L'école juive de Saverne en 1896. |
Des instituteurs souvent changés
Nathan Mentel fait une brève apparition sous la Convention. En avril 1794, son épouse Hannah lui donne une fille, Henriette. Mais "par insouciance", il omet de l'enregistrer à l'état-civil. Au début de 1820, cette Henriette marqua son intention de se marier. Problème : elle ne peut justifier de sa naissance. Le 7 février 1820, elle dut donc faire établir par la justice de paix cantonale, avec sept israélites qui l'avaient bien connue enfant, un acte de notoriété déclarant qu'elle était bien née dans le bourg à cette date de ses dits parents. Ces sept notables étaient : Elie Mannheimer, 41 ans, l'instituteur-officiant ; Gerschen Levy, 59 ans, perruquier ; Samuel Heymann, 70 ans, marchand de bétail ; Lazar Roos, 66 ans, marchand ; Jacques Lévy, 44 ans, commerçant ; Moyses Klotz, 53 ans, marchand ; et Théophile Roos, 65 ans, brocanteur (1). Mais l'état-civil local n'a pas gardé trace de son mariage. C'est donc qu'elle a convolé ailleurs.
Deux autres instituteurs, Lazare Samuel et Elie Moyses, sont ensuite mentionnés le 2 mars 1804 comme demeurant à Soultz (2).
Simon Kahn leur fait suite comme "instituteur de la religion judaïque". Le17 février 1808, à 47 ans, il lui faut accompagner la sage-femme communale à la mairie pour déclarer à l'état-civil la fille naturelle appelée Besgma (?), que sa fille Mada avait mise au monde le matin même vers 5 heures. Mais les 7 septembre et 26 octobre 1809, le voilà "rabbin de la société juive" ou "de Juifs" de Soultz. Il sert alors de témoin de mariages israélites avec Samuel Liebermann et Elias Mannheimer (3). Il apparaît encore comme instituteur dans un acte de notoriété du 1er février 1825, à 72 ans (4).
Michel Lévy, 66 ans, est ensuite mentionné comme "ancien instituteur judaïque" à Soultz le 29 juin 1809 (3).
1809 est aussi l'année où Elias Mannheimer commence à endosser sa qualité d'instituteur, tout en la partageant épisodiquement avec d'autres titulaires.
C'est ainsi qu'un certain Michel Lévy, 66 ans, signe également le 29 juin 1809 comme "instituteur judaïque "à l'occasion d'un mariage, dont il est témoin avec Elias. Il décédera à Soultz le 23 juin 1813, vers 7 heures du soir, avec la qualité d' "ancien instituteur" (3). L'inventaire de ses biens nous apprend qu'il détenait une place d'homme et une place de femme à la synagogue locale, valant 100 francs chacune. Il possédait également une soixantaine de livres"traitant de la religion judaïque", estimés à 60 francs ainsi qu'un lave-mains judaïque en cuivre estimé à 36 francs. Son contrat de mariage avec Zippora Levi avait été déposé chez le notaire de Soultz le 4 août 1790. Hanna, sa femme en premières noces, lui avait donné six enfants héritiers (5).
Alexandre Seligmann est instituteur au début de la Restauration. Natif d'Ettendorf, près de Pfaffenhoffen, il épouse à Soultz le 3 janvier 1816, à 27 ans, Matha Cahn, 33 ans, née à Metz, mais domiciliée à Paris, qui était une fille de Simon Kahn et de Vogel Isaac Morