Monique EBSTEIN
1936 - 2013
par Alain KAHN

Cette évocation de Monique EBSTEIN za"l a été possible grâce au témoignage de Freddy RAPHAEL qui l'a accompagnée jusqu'à ses derniers instants avec une émotion qu'il a du mal à dissimuler tant sa proximité était grande avec cette femme hors du commun, qui était devenue son épouse.


Le parcours de Monique Ebstein est celui d'une professionnelle reconnue et d'une intellectuelle juive engagée. Elle est née en 1936 à Strasbourg. La guerre est venue très tôt et, réfugiée au Puy en Velay, elle a été profondément marquée par le christianisme dans le monde duquel elle a été amenée à vivre. Après la guerre, elle a fréquenté à Strasbourg l'institution Notre Dame de Sion. Assez paradoxalement, elle a eu une formation et une sensibilité chrétiennes tout en se rendant compte qu'elle ne faisait pas vraiment partie de ce monde. Elle se sentait à la fois "dedans", mais surtout "à la marge".

A ce moment de sa vie, elle ne connaissait pas grand-chose du judaïsme. C'est en recherchant à reconstituer l'histoire de sa famille, à travers la généalogie, qu'elle a commencé à s'intéresser à l'histoire et à la culture des juifs d'Alsace, et à reconstruire son identité juive.

Interprète

Sur le plan professionnel, après avoir passé le bac, elle avait rejoint l'école d'interprétariat de Milan pour devenir interprète. Puis elle suivit une formation littéraire à la Faculté des Lettres à Strasbourg où elle s'ouvrit vers d'autres cultures, espagnole et allemande. Son intérêt pour la littérature italienne, espagnole et allemande fut impressionnant.

Par ailleurs, elle maîtrisait sept langues. A la fin de sa vie alors qu'elle était blessée gravement à la tête elle continuait à parler en portugais ou en espagnol, à réciter par cœur des poèmes de Ronsard, Du Bellay et Verlaine. Ce goût pour la littérature et pour les langues lui venait de sa formation en Italie, où elle s'était passionnée pour l'opéra. Elle allait souvent à la Scala et jouait magnifiquement du piano.

Entrée aux Commissions Européennes, elle fut interprète toute sa vie. Ce qui ne l'empêcha pas d'acquérir d'autres passions comme la peinture, notamment celle de Munch, et la sculpture. Ces goûts très éclectiques, la conduisirent à une véritable fringale pour la littérature, la musique et la peinture. Elle connaissait par cœur de nombreux airs d'opéra et de poèmes.

Reconstruction de son identité juive

Sa découverte du judaïsme passa par ses recherches généalogiques. Elle découvrit que sa famille était originaire de Wintzenheim (Haut-Rhin) et qu'elle avait d'illustres prédécesseurs comme Cerf Berr ou le grand rabbin Sintzheim. Elle avait aussi des liens, comme Freddy Raphaël, avec la famille de l'historien Marc Bloch. Le centre de gravité de ses recherches se situait à Wintzenheim, Rosheim et Strasbourg.

Progressivement, elle a ainsi découvert en particulier une figure de référence qui faisait partie de ces petites gens, ces personnages si attachants de la "kehila" (la communauté). Ainsi, l'une de ses arrière grand'mères avait le surnom de "Gchér Echter", Esther La Vaisselle, car, depuis Wintzenheim, elle arpentait avec une voiturette en osier remplie de vaisselles les villages du vignoble. Elle était connue dans toute la région mais le soir elle rentrait à Wintzenheim où elle s'occupait de la Société des Dames, qui venait au secours des gens humbles. Son activité était bien connue chez les non-juifs. Monique Ebstein lui a été fidèle en assumant la responsabilité de la "Hevra Kadisha" pour les femmes de sa communauté bruxelloise.

A partir de là, Monique Ebstein a reconstruit intellectuellement son identité juive par de très nombreuses lectures. L'axe principal, la ligne de crête de ses recherches, était d'essayer de comprendre la tension dans le judaïsme entre foi et raison. C'est cela qui l'a structurée. Elle a été amenée à s'intéresser à RAMBAM (Maïmonide), à Moses Mendelssohn et à la "Haskala" allemande. Elle a poursuivi sa quête en découvrant les grandes figures du hassidisme. Martin Buber est devenu pour elle une référence particulièrement importante. Elle a étudié les oeuvres d'André Neher et d'Emmanuel Levinas, et s'est constituée une bibliothèque de plusieurs milliers d'ouvrages.

Il ne s'agissait pas pour elle d'une simple curiosité intellectuelle, mais d'un réel besoin de se forger une culture, une sensibilité juive à partir de ces auteurs. Son grand intérêt pour la créativité juive l'a conduite à avoir une prédilection pour Isaac Bashévis Singer et la riche littérature yiddisch. Elle a ainsi relégué son intérêt pour la poésie au second plan, l'axe principal de sa vie étant l'étude des penseurs juifs.

