Les Juifs dans la Ville de Paille
Alexandre Doterlé dit Todros Breisich (1644-1709)
Salomon PICARD et Robert WEYL
Exposé au Colloque de la Société d'Histoire des Israélites d'Alsace et de Lorraine

La Ville de Paille (1670-1700)

Louis XIV, pour s'assurer la possession paisible de l'Alsace, qui lui avait été abandonnée par le traité de Westphalie, s'empara de quelques places fortes sur la rive droite du Rhin, Phillipsbourg, Fribourg en Brisgau, la ville ancienne et forteresse de Brisach, la tête de pont de Huningue, le fort et le village de Kehl. Il fit aussi construire à la hauteur de Haguenau la forteresse de Fort-Louis avec sur la rive droite l'ouvrage du marquisat de Bade.

La possession de la forteresse de Brisach était capitale. Située sur un rocher volcanique, elle dominait la plaine du Rhin de ses 58 mètres et verrouillait le sud de l'Alsace. On pouvait à l'abri de ses ouvrages assembler une troupe, aussi bien pour envahir l'Allemagne, ou la France, que pour couper un envahisseur de ses arrières. La forteresse avait beaucoup souffert lors de sa conquête. Louis XIV décida de la remettre en état. Pour loger les ouvriers durant les travaux, le roi ordonna la construction d'une ville nouvelle, non loin du Fort-Mortier, sur une île du Rhin, séparée de la rive gauche par un bras, "der grüne Giessen".

La construction commença vers 1670. Elle porta d'abord le nom de Ville de Paille ou Strohstadt, car les maisons étaient faites de rondins ou de planches couvertes de chaume. Voici comment Henri de l'Hermine décrit cette ville dans ses Mémoires de deux voyages et séjours en Alsace, 1674-1676 et 1681. "Je considérais avec étonnement les milliers d'ouvriers qui fourmillaient de quelque côté que je portasse la vue, car outre les maçons qui travaillaient au revêtement des courtines, il y avait beaucoup d'hommes qui étaient occupés à remuer la terre (p.50). La plupart des ouvriers pour les fortifications étaient campés du côté de l'Alsace sous des baraques, dans un endroit près de la rivière que l'on appelait la Ville de Paille" (p.51).

Peu à peu les baraquernents furent remplacés par des maisons en dur, surtout lorsque le Conseil souverain d'Alsace fut transféré à Brisach. Établi à Ensisheim en 1658, il s'installa à Brisach vers 1680. Il fallut loger deux cents gens de robe dans la ville haute inconfortable, dans le bruit des hommes d'armes, au son des tambours et des fanfares. En accord avec le roi, on décida de construire dans l'île une nouvelle cité en dur. Les rues se coupaient à angle droit sur un plan très régulier. Les maisons en pierre, en briques, peut-être en colombages, étaient entourées de jardins. Une puissante digue avec revêtement de maçonnerie mettait l'île à l'abri des inondations. L'église Saint Jean-Baptiste et le palais du Conseil souverain ne furent achevés qu'en 1692.

La cité nouvelle prit le nom de Ville Neuve de Brisach, puis de Saint-Louis-lès-Brisach. Il existe une certaine confusion chez les auteurs qui lui donnent le nom de Neufbrisach ou Neubreisach ou Saint-Louis. Le peuple d'Alsace continua à appeler la ville, un peu par dérision, Strohstadt ou Strohinsel, car elle disparaissait au milieu des roseaux qui l'environnaient (1).

Nous assistons en 1697 à un renversement de la situation. Pour avoir la paix, le roi fut contraint de signer le traité de Ryswick, qui marqua le début du déclin du règne. Les conditions furent très dures pour la France. Le roi s'engageait a abandonner toutes les places fortes situées sur la rive droite du Rhin, notamment le fort de Brisach, dans l'état où il se trouvait avec ses greniers, arsenaux fortifiés, remparts, murailles, édifices publics et particuliers, et toutes les dépendances se trouvant sur la rive droite. Il conservait sur la rive gauche le fort Mortier, mais devait démolir la ville neuve, le fort et le pont se trouvant dans l'île sur le Rhin.

