Synagogue provisoire de Strasbourg par Charles Ehrlich |
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Les jours de fêtes de Tishri, il fallait une salle suffisamment grande pour accueillir la foule des fidèles, et c’est ainsi que le Palais des Fêtes fit fonction de synagogue jusqu’à l’inauguration de la Synagogue de la rue Broglie. C’était une salle qui appartenait à l’administration et qui dépendait du mess des officiers. Elle fut donc aménagée en synagogue provisoire et fut inaugurée en 1950. A veille de l’inauguration de la Synagogue de la Paix (le 22 mars 1958), le dernier office s'y déroulera à la sortie du Shabath ; celui-ci scellera la période provisoire des prières en la synagogue de la rue Broglie. |
Rosh-Hodesh Nissan, le mois de la libération de l'esclavage d'Égypte, la lecture sabbatique de la fin du Livre de l'Exode relatant l'érection du Tabernacle le premier jour de Nissan, l'éclat du soleil printanier, tout semblait s'accorder pour faire de cette journée la marque symbolique de la fin d'une époque douloureuse entre toutes, d'un renouveau de vitalité et de joie intense. Et pourtant cette joie ne pouvait se donner libre cours ni sur les visages des fidèles, ni dans leurs cœurs, contractés par des blessures encore mal cicatrisées. Le long cortège de ceux qui manquent à l'appel aujourd'hui, de ces chères figures de parents et d'amis, a surgi devant notre vision spirituelle, chacun à sa place dans la synagogue du quai Kléber. Un Temple, n'est-il pas vrai, n'est pas seulement un édifice plus ou moins spacieux, plus ou moins somptueux. Mais chaque place nous rappelle tel événement heureux, tel désespoir qui nous y a fait épancher notre cœur, tel réconfort que nous y avons puisé pour surmonter une douleur ou idéaliser une joie. Chaque stalle est empreinte de la personnalité de son occupant habituel qui y a laissé le meilleur de lui-même en mettant son âme à nu devant son Créateur.
Et c'est un lieu où puisse régner une telle ambiance qui a manqué à nos coreligionnaires strasbourgeois depuis plus de dix ans, ce lieu sacré où l'on se retrempe à l'abri de toute pensée profane, où aucun objet profane ne choque la vue et vers lequel l'âme aspire à l'heure de la prière. Le culte domestique est, certes, essentiel dans la vie juive et la prière particulière peut toucher Dieu quel que soit le lieu d'où elle monte vers Lui ; mais notre culte est un culte public, de même que nos prières, rédigées au pluriel, doivent en principe être récitées en commun. Il faut aussi qu'elles puissent être faites dans un cadre, dans une ambiance consacrée, pour monter comme le parfum des holocaustes. Et ce parfum, nous avons besoin de le respirer pour nous trouver entièrement en présence du Tout-Puissant.
Cette présence, nous pouvons de nouveau l'éprouver grâce à l'aménagement de notre synagogue provisoire. Or les briques peuvent être assemblées et cimentées, même un grand Temple pourra être construit de nouveau, mais hélas, tant de fidèles de l'ancien Temple, disparus dans la tourmente, ne verront pas le nouveau…
L'auteur de ces lignes s'excuse d'avoir laissé courir sa plume au hasard de ses réflexions au sortir de cette cérémonie émouvante et sous l'influence des flots d'éloquence dont se sont dégagés toutes ces pensées, avant d'arriver à remplir sa mission de relater la cérémonie proprement dire, laquelle était placée sous la présidence de M. Le Grand Rabbin de France.
L'enceinte sacrée était archi-pleine d'une foule recueillie. Sur l'estrade avaient pris place les plus hautes personnalités du Département (...)