Mendelssohn, Scholem, Baeck

Domiciliée à Bruxelles, elle avait rejoint très tôt la communauté libérale de la ville. Cette "kehila" s'était créée autour du rabbin Dahan, retraité aujourd'hui, qui avait suivi une formation à l'école rabbinique et s'était engagé ensuite dans le judaïsme libéral. Elle avait épaulé le rabbin en devenant la responsable culturelle de la communauté. Ils ont créé une publication qui s'appelle "Shofar", un bimensuel dont Monique Ebstein fut la rédactrice en chef pendant de nombreuses années. Elle a publié dans ce journal des articles qu'elle a repris ensuite dans de petits livrets sur Moses Mendelssohn, Scholem et Léo Baeck, ses auteurs de prédilection. Elle établit pour chacun d'eux le cheminement d'une vie et d'une pensée. Ce qui l'intéressait, c'était la quête, la soif de connaissance. Elle a organisé la bibliothèque de sa communauté et y a travaillé  efficacement. La communauté libérale de Bruxelles connaît localement un développement important.

Engagement communautaire

Monique Ebstein s'était aussi engagée dans l'action sociale. Hors de sa communauté, elle participait aux activités de mouvements comme Amnesty International et à des organisations qui s'occupaient d'alphabétisation. Son implication dans l'aide aux S.D.F. allait au-delà de ce que souhaitaient ses proches. Elle avait même logé et abrité chez elle une S.D.F. qui dormait dans la rue. Elle mettait en pratique ses principes d'une façon conséquente.

A côté de cet engagement actif dans la société, elle a accompli un énorme travail social dans  sa communauté en direction des personnes âgées. Chaque Shabath, elle allait chercher des personnes en voiture pour les amener à l'office, n'hésitant pas à faire parfois plusieurs voyages successifs. Par ailleurs, elle rendait souvent visite à des personnes âgées séjournant dans des institutions juives. Elle a aussi créé une activité qui fonctionnait admirablement bien dans la communauté : le "Café Klatch", des rencontres autour d'un café et des gâteaux pour "klatcher", pour bavarder. Une fois par mois, trente à quarante personnes, qu'il faut également convoyer, venaient partager un après-midi convivial autour d'un thème de discussion. Freddy Raphaël a assisté à de telles rencontres et il a été impressionné de voir combien les participants s'épanouissaient : ils pouvaient parler à d'autres personnes, ils pouvaient évoquer leur point de vue. Le débat était introduit par le rabbin ou par Monique Ebstein de façon à ce qu'il y ait chaque fois une base de discussion. Les personnes âgées étaient vraiment réactives et cette activité fonctionne toujours de cette manière aussi satisfaisante. Le rabbin la poursuivra seul lorsque Monique Ebstein tombera malade.

Rabbi Josselmann de Rosheim

Au-delà de ces activités, Monique Ebstein avait à son actif une production intellectuelle axée autour de la traduction de l'ouvrage de Selma Stern sur Rabbi Josselmann de Rosheim. Cela lui a pris cinq ans de travail en commun avec Freddy Raphaël, cinquante pages de présentation de l'ouvrage paru aux Editions de la Nuée Bleue ainsi que de nombreux commentaires tendent à structurer et à cadrer l'histoire de ce personnage hors du commun représentatif du judaïsme alsacien. Avec Freddy Raphaël et leurs amis les plus proches du Bnaï Brith, elle a conçu une exposition sur Josselmann sous un double mode : français et allemand. Les villes qui l'accueillent ont l'obligation de l'enrichir par des documents propres à l'histoire des juifs à cette époque.

Dans l'ensemble le bilan à ce jour est largement positif puisqu'il y a eu affluence à Strasbourg, Haguenau et Sélestat. L'exposition est aussi accueillie en Allemagne. Elle était à Spire puis à Erfurth et Breisach et il est prévu qu'elle aille à Essen et Augsbourg. L'implication locale est allée au-delà de ce que les organisateurs pouvaient espérer et chaque fois des conférences particulièrement suivies sont organisées. Monique Ebstein est tombée malade il y a quatre mois ; quinze jours auparavant elle avait présenté l'exposition et fait une conférence à la Faculté de Nancy.

Wintzenheim

Un autre axe de sa production intellectuelle a été le livre collectif sur les cimetières juifs d'Alsace (Cimetières d'Alsace, un patrimoine à préserver - Rosenwiller et Wintzenheim, une publication de la Société Savante d'Alsace et de l'Association pour la connaissance et l'étude du patrimoine de l'Alsace - 2012) dans lequel elle a écrit en commun avec Freddy Raphaël deux articles sur le cimetière juif de Wintzenheim et deux articles sur les cimetières juifs d'Alsace. Monique Ebstein et Freddy Raphaël avaient été informés par des ouvriers turcs qu'à Wintzenheim se trouvaient des matzevoth, des pierres tombales, dans quelques jardins. Ils n'ont pas hésité à les "récupérer" pour les remettre au cimetière sans que personne ne leur ait jamais demandé ce qu'ils faisaient dans ces jardins, sans qu'aucune réclamation ne leur a été adressée !

Le dernier travail auquel Monique Ebstein a participé est l'étude des plus vieilles tombes de Wintzenheim. Sur chaque page de cet ouvrage, Le Livre de Mémoire du Cimetière israélite de Wintzenheim, 1796-1881, figure une photo de la "matzevah", la transcription de l'inscription hébraïque qui y figure, sa traduction et des éléments de généalogie.

Monique Ebstein aura été fidèle jusqu'au bout à ses principes, à ses engagements, à son amour de la vie et à son humour. A son soucis de la langue et de son exactitude aussi : sur son lit d'hôpital, elle corrigeait encore ses proches à propos d'une "faute" d'accord !

       Alain Kahn      
       (mars 2013)      
Textes de Monique Ebstein sur notre site

Ecrits en collaboration avec Freddy Raphaël

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