Si Strasbourg restait à la France (il s'en fallut de peu qu'elle ne la perdit) et se trouvait à l'abri de sa citadelle, l'Alsace du sud était nue. Il fallait poser un nouveau verrou à la hauteur de Colmar ou de Brisach, pour compenser la perte de la forteresse. Vauban et le maréchal d'Huxelles recommandèrent au roi la construction d'une citadelle, à l'abri des canons de la vieille forteresse de Breisach, mais assez proche pour lui faire échec, s'appuyant comme avant-poste sur le fort Mortier. C'est ainsi que naquit Neuf-Brisach, construite par de Règemorte sur les plans retenus par le roi, en rase campagne.

La construction dura de 1698 à 1705, mais dès 1700 Neuf-Brisach fut habité. Les paysans reconstruisirent Biesheim et s'y réinstallèrent, mais beaucoup d'habitants de la Ville Neuve sur l'île furent admis à Neuf-Brisach. Tous, sauf les Juifs, car le 13 juin 1700, l'intendant d'Alsace Le Pelletier de la Houssaye avertit le subdélégué général Picon d'Andrezel que l'intention du roi était qu'aucun juif ne fut admis à Neuf-Brisach. Il recommanda de "les en exclure sous quelque prétexte sans faire trop d'éclat" (2), ce qui fit écrire Vauban au ministre Barbezieux "que les Juifs étaient bien à plaindre" (3).

Plan de Brisach et de la Ville Neuve (BNUS, Alsatiques, Iconographie A 21)

 

Les Juifs dans la Ville de Paille

Voici dans ses grandes lignes la courte histoire de la Ville de Paille devenue la Ville Neuve de Saint-Louis-lès-Brisach qui fut bâtie vers 1670 et démolie vers 1700. Nous allons nous intéresser à l'histoire de ses Juifs durant les trente années de son existence.

Cette histoire est totalement indépendante de celle des Juifs de la ville ancienne et forteresse de Breisach. Cette ville, jadis possession de la maison des Habsbourg, possédait depuis un temps immémorial un rabbin et une petite synagogue où, selon Henri de l'Hermine que nous avons précédemment cité, "les Juifs ont permission de faire les cérémonies de leur loy moyennant un tribut qu'ils payent par famille". Après le traité de Ryswick, ils suivirent les tribulations de la ville et redevinrent sujets des Habsbourg.

La Ville de Paille compta en 1680 huit familles juives. Chaque famille payait 10 florins comme droit de protection. La capitation variait selon la fortune de 2 à 10 livres. Les Juifs étaient dispensés de corvée, à l'exception de la fourniture des chevaux de corvée. Comme les autres habitants, ils pouvaient faire paître leur bétail, les chevaux exceptés, dans les prés du Ried. Ces Juifs venaient de Marckolsheim, Breisach, Bergheim, Riedwihr, Cernay, Kippenheim, Oettingen, Ettenheim. Leurs activités étaient celles des autres Juifs d'Alsace. En 1685 la population juive atteignit 20 familles, propriétaires de 14 maisons sur les 207 maisons ou baraques formant la ville. Toute personne admise en la ville avait l'obligation de construire une maison dans les six mois, sous peine de perdre ses droits et de voir son terrain racheté à un prix très bas, 15 sols la toise carrée. En 1697, l'année de la paix de Ryswick il y eut 35 familles juives sur une population totale de 1 500 habitants.

Le déclin fut rapide. Déjà en mai 1698 le Conseil souverain d'Alsace quitta l'île pour s'installer à Colmar.

De nouvelles lettres patentes furent octroyées par le roi en septembre 1698, accordant privilèges et exemptions valables vingt ans en faveur de ceux qui viendraient s'établir à Neuf-Brisach. Quant aux Juifs, à qui Neuf-Brisach était interdit, ils devaient chercher asile ailleurs.

On a beaucoup de peine à comprendre la politique du roi à l'égard des Juifs. En même temps qu'il interdisait aux Juifs l'habitation à la citadelle de Neuf-Brisach, il autorisait la famille Weyl de Westhoffen à s'installer à la citadelle de Strasbourg, le maréchal Montclar imposait la famille Netter au magistrat de Rosheim, le marquis d'Huxelles la famille d'Alexandre Doterlé au magistrat de Colmar, le maréchal Turenne soutenait quelques familles juives contre le magistrat de Haguenau.
Durant leur séjour dans la Ville de Paille, ils avaient connu la paix et une certaine prospérité.

