La conférence centrale des Grands Rabbins
de France
15 - 25 mai 1856
L'acte le plus important de la carrière rabbinique de Salomon Ulmann
est l'organisation de la Conférence centrale des Grands Rabbins de
France, dont il préside les délibérations à Paris
du 15 au 25 mai 1856. L'objet de cette conférence est d'étudier
les possibilités de réformer et d'alléger le culte synagogal,
dans le but de pallier l'abandon des fidèles qui désertent de
plus en plus les synagogues. De plus, une tendance à la réforme
se fait connaître depuis 1840, orchestrée par le journal des
Archives israélites
de France et les dirigeants du cultes israélites se doivent
d'adopter des positions claires en réponse à ces prétentions
novatrices.
Les réunions qui durent de deux à six heures, sont placées
sous la présidence du grand rabbin du Consistoire central du 13 au
23 mai (huit réunions), en présence des grands rabbins des circonscriptions
consistoriales : Salomon Ulmann, Arnaud
Aron de Strasbourg, D. Marx de Bordeaux, Lazare
Isidor grand rabbin de Paris, Isaac
Liberman de Nancy, Salomon Wolf
Klein de Colmar et S. Marx de Bayonne ; Isaac
Trénel est nommé secrétaire de la Conférence,
et S. Munk, le secrétaire du Consistoire central, est présent
pour donner son avis sur les questions administratives.
La première séance a lieu le mardi 13 mai,
à une heure de l'après-midi, mais les débats sur les
questions du programme sont ajournés, vu le retard - excusé
- des grands rabbins de Marseille et d'Alger. On se contente de lire le procès-verbal
des Conférences rabbiniques du Haut-Rhin et de celles du Bas-Rhin,
et des lettres des rabbins communaux donnant leur avis sur les questions du
programme ; la séance est levée à trois heures.
Le surlendemain, 15 mai, à midi et demie, tout le monde est réuni,
y compris D. Cohen, grand rabbin de Marseille, et Moïse
Weil, grand rabbin d'Alger.
Programme des questions posées à la conférence :
En plus des question s ci-dessous, d'autres thèmes seront abordés eux au cours des débats.
- Révision des piyoutim (1)
- Réintroduction d'une traduction en français de la Paracha
et de la Haphtara (2)
des Shabath
et des fêtes
- Réglementation de la psalmodie et du chant synagogal, dans le but
d'abréger la durée du service
- Moyens nécessaires généraux, pour rendre la célébration
du culte et des cérémonies digne, édifiante et instructive
- Introduction de l'uniformité dans les cérémonies
des mariages, funérailles ; l'office commémoratif pour les
morts, le jour de Kippour
- L'usage de l'orgue dans les temples consistoriaux
- L'initiation religieuse
- Les études religieuses pour les écoles
- La révision de l'enseignement religieux
- La tutelle des sho'hetim (3)
et des sopherim (4)
- Le statut des rabbins (assistance, costume), et le transfert de l'école
rabbinique centrale à Paris.
Résumé des débats
- Le 15 mai, le président ouvre les débats
par une allocution, dans laquelle il déclare que la présente
assemblée n'est pas un synode, mais une simple conférence,
une réunion ayant pour objet de fournir aux grands rabbins de France
l'occasion de s'éclairer mutuellement sur les besoins communs de
leurs circonscriptions, et d'échanger leurs idées sur les
moyens les plus propres à favoriser le progrès religieux et
moral de leurs coreligionnaires.
Le vieux grand rabbin de Metz, Mayer Lambert, s'excuse par lettre, vu son
grand âge et son état de santé - il était aveugle - de ne pouvoir assister
à cette réunion.
On décide de délibérer à la simple majorité.
Mais pour ne contraindre personne, on accepte"que la question d'opportunité
soit toujours réservée".
- Au sujet des piyoutim (1),
la première question du programme, la conférence déclare
que les chants et poésies connus sous le nom de piyoutim
peuvent être révisés ; que cette révision est
devenue nécessaire pour le bien du culte ; qu'en conséquence
le grand rabbin du Consistoire central sera chargé des modifications
qui pourront avoir lieu. Déjà, cette la première question,
une discussion s'éleve : d'une part, Klein et Libermann - et encore
ce dernier est timide et prudent - et, contre eux, tous les autres. On décide
malgré, leur opposition, de les réviser, mais que les changements
à introduire dans les diverses communautés seront faits à
la demande du rabbin local, et par une décision du grand rabbin de
la circonscription. La séance, qui a commencé à
à midi et demi, ne se termine qu'à cinq heures.