Après un prélude d'orgue, l'Entrée solennelle des Tables de la Loi rendait non seulement un tableau saisissant, mais, au chant majestueux de Seou Cheorim, cette procession, grandiose dans sa simplicité, faisait planer sur l'assistance la She'hina, la présence de la Majesté de Dieu. Douze Seforime avancent lentement, portés, grands rabbins et rabbins en tête, par les personnalités les plus représentatives et les plus méritantes. Le cortège s'immobilise devant l'Arche Sainte. M. le Grand Rabbin Deutsch, maîtrisant son émotion, prononce une prière sublime de consécration du Temple. Rappelant le sacrifice de près de mille victimes strasbourgeoises et leurs indicibles souffrances, il demande à Dieu d'exaucer les prières des survivants qui consacrent cette maison - lieu de prières pour toutes les nations de la terre - à sa Gloire comme un gage perpétuel de notre fidélité. Dans le plus profond recueillement, on allume le Ner Tomid, la Lumière Eternelle, symbole de la présence permanente du Seigneur dans cette enceinte.
La procession se reforme pour les Hakofaus au chant d'invocation de Sim'hath Torah et le Président de la Communauté place enfin les Rouleaux Sacrés dans l'Arche Sainte. Puis éclate majestueusement le Etz Haïm.
Maître
BING, président de la Communauté,
souhaite la bienvenue à tous, en particulier, et tour à tour,
aux autorités. Il veut voir dans leur présence, non seulement
une marque de sympathie, mais surtout le symbole d'un pays où les hommes
ne sont pas jugés d'après leurs croyances ou leurs origines,
mais selon leurs mérites. Ses remerciements vont à tous ceux
qui ont secondé les efforts de la Commission administrative, à
M. Le Préfet, à M. le Maire, au Général. Il exprime
la reconnaissance de la Communauté aux architectes, entrepreneurs et
ouvriers qui ont redoublé de zèle pour mener la tâche
à bien. D'une fonderie de canons, l'édifice s'est transformé
en Temple, comme le prophète Isaïe, dans une vision sublime, voyait
"les glaives transformés en socs de charrue".
Il termine sur le vœu que l'évolution du monde suive le même
chemin pacifique.
Après le chant des derniers versets du Psaume 116, Monsieur
le Grand Rabbin DEUTSCH montait en chaire.
L'orateur consommé, à la pensée profonde et au verbe pénétrant, s'est surpassé lui-même. Il serait présomptueux de vouloir, en quelques
phrases, analyser un sermon d'une telle élévation. Stigmatisant le geste
sacrilège des Allemands, inspirés d'une idéologie satanique, le Grand
Rabbin s'élève au-dessus des
contingences dogmatiques pour constater que temples et églises représentent le
noyau de la santé morale des peuples. Les édifices religieux sont les piliers
de toute civilisation et peuvent seuls garantir le respect de la personne
humaine. L'abandon des lieux de prières, c'est la chute du monde dans le chaos.
La présence des plus hautes autorités temporelles et spirituelles de contes les
confessions signifie, pour l'orateur, le témoignage de leur compassion à nos
souffrances passées et la condamnation de toute atteinte à la personne humaine.
Reprenant le thème historique de la construction du second Temple après le
retour de la captivité de Babylone, le Grand Rabbin cite le prophète Aggée :
Ce fut enfin de tour de Monsieur le Préfet PAIRA
qui, dans
une rhétorique sobre, précise et fleurie à la fois, a associé le Gouvernement à
cette cérémonie. En des termes émouvants, l'orateur évoque le sombre cortège de
smilliers d'hommes, de femmes et d'enfants qui ont payé de leur vie leur
appartenance à notre confession, souvenir qui hantera ce Temple. Le premier magistrat
du Département tire le sens profond de cette manifestation en saluant la
résurrection de notre Communauté par la consécration de ce lieu de culte. Après
avoir pansé ses plaies, le judaïsme strasbourgeois affirme sa vitalité, sa foi
et son espérance. M. le Préfet, faisant allusion aux obstacles rencontrés par
la Commission administrative dans sa tâche de reconstruction, et qui furent
souvent aplanis par son bienveillant appui, veut y voir une illustration des
difficultés mêmes du pays. Mais il en conclut que, si les Français sont de
bonne volonté et unis, ils arrivent à frachir tous les obstacles. l'orateur se
rend compte que la solution actuelle et toute provisoire ne pourra être que de
courte durée et ne saurait satisfaire ceux qui ont la charge des intérêts de la
communauté.
Les
paroles de sympathie de M. le Préfet ont été hautement appréciées par toute
l'assistance.
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