Par lettre patentes du roi, enregistrées au Conseil souverain d'Alsace le 25 juin 1681 (4), le roi avait mis à la tête du judaïsme de Haute et de Basse Alsace un rabbin, Aaron Worms "natif de la famille de la ville de Metz". Il devait s'établir en la Ville Neuve de Saint-Louis-lès-Brisach et y faire les exercices de la religion des Juifs. Aaron Worms ne figure pas sur les états des Juifs de l'île, peut-être simplement parce qu'il ne payait pas de droit de protection, n'avait pas à fournir de chevaux de corvée, ne participait pas aux élections pour élire un préposé des Juifs de la ville. Ce qui est certain, c'est qu'il donna sa démission en 1684, s'établit à Mannheim, mais on le retrouve à Metz vers 1700. On ne lui donna pas de successeur immédiat.

Il y avait une synagogue dans l'île. Le 10 décembre 1686 le procureur fiscal fit valoir que "au grand mépris du service divin, les Juifs tiennent synagogue tout près de l'église de cette ville si bien que le bruit effroyable que les dits juifs font dans leur synagogue les jours de fête et de dimanche interrompent le prestre à l'autel en toutes ses prières que les habitants font à l'église, requière pour cet effet que défenses soient faites aux dits Juifs de ne plus s'assembler au dit lieu pour y tenir leur synagogue et de chercher un lieu plus éloigné de l'église pour y tenir leur synagogue à peine de 30 livres d'amende. Il a été ordonné ainsi" (5).

Le curé s'était déjà plaint de l'aubergiste "au Lion d'Or" qui avait permis aux Juifs de danser pendant le carême, sans doute à l'occasion d'un mariage, et aussi d'un boucher juif qui avait tué et vendu de la viande pendant la première semaine de carême sans permission. 6 avril 1688 (6).

Menus incidents dus à la cohabitation comme nous en trouvons en Hanau-Lichtenberg entre Luthériens et Juifs.

Les bouchers juifs furent aussi l'objet de poursuites pour avoir débité de la viande selon des poids estimés trop légers. Il est vrai que les bouchers chrétiens furent l'objet des mêmes poursuites.

Il y avait une école juive dans l'île. Un nommé Aaron Lévy y enseignait depuis quelques années déjà lorsque le rabbin de la ville ancienne et fortifiée de Brisach en prit ombrage et interdit aux parents de lui envoyer leurs enfants. Aaron Levy engagea une procédure contre le rabbin en 1697. Le rabbin fut entendu et la cour jugea que Aaron Lévy ayant payé le droit de protection au roi et au magistrat pouvait tenir école à la manière des Juifs, et que les Juifs pouvaient lui envoyer leurs enfants si bon leur semble. Mais que si ce droit n'avait pas été payé, Aaron Lévy avait toujours la ressource de se faire engager comme précepteur chez des particuliers avec le statut de domestique.

Salomon Picard s'était passionné pour la Ville de Paille et pour ses habitants juifs. Il avait réalisé pour chacun d'eux une fiche notant le lieu d'origine et le lieu où on le retrouvera après la disparition de la Strohstadt. Ces indications sont précieuses pour ceux qui font de la recherche généalogique.

Deux personnalités doivent retenir notre attention, Meyer bar Eliezer Mutzig, désigné souvent sous le nom de Meyerlé. On lui donne parfois le titre de Raby. Il était né vers 1654, et on a toutes raisons de croire qu'il était un ascendant du Préposé général Aaron Meyer Mutzig. La seconde personnalité était Isaac fils d'Eliezer Netter. Il pourrait être le chaînon manquant reliant les deux branches des Netter, ceux de Bergheim et ceux de Rosheim. Il eut un fils, Meyer. Pour le moment, la similitude des chaînes des noms est le seul indice permettant de supposer que les branches de Bergheim et de Rosheim appartiennent à un tronc commun.

Dans une lettre du 8 juillet 1692, Meyer Mutzig, en son nom et au nom de Isaac Netter et de Wolf Bloch, lettre adressée au bailli royal de la Ville Neuve de Brisach, informe ce dernier que la communauté des Juifs de la ville, après une élection faite à la pluralité des voix, les a désignés pour leurs chefs et supérieurs pour régler tous les différends intérieurs à la communauté, et être leur intermédiaire vis à vis de l'autorité. Les suppliants demandent au bailli royal de les reconnaître comme tels et de les faire reconnaître comme tels par la communauté des Juifs (7).

