Une rencontre avec Jack MEYER-MOOG dit "Loup" (suite et fin)

J. A. :
Votre engagement communautaire après guerre a-t-il commencé avec la Jeunesse Juive de l'Est ?
Loup :
Non, j'ai d'abord continué à être actif chez les E.I. et je leur suis toujours resté fidèle. J'ai été aussi à l'origine de la résurrection des E.I. à Belfort, Besançon, Nancy et surtout de l'aménagement de l'Auberge E.I. à Sainte Croix, sans oublier l'accueil là-bas, sur le plateau, des jeunes d'Algérie et du Maroc. J'étais d'ailleurs responsable régional des Eclaireurs Israélites de France de 1956 à 1983 et j'étais membre du Conseil d'Administration des E.I.F. à Paris de 1956 à 1983. Il a été question de la Jeunesse Juive de l'Est dès les années 50 à titre tout à fait complémentaire. Il y avait un besoin local, régional que j'ai découvert à Nancy. Une réunion avait été organisée par André Neher pour la jeunesse de cette ville. Comme André Neher avait un empêchement, il m'a demandé de le remplacer. C'est là que j'ai découvert qu'il fallait répondre localement à cette jeunesse d'après guerre qui aspirait à une meilleure implication dans la vie juive et il s'agissait de jeunes et de jeunes adultes. Ils exprimaient un réel besoin d'organisation, d'encadrement à leur mesure pour permettre de rassembler les isolés. Ainsi des rencontres furent organisées notamment à Strasbourg et à Nancy des veillées, des soirées et pour pouvoir poursuivre l'expérience un comité a été constitué et il perdure jusqu' aujourd'hui.

J. A. :
A partir de là, comment la JJE a-t-elle évolué ?
Loup :
Il a été décidé de pérenniser cette initiative qui répondait à un réel besoin. Des séminaires, des cours, des soirées avec conférenciers, des soirées repas, etc … seront dorénavant proposés à un public composé essentiellement de jeunes adultes. Sans ce genre de manifestations, les possibilités de rencontres étaient très réduites et on sentait qu'il fallait faire quelque chose dans ce domaine. Le secteur concernait l'Alsace, la Lorraine, Besançon, Belfort et petit à petit les structures de l'association se sont mises en place. Le grand rabbin Max Warschawski a fait partie du Comité pour souligner tout l'intérêt qu'il accordait à cette démarche. Pour les petites communautés d'Alsace, un organisme parallèle, la JJPCA (Jeunesse Juive des Petites Communautés d'Alsace) fonctionnait également pour parer au manque d'activités pour les jeunes notamment durant les week-ends dans les petites communautés ne disposant pas de structures suffisantes pour faire face à ce problème.

J. A. :
Les résultats de la JJE ont-ils correspondu à votre attente ?
Loup :
Pour nous il s'agissait de lutter contre l'assimilation, on se disait qu'en proposant de telles activités ainsi que des voyages, les jeunes juifs allaient se rencontrer, allaient se rendre compte que quelque chose se faisait pour eux et qu'ainsi des amitiés se créeraient et qu'un avenir juif pouvait se dessiner pour eux. Nous avons très vite pu créer un fichier d'environ 2000 noms et les jeunes venaient de tous les horizons, des étudiants comme des jeunes exerçant déjà des professions.

J. A. :
Quelles ont été les activités principales ?
Loup :
Il fallait proposer des activités culturelles et des activités de loisirs. Ainsi les vacances d'été étaient toujours l'occasion de proposer des voyages de quinze jours ou trois semaines. Pendant ce laps de temps, les jeunes pouvaient mieux se connaître puisqu'ils vivaient une expérience en commun. A partir d'une "havroutha", une amitié solide, une confiance réciproque, les perspectives pour les uns et les autres pouvaient évoluer positivement puisque des mariages s'en sont suivis et c'était chaque fois une réelle satisfaction pour nous tous. Nous avons ainsi organisé chaque année des voyages dans des pays lointains comme les USA, Israël, la Chine, l'Afrique du Sud, la Roumanie, l'Ethiopie etc … Durant l'année nous organisions des rencontres dans la montagne ou dans un château et au cours du repas nous faisions venir des conférencier de renom comme Frédéric Pottecher, Daniel Mayer ou Marcel Haedrich et bien d'autres. Là aussi c'était des moments passionnants, car on sentait que l'ambiance y était, qu'il y avait une participation "positive", beaucoup de jeunes se connaissant déjà, et que des nouvelles personnes étaient attirées par ce mouvement, par cette dynamique.

J. A. :
Quelle est la situation actuelle de la JJE ?
Loup :

La situation a beaucoup changé car la demande est désormais tout autre. Les voyages sont beaucoup plus faciles à organiser par les particuliers eux-mêmes, les destinations se multiplient et le besoin en confort est beaucoup plus présent. L'esprit "camping" n'existe plus comme par le passé et les agences de voyages sont incontournables. Pourtant, nous arrivons encore à proposer chaque année des voyages lointains comme le Pérou ou la Bolivie pour des jeunes célibataires de 20 à 50 ans. Nous avons une très bonne équipe à Strasbourg et une aide toujours précieuse d'Odette Lang de Paris qui a d'ailleurs réalisé de très beaux comptes rendus de nos voyages en présentant en particulier des livres illustrés de photos remarquables sur les différentes synagogues lointaines qui ont été visitées. Ainsi, nous tenons toujours à proposer de tels voyages "casher" et respectant bien entendu le Shabath car il est important de renforcer l'état d'esprit que nous voulons encore et toujours promouvoir. Nous proposons aussi à notre public des rencontres durant l'année pour continuer à remplir notre mission. Toutes les bonnes volontés seront bien entendu les bienvenues !

J. A. :
Loup (au centre) lors de la visite du Pape Jean-Paul II
(qui serre la main du Grand Rabbin Gutman)
à Strasbourg, le 9 octobre 1988
Avez-vous eu d'autres activités pour la jeunesse ?
Loup :
A près la guerre, j'ai été amené à m'occuper du jardin d'enfants communautaire. Avant la guerre celui-ci s'appelait le jardin d'enfants "Brunschwig" du nom du regretté rabbin Brunschwig qui avait dirigé la communauté Kageneck qui à l'époque faisait partie intégrante de la communauté. Mais des problèmes financiers se sont posés pour le faire fonctionner à nouveau et le président de la communauté, qui était alors René Weil a désigné quatre membres dont j'étais pour remonter un jardin d'enfants et j'en suis devenu le président. Pour une communauté, il est essentiel de proposer un tel établissement qui est à la base de l'éducation juive. Une première tentative a eu lieu en 1963 rue Finkmatt puis tous les efforts, conjugués avec le dynamisme de Rolande Klein et de Mireille Warschawski, se sont concentrés pour assurer le fonctionnement du "Gan Chalom", au nom du grand rabbin Ernest Weill, au centre communautaire dont disposait la communauté depuis 1958 grâce à la construction de la nouvelle grande synagogue aux Parc du Contades. Je précise que j'ai été président de ce jardin d'enfants de 1964 à 1978, et en tant que président honoraire je suis toujours membre de son comité qui effectue un travail remarquable.

J. A. :
Après les éclaireurs, la JJE et le Gan Chalom, votre action s'est-elle située plus largement sur le plan communautaire ?
Loup :
Oui, dès 1967 j'ai été membre de la Commission administrative de la Communauté de Strasbourg. J'y ai siégé jusqu'en 1974 date à laquelle j'ai assumé les fonctions de vice-président. J'étais toujours très attaché au bon déroulement des offices mais au départ, une urgence préoccupait tous les esprits puisqu'en 1968 il a fallu préparer l'accueil de nos frères rapatriés d'Algérie et leur assurer un hébergement convenable. Un foyer d'accueil avait été créé et des lits avaient pu être réservés dans des auberges de jeunesse. Je me rappelle que certains rapatriés devaient aller à Haguenau, comme ils sont allés dans d'autres villes du département, et j'ai alors transporté quarante matelas depuis Sainte-Croix dans et sur ma voiture pour les déposer à temps dans un lycée qui devait accueillir une centaine de personnes provisoirement en les installant sous des tentes. Au niveau de la communauté de Strasbourg, chacun a retroussé ses manches pour assurer un minimum de confort à celles et ceux qui en avaient réellement besoin. Un état d'esprit positif, constructif, s'était instauré grâce notamment à l'action exemplaire d'André Neher qui allait bientôt faire son alyah, ainsi que du rabbin Hazan qui avait été également particulièrement apprécié : la première alyah des jeunes de Strasbourg lui est due !

