, lui ont permis de renforcer sa défense : le compositeur de musique André Bloch, actuellement Inspecteur Général des Conservatoires, inventeur d'un appareil d'écoute, auteur de travaux remarquables utilisés dans la guerre sous-marine, Jacques-Pierre Lévy, créateur de divers types d'hydravions et du premier lance-bombes de grande puissance, Charles Nordmann, qui réalisa un perfectionnement pour le tir de l'artillerie.
6. Les civils.
Nous n'insisterons même pas sur les services rendus par les civils, soit dans l'organisation des œuvres de secours aux blessés, aux réfugiés, ou de rééducation des mutilés (œuvres Léonard et Lucie Rosenthal, oeuvres Joseph et Louis Asscher, etc...) Nous aurions voulu dire un mot des éminents services rendus par nos propagandistes, (par exemple M. Victor Basch) dans les pays neutres. Mais le moment n'est pas encore venu de livrer cette activité à la publicité.
Ce qu'on ne nous pardonnerait pas, ce serait de passer sous silence les victimes civiles de la guerre. La communauté la plus éprouvée, à cet égard, a été celle de Lunéville. Martyrs de la fureur teutonique, le premier ministre officiant Weill et sa fille, et plusieurs membres de la communauté, déjà éprouvée par la perte de son rabbin, le sergent Boris Groudsky, disparu au front, furent odieusement massacrés en août 1914.
Dans les régions envahies, quelques israélites se sont également fait remarquer par leur résistance passive ou agissante.
7. En Alsace-Lorraine.
Ceux d'entre les Alsaciens-Lorrains qui n'ont pas pu échapper à leur sort, firent, au moins, l'impossible pour venir en aide aux populations des régions envahies. Nephtalie Wallach, risquant à tout instant le Conseil de guerre, déploya des prodiges d'ingéniosité et d'audace, dans le secteur occupé, dans l'Aisne, par la VIIe armée allemande.
Les civils restés dans les provinces annexées risquèrent leur vie pour renseigner le commandement français. Alfred Lazard, de Barr fut condamné, de ce chef, aux travaux forcés à perpétuité t mourut en prison. D'autres comme Camille Simonin, comme Arthur Francfort, dont les sentiments francophiles étaient connus de longue date furent arrêtés, par mesure préventive, à la veille de la déclaration de la guerre. A Mulhouse, à Westhoffen, à Colmar, à Strasbourg, à Sarrebourg, les peines de prison tombèrent dru sur les Bloch, les Dreyfuss, les Deutsch, qui avaient manifesté leur attachement la France. Certains, comme le docteur Hamburger de Colmar ou le docteur Elias de Mulhouse, réussirent à servir la cause française tout en échappant aux mailles de la police secrète allemande.
ii. la victoire.
Après avoir été à la peine et à la torture, les alsaciens-Iorrains furent enfin à la joie. A la suite de la signature de l'armistice, ils furent les premiers à accueillir les troupes victorieuses. A Bouxwiller et à Guebwiller, c'est le rabbin qui, sur l'invitation de la municipalité, a l'honneur de prononcer le discours devant l'arbre de la liberté. A Haguenau, le général Gérard est reçu par le chef des vétérans, Alphonse Geisenberger, emprisonné en juillet 1914 par les Allemands et chassé par eux d'Alsace. Le Président Poincaré a raconté avec émotion comment un centenaire, le "papa Kahn" de Westhoffen, avait fait cinq kilomètres à, pied pour le saluer. Dans chaque ville, dans chaque village, les témoignages de la fidélité française n'ont cessé de s'affirmer.
Au nombre des satisfactions éprouvées par le judaïsme d'Alsace et de Lorraine, il y a celle de pouvoir envoyer à nouveau les futurs rabbins à l'Ecole rabbinique de Paris et celle de pouvoir choisir d'ores et déjà des grands rabbins et des rabbins de formation française.