Dans les rôles de la capitation (1695) il est fait mention de deux médecins juifs (8), Lepoll le médecin et David Isaac le médecin (18.01.1695). Il est aussi question d'un médecin juif converti qui habitait lui la vieille ville et forteresse de Breisach bien antérieurement. Il s'agit de Paul Jakob de Metz qui fut baptisé en l'église de Breisach le 26.4.1643. Son parrain était le baron d'Oysonville, lieutenant général du roi (9).

L'Alsace et le Brisgau appartenaient à une seule et même entité religieuse, en ce sens que les Juifs du Brisgau suivaient le minhag alsacien, dit aussi minhag de Colmar (10).

En 1725 parut à Frankfurt am Main, sous la direction des rabbins Salam Ahderode et Moïse fils de Jonas Gamburg, tous deux de Frankfurt, un livre de Seli'hot minhag Elsass - Colmar (11). En fin du livre se trouve un collophon dont voici la traduction approximative. Nous avons achevé l'ordonnance des Seli'hotcomme elles sont en usage dans la Province d'Alsace, telle qu'elle fut transmise par tradition orale, et ceci est le minhag de Colmar. Et on a dit qu'elle fut transmise par l'éminent Gaon (12), l'honorable rabbi, notre Maître le rabbin David Sulzburg, qui fut président du tribunal rabbinique et directeur de l'école juive dans la Province de Brisgau à côté de la forterese Brisach. Il y eut aussi quelques inscriptions murales sur parchemin sur lesquelles on lit qu'elles contiennent le minhag de Colmar.

Il est intéressant de noter qu'on continuait de parler d'un minhag, d'un coutumier de Colmar, alors que depuis plus de deux siècles les Juifs y étaient interdits d'habitation, même s'il n'y a pas lieu d'attacher trop d'importance à ce minhag. Il s'agit de coutumes régionales dans un domaine très restreint, celui de la liturgie, le choix de certaines prières, les Seli'hot et les Qinot (13), et l'ordre dans lequel elles sont récitées les jours redoutables et le 9 du mois d'Av.

L'aire géographique de ce minhag de Colmar, qui comprenait la Haute, la Basse Alsace, et le Brisgau était limitée au sud par Endingen et Lengnau, en pays helvète, Landau, et peut-être même Frankfurt am Main, dans le nord. La limite orientale n'a pas encore pu être délimitée.

Alexandre Doterlé

Lorsque les Français quittèrent la ville ancienne et forteresse de Brisach, celle-ci redevint possession des Habsbourg. Les Juifs qui y habitaient depuis "des temps immémoriaux" et qui y avaient "raby" et synagogue ne s'en trouvèrent pas plus mal.

Pourtant l'un d'entre eux était trop compromis par ses relations avec les Français pour pouvoir rester. Il s'agit d'Alexandre Doterlé (14), une des personnalités les plus marquantes du judaïsme d'Alsace des 17ème et 18ème siècles. Il était né dans la forteresse de Breisach vers 1644, fils de Heymann Wormser, petit fils de Marx (Mordekhaï) Wormser. Son père avait été admis à la manance par le gouverneur autrichien de la place, le lieutenant-général von Erlach entre 1639 et 1644 (15). Alexandre Doterlé avait abandonné le nom de Wormser mais ses trois frères, Jacques, Marx et Moyse l'avaient conservé.

Alexandre Doterlé était un homme d'affaires très actif, son industrie portant principalement sur la fourniture de chevaux pour la cavalerie. Il fournissait aussi la garnison en viande. Ainsi il signe un marché se chiffrant à 2500 livres par semaine pour une durée de six mois, ce qui représente la somme considérable de 60 000 livres. Ailleurs il est dit entrepreneur des fournitures des bois et chandelles à Fribourg. La confiance qu'on lui portait était telle que les capitaines commandant les unités lui avançaient plus de la moitié de la somme convenue au moment de la signature du marché, le solde étant payable au moment de la livraison des chevaux. Nous n'avons rencontré nulle part ailleurs une pareille confiance.

Ses contrats portent la signature Todros Breisich, et plus tard Todros Breisich miColmer. Dans ses Mémoriaux alsaciens, Ginsburger fait état de ce nom, mais se trompe en pensant pouvoir l'identifier (16).

La réussite financière et sociale d'un Alexandre Doterlé ne doit pas nous surprendre. Elle était la conséquence de la situation militaire aux frontières et fonction des besoins de l'armée d'Allemagne. Cette armée était constituée principalement des seize régiments de cavalerie du duc Bernhard de Saxe-Weimar, prince protestant allié au roi Gustave Adolphe de Suède et au roi de France. Au traité de Saint-Germain-en-Laye de 1635, le roi Louis XIII s'était engagé à payer 4 millions de livres par an au duc Bernhard de Saxe-Weimar qui s'engageait en contrepartie à entretenir une armée de 6 000 cavaliers et de 12 000 hommes à pieds allemands.

A la mort du duc Bernhard en 1639, les troupes passèrent sous commandement français et en 1643, à peu près à la naissance d'Alexandre Doterlé, le vicomte de Turenne fut nommé commandant en chef de l'armée d'Allemagne. En 1657, Turenne est nommé colonel-général de la Cavalerie et le régiment de Turenne-Cavalerie considéré comme l'élite de toutes les troupes du roi.

Les besoins en nourriture d'une armée de 18 000 hommes et de 6 000 chevaux, le remplacement des chevaux éliminés par la mort, la maladie ou la vieillesse, les 4 millions de livres annuels, mis à la disposition du commandement de l'armée d'Allemagne suffisent à expliquer l'importance du rôle des fournisseurs aux armées juifs à une époque où les relations entre l'occupant français et la population locale non juive n'étaient pas des meilleures.

Lorsque les Français furent contraints à évacuer la vieille ville et forteresse de Brisach, Alexandre Doterlé se crut obligé de partir à son tour. Fantaisie lui prit de s'installer à Colmar, la ville interdite aux Juifs depuis plus de deux siècles. En 1437 l'empereur Sigismond avait fait défense aux bourgeois de Calmar de louer ou de vendre des maisons à des Juifs. Cette défense fut renouvelée par l'empereur Ferdinand 1er. Alexandre Doterlé présenta au Magistrat de Colmar une requête afin de réception. De son côté, le maréchal d'Huxelles, commandant en chef et gouverneur de la province, fit parvenir au Magistrat de Colmar une lettre de recommandation en faveur d'Alexandre Doterlé. Le Magistrat de Colmar en délibéra le 22 février 1698. "Sur la requête de Alexandre Doterlé, le Juif de Brisach... il a été arrêté qu'on ne pouvait se dispenser d'accorder au dit juif l'établissement qu'il demande, eu égard de la recommandation de Mgr le marquis d'Huxelles, gouverneur de la province, et qu'il pourra y être utile au service du roy... (le Maistre et le Conseil) ont bien voulu relacher de leurs droits et lui accorder la permission estant personnelle à l'exclusion de tous autres Juifs".

Dès son admission en 1698, Alexandre Doterlé loua un logement avec écurie dans la rue des Clefs. Il était accompagné de sa femme, Agathe (Jachet) Frank. Sans doute eut-il plusieurs enfants, mais aucun ne lui survécut. Son fils Wolf Alexandre avait épousé Rosine Hirtz fille de Jacob de Ribeauvillé, qui se remaria avec Liebmann Weyl originaire de Westhoffen, habitant la citadelle de Strasbourg.

En 1705 il acheta avec l'accord du Magistrat (9 juin 1705) une maison, cour, cave, écurie, appartement et dépendances derrière la Tribu des Laboureurs, au quartier dit im Silberherg, ce qui correspond à l'actuelle rue de l'Ange. La maison devait être fort belle puisqu'après sa mort elle fut rachetée par Nicolas Haxo, procureur au Conseil souverain et notaire royal (17).

Alexandre Doterlé joua parmi ses coreligionnaires un rôle éminent.

Le 16 novembre 1700 eut lieu en son domicile rue des Clefs à Colmar une assemblée réunissant les représentants de tous les Juifs de Haute et de Basse Alsace pour procéder à l'élection d'un rabbin ayant juridiction sur la Haute et sur la Basse Alsace. Leur choix se porta sur le rabbin Samuel Lévy. Par ses lettres patentes du 11 février 1702 le roi approuva ce choix. Voici la signature des délégués réunis le 16 novembre 1700 : Alexandre Daterie (Colmar), Aron Weyl (Ribeauvillé), Jude Marx, haie Lazare, Lazare Moyse, Abraham Raphaël, Meyer Lazare, Samuel Verd (Biesheim ou Wintzenheim), Elkan Salomon, Aaron Moyse, Joël Salomon, Jacques Vayant, Raphaël
Moyse, Benjamin Nathan, Abraham Goetschiy, Simon Nathan, Jacques Goetschel, Jude Jacques, Lazare Kohen, Moyse Meyer, Mendié Bloch, Jacques Lazare, Samson Lehmann, Kohheim et Isaac Kohheim (18)

Lorsqu'Alexandre Doterlé mourut en 1709, le Magistrat signifia à ses frères et héritiers d'avoir à quitter la ville dans un délai d'un mois. Ce fut l'intendant d'Alsace Le Pelletier de la Houssaye qui transmit la signification le 12 août 1709 (19).