J. A. :
Comment la communauté a-t-elle pris en compte les nouveaux arrivants ?
Loup :
La Communauté a beaucoup œuvré pour leur intégration car il était évident que les données allaient changer, qu'un bouleversement s'opérait. Il fallait assurer le quotidien des rapatriés, leur permettre de trouver leurs nouveaux repères et en même temps ils faisaient bien sûr partie intégrante de la Communauté. Leur venue a eu des incidences à tous les niveaux. Pour les offices il était normal qu'ils puissent s'organiser selon leur rite propre et en même temps, grâce notamment à André Neher, des échanges fructueux s'ébauchaient déjà. Au niveau scolaire, les conséquences de la nouvelle situation se sont très vite fait sentir puisqu'il fallait adapter les classes au nombre croissant d'élèves inscrits. La vie communautaire a ainsi véritablement trouvé un nouveau souffle, un nouveau dynamisme, et chacun pouvait y participer en conservant ses propres traditions.

J. A. :
Tous ces événements vous ont conduit à donner à votre engagement une nouvelle direction…
Loup :
Oui, bien sûr, les problèmes étaient tellement importants et nombreux que je me rendais compte qu'au niveau communautaire les choses allaient dans le sens que je souhaitais. Alors, j'ai voulu donner une nouvelle direction aux actions que je pouvais mener et c'est ainsi qu'en 1974 j'ai été élu membre du Consistoire Israélite du Bas-Rhin et j'en devins l'un de ses vice-présidents, j'en suis d'ailleurs encore aujourd'hui le premier vice-président et cela depuis 1998.

J. A. :
Quelle est la spécificité du Consistoire Israélite du Bas-Rhin ?
Loup :

Loup (à gauche) lors d'un voyage à Auschwitz organisé par la Communauté Israélite de Strasbourg - au premier plan, Jean Kahn
Le Consistoire est un organisme qui émane du Concordat et sa spécificité réside en cela comme pour le Haut-Rhin et la Moselle. Il est le représentant officiel du judaïsme auprès des autorités publiques. Il assume ainsi la gestion de l'ensemble des synagogues et des cimetières du département au niveau de leur fonctionnement comme de leur entretien. Il s'agit surtout d'assurer le bon fonctionnement des communautés, au premier rang desquelles se trouvent Strasbourg, leur sécurité, d'organiser et de vérifier les élections consistoriales et communautaires, de gérer les postes de grand rabbin, de rabbins, de dayanim (juges rabbiniques) et de 'hazanim (ministres officiants), de s'impliquer dans la casherouth pour que celle-ci soit incontestable, garder aussi un œil sur les organismes sociaux et aussi les écoles et institutions juives. Le problème majeur a été la reconstruction des synagogues ou leur restauration. Désormais il s'agit d'assurer leur survie dans le secteur rural où les synagogues et les cimetières sont souvent dans un état critique et surtout dans les endroits où il n'ya pratiquement plus de vie communautaire. C'est un travail de longue haleine et comme mes origines m'ont vraiment attaché à tout ce qui concerne le judaïsme alsacien, cette action va de soi, elle fait partie de ma façon d'aborder les problèmes, de trouver des solutions avec celles et ceux qui sont "partie prenante" dans un état d'esprit de concertation et d'amitié. Le président en fait est Jean Kahn, qui est également président de l'ensemble des communautés de France, quel homme courageux et méritoire !

J. A. :
Malgré ces lourdes tâches, vous êtes également engagé dans des secteurs sensibles comme votre action au sein de l'APAJ ?
Loup :
Oui, j'ai pris à cœur de m'occuper de l'Association des Parents et Amis des Handicapés Juifs dont je suis le vice-président fondateur depuis 1980. Avec un comité dont le président est le Professeur Jean-Marc Lévy, il s'agit d'assurer le fonctionnement d'un foyer pour handicapés mentaux à Schiltigheim qui a été appelé "Le Buisson Ardent". Nous pouvions accueillir environ quinze personnes et désormais, grâce à un nouveau bâtiment ce sont vingt-cinq personnes qui pourront être pris en charge. Héberger ces personnes fragiles, leur donner des activités est vraiment nécessaire car la société doit pouvoir faire face à ses responsabilités dans ce domaine sensible et nous nous y employons de toutes nos forces avec une équipe compétente qui sait faire preuve de cette abnégation sans laquelle un tel projet ne pourrait pas voir le jour. Cet établissement, sis au n° 87 de la rue d'Adelshoffen à Schiltigheim, est dirigé par cet homme si intègre qu'est M. Pax.

J. A. :
Votre regard sur les autres vous a conduit à vous investir dans un autre domaine où l'abnégation est également de rigueur…
Loup :

En effet, j'ai toujours tenu à ce que les derniers honneurs puissent être rendus dignement, conformément à la tradition juive, à un être qui vient de perdre la vie quel qu'il soit, quelque soit sa situation. Je dois dire que la Hevra Kadicha Metaharim remplit son rôle avec beaucoup de conscience et j'en ai été le président pendant près de vingt ans à partir de 1982. Assurer la toilette mortuaire, consoler les affligés que l'on rencontre en ces circonstances, procurer les vêtements mortuaires aux indigents, assurer des veillées selon les souhaits des familles, investir dans le matériel nécessaire pour cette fonction, telles sont les activités principales d'une équipe qui ne rechigne jamais à remplir son devoir en toute simplicité et sans compter le temps ainsi consacré au disparu. C'est un véritable "don de soi" qui rend humble car il permet de rendre un véritable service à autrui sans aucune arrière pensée et sans attendre le moindre remerciement. L'association compte environ 700 membres et une équipe de quelques 25 personnes est toujours prête à remplir son devoir et même à se rendre dans les autres communautés du Bas-Rhin lorsque cela s'impose. De plus, la Hevra Kadichah verse elle-même des dons à certaines œuvres et participe à l'achat des pierres tombales pour les démunis. Elle organise par ailleurs, chaque année à Shavouoth et à Hoshanah Rabba, la veille des derniers jours de Soukoth, un lernen, une soirée d'étude avec collation, au cours duquel elle retrouve ses nombreux amis et soutiens dans une ambiance toujours conviviale.

 

J. A. :
Avoir toutes ces responsabilités, cela n'implique-t-il pas qu'il faut toujours former ou être entouré d'une équipe solide ?
Loup :
Bien sûr, et c'est certainement l'aspect le plus passionnant que revêt toutes ces activités. Il s'agit toujours de rencontres et elles ont été souvent exceptionnelles, enrichissantes et motivantes. Je pense notamment au remarquable président du Consistoire que fut le regretté René Weil, qui m'a beaucoup appris, et puis aujourd'hui, je voudrais dire combien Jean Kahn est pour moi l'exemple même de l'engagement pour la communauté de Strasbourg, d'Alsace et de France. J'ai travaillé avec lui pour la communauté, maintenant pour le Consistoire et ses responsabilités nationales et internationales lui donnent une dimension rarement égalée. J'ai toujours eu la chance d'avoir aussi de très bonnes relations avec les différents grand rabbins qui se sont succédés, du grand rabbin Abraham Deutsch à, actuellement, le grand rabbin René Gutman en passant par le grand rabbin Max Warschawski et qui m'ont toujours soutenu dans mes nombreuses démarches. Je dois dire que c'est ce climat de confiance qui s'est instaurée entre nous, comme c'est le cas avec tous ceux avec lesquels j'ai la possibilité d'œuvrer pleinement, qui est avant tout déterminant. N'est-ce pas grâce au respect réciproque que les choses peuvent le mieux aller de l'avant ?


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