- Lors de la session du 16 mai (qui dure trois heures et
demi),
- il est résolu, en réponse à la deuxième question,
qui porte sur la réintroduction d'une traduction de la Paracha
et de la Haphtara (2)
des Shabath et des fêtes, que la conférence recommande de donner
des traductions fréquentes à la synagogue soit sous forme
de sermons, ou par une paraphrase de la Paracha ou de la Haphtara
du jour.
En réponse à la troisième question, sur la
réglementation de la psalmodie et du chant, dans le but
d'abréger la durée du service, la conférence, frappée
par les nombreux abus introduits dans le service par le manque de connaissances
religieuses du ministre officiant, et la latitude qui a été
leur a donnée de choisir selon leur bon plaisir de nouvelles mélodies,
et d'allonger les airs traditionnels, un règlement est adopté,
dont les principaux points sont les suivants :
- établir à Paris un comité chargé de réglementer
le chant liturgique, et de faire composer un recueil de chants qui devra
être introduit dans les synagogues de France ;
- réunir des comités chargés de réglementer
les offices et de prescrire un programme pour le ministre officiant
(‘hazan)
;
- préserver les airs traditionnels des formes allemande et portugaise
;
- interdire aux ministres officiants d'introduire de nouveaux chants
sans l'approbation du comité ;
- adopter une manière simple et naturelle de réciter
les prières ;
- exiger un certificat attestant la possession des connaissances religieuses
nécessaires avant l'admission au poste de ministre officiant.
- Dans la séance du 18 mai (qui dure trois heures
et demi),
- la quatrième question, portant sur les moyens nécessaires,
en termes généraux, pour rendre la célébration
du culte et des cérémonies digne, édifiante et instructive,
est ainsi résolue :
- Que les maîtres apprennent aux enfants les chants liturgiques
; que l'on récite les prières en réponse.
- La conférence exprime l'espoir que, dans la construction des
lieux de culte, on prenne en considération la nécessité
de fournir des espaces pour les deux sexes, et que dans toutes les synagogues
il y ait une place réservée aux les écoliers.
- Le Consistoire central recommande à nouveau, de la manière
la plus urgente, l'abolition de la vente des mitsvoth (5).
- 19 mai
- Le matin, les grands rabbins visitent les grandes institutions consistoriales
Dans la séance de l'après-midi (qui dure trois heures et demi),
il est résolu de recommander la restriction de la récitation
de Mi-sheberakh (6)
et de la prière Hashkavah (7)
de la forme portugaise. La conférence recommande également
d'introduire la coutume selon laquelle les parents imposent les mains sur
la tête de leurs enfants, lorsque les prêtres prononcent la
bénédiction sacerdotale dans la prière du Moussaf
(8)
; et de modifier la prière Av Harakhamim (9).
En ce qui concerne la cinquième question, l'introduction
de l'uniformité dans les cérémonies des mariages, funérailles,
etc. L'assemblée demande au grand rabbin du Consistoire
Central d'établir un règlement dans le but d'uniformiser le
service des mariages ; et concernant les enterrements, la conférence
exprime l'espoir que la plus grande uniformité puisse être
observée dans le service funéraire (10),
et demande au grand rabbin de donner des instructions sur ce point à
tous les rabbins français.
Après les débats, ils parcourent l'hôpital de Rothschild,
puis assistent à un dîner que leur offre le président
du Consistoire Central.
- Au cours de la séance du 21 mai (qui dure cinq
heures et demie),
- la conférence débat de la cinquième question : l'office
commémoratif pour les morts, le jour de Kippour, qui devrait
être institué, et dans lequel pourraient être mentionnées
toutes les personnes décédées au cours de l'année.
Quant à la sixième question, relative à un
office pour les femmes sortant de leur accouchement, la conférence
décide qu'il sera institué à la synagogue un office
pour la bénédiction des enfants des deux sexes, qui n'aura
lieu pour les garçons qu'après leur circoncision.
La conférence entérine l'usage de l'orgue dans les
temples consistoriaux :
"La Conférence, tout en déplorant la tendance à
entourer les cérémonies religieuses d'une pompe très
peu compatible avec le caractère de simplicité qui distingue
le culte israélite, déclare qu'au point de vue doctrinal :
il est permis d'introduire l'orgue dans les temples et de le faire toucher,
les jours de Shabath et fêtes, par un non-israélite. Toutefois,
l'établissement de l'orgue dans les synagogues ne pourra avoir lieu
qu'avec l'autorisation du grand rabbin de la circonscription, sur
la demande du rabbin communal." (11)
- La séance du 22 mai dure cinq heures.
- Concernant la septième question du programme, celle de
l'initiation religieuse, il est décidé qu'elle s'appellera
"la cérémonie de la majorité religieuse".
Les enfants n'y seront admis qu'après avoir prouvé leur aptitude
par un examen préalable. La conférence demande au grand rabbin
de proposer un ordre cérémoniel qui sera uniformément
adopté dans les synagogues françaises.
Quant à la huitième question, celle des études
religieuses pour les écoles (12),
la conférence a pris les résolutions suivantes :
- Jusqu'à ce qu'une école normale juive puisse être
établie, ou que des enseignants, diplômés des écoles
normales françaises, puissent être envoyés dans
une école choisie par le Consistoire central, certains officiants
juifs seront rattachés aux écoles normales du Haut et
du Bas-Rhin.
- Promouvoir la création d'écoles pour les israélites,
partout où cela est possible.
- Promouvoir la nomination d'enseignants juifs dans les établissements
publics fréquentés par des élèves juifs.
- Établir, sous l'inspection des grands rabbins, des cours réguliers
d'instruction religieuse pour les jeunes juifs.
- Encourager la formation d'établissements d'enseignement secondaire,
où les jeunes enclins à fréquenter les établissements
généraux puissent trouver les moyens de satisfaire aux
exigences de notre religion.
- Encourager l'édition et la diffusion des livres religieux,
et surtout ceux d'instruction et de dévotion.
- Concevoir un calendrier des étapes de connaissances religieuses
qui seront exigées des candidats masculins et féminins
à l'enseignement.
- Donner aux grands rabbins et aux rabbins locaux le pouvoir de visiter
fréquemment les écoles de leurs districts, pour se satisfaire
du souci accordé à l'instruction religieuse ; et concevoir
un programme d'études à introduire dans les écoles
de garçons et de filles.
- A la séance du 23 mai (qui dure quatre heures
et demie),
- Au sujet de la neuvième question du programme, la révision
de l'enseignement religieux, la conférence, sentant la nécessité
d'une révision complète, confie au grand rabbin du Consistoire
central l'exécution de ce travail.
Sur la dixième question, relative à la tutelle des
sho'hetim (3),
la conférence décide que, sauf cas particuliers, des certificats
d'aptitude ne seront plus délivrés aux sho'hetim
; que le retrait de l'autorisation pour un sho'heth serait certifié
par le grand rabbin de la circonscription au grand rabbin du consistoire
central, qui en informera alors tous les grands rabbins de France. Cette
règle sera appliquée aux sopherim (4),
et une surveillance sera exercée sur ceux qui s'occupent des choses
saintes, telles que tefillîn, mezouzoth, etc.
En ce qui concerne la onzième question, la conférence a résolu
qu'un fonds central sera établi, qui aura fonction de pourvoir à
divers besoins de la religion, tels que l'assistance aux veuves des rabbins,
l'assistance aux rabbins dans des circonstances extraordinaires, l'encouragement
aux enseignants, etc. Ils ont également résolu qu'un registre
statistique serai établi pour être tenu par les rabbins.
La conférence exprime les opinions suivantes : des démarches
devront être entreprises pour obtenir une pension de retraite pour
M. Mayer Lazare, directeur et professeur de
l'école centrale rabbinique de Metz, qu'il a si bien méritée
par les longs services rendus à l'établissement confié
à ses soins ; que l'école rabbinique centrale soit transférée
à Paris ; que les détenus juifs devront être exemptés
de travail les Shabath et jours de fête dans les prisons ; qu'un costume
particulier devra être adopté par les rabbins et les ministres
officiants (13).
La conférence décide qu'un résumé des résolutions
arrêtées sera communiqué aux journaux juifs français
; et qu'un compte rendu plus complet, accompagné d'une
lettre pastorale d'instruction et de la manière de les exécuter,
sera ensuite envoyé aux fidèles. On décide ensuite
que les conférences auront lieu tous les cinq ans ; et après
avoir remercié le président, le secrétaire Trenel et
M. Munk, la conférence est levée.
Les actes sont datés de Paris, 29 mai 1856, et certifiés par
S. Ulmann.
Sources :