Il convient de replacer Alexandre Doterlé dans son époque.

En 1709, à la mort d'Alexandre Daterie, Moyse Bliem avait environ 9 ans, Aaron Meyer Mutzig, Jacob Baruch Weyl et Lehmann Netter venaient de naître, quant à Cerf Berr, il faudra attendre 1726, soit 17 ans, pour le voir venir au monde.

Dans cette perspective, Alexandre Daterie dit Todros Breisich fut grand dans son époque, comme Moïse Bliem, Aaron Meyer, Jacob Baruch Weyl, Lehmann Netter et Cerf Berr le furent dans la leur.

Il fut le premier de ces Shtadlanim (20) alsaciens qui firent entrer le judaïsme d'Alsace dans la modernité, s'imposant à un pouvoir qui ne leur était guère favorable et qui avait décidé l'expulsion générale des Juifs d'Alsace. Se rendant indispensables à une armée en difficulté sur la frontière de l'Est, ils gagnèrent la confiance et la protection des chefs militaires. Ce fut, pour les Juifs d'Alsace, le premier pas vers l'émancipation.

C'est donc l'histoire des Juifs de la Ville de Paille que nous vous avons proposé, Salomon Picard et moi-même. Le titre de Schlo;o Picard aurait aimé donner à cette étude est : "Une communauté juive éphémère dans une ville éphémère".
Je lui ai préféré un autre, plus explicite.

Notes :
  1. J'ai cependant retrouvé le nom de Strohstadt sur une carte d'état-major allemande datée de 1940. Il désigne une région située entre le village de Biesheim à l'Ouest et le canal à l'Est.    Retour au texte.
  2. Le chanoine Straub avait bien envisagé deux autres explications, mais pour les rejeter. Dans la première, Moïse est représenté deux fois parce qu'il frappa le rocher par deux fois. Dans la seconde, le personnage ressemblant à Moïse serait un ange prêt à intervenir pour retenir le bras d'Abraham.    Retour au texte.
  3. A. dépôt du Génie.    Retour au texte.
  4. de Boug, 1, p. 102.    Retour au texte.
  5. A.D. Haut-Rhin, 1 E 80, 6.    Retour au texte.
  6. A.D_ Haut-Rhin, 1 E 80, 6.    Retour au texte.
  7. A.D. Haut-Rhin, E 4 Notariat Neuf-Brisach, il" 341-349, bte 5.    Retour au texte.
  8. A.D. Haut-Rhin, 1 E 80, 18.    Retour au texte.
  9. G. Haselier, Geschichte der Stadt Breisach. p. 389.    Retour au texte.
  10. Minhag: mot hébreu désignant les usages, les coutumes, surtout en matière religieuse.    Retour au texte.
  11. Seli'hot : mot hébreu désignant des supplications, des prières d'indulgence.    Retour au texte.
  12. Titre hébreu donné aux rabbins les plus éminents.    Retour au texte.
  13. Mot hébreu, pluriel de quina: élégies lues principalement le 9 du mois d'Av, jour anniversaire de la destruction des deux Temples.    Retour au texte.
  14. Doterlé est un diminutif de Todros, déformation de Theodorus (Théodore).    Retour au texte.
  15. Generallandesarobiv Karlsruhe, rep. Ensisheim, conv. 25, fasc. 345, no 2.    Retour au texte.
  16. R.E.J., t. 41, p. 142.    Retour au texte.
  17. A.D. Haut-Rhin, E 4 Notariat Colmar, étude Drouineau, 5.5.1712.    Retour au texte.
  18. A.D. Haut-Rhin, E 1627.
  19. A.M. Colmar, AA 174 n' 87-97.
  20. Mot hébreu, pluriel de Shtadlan: médiateur, porte-parole, puis par extension représentant et chef régional de communautés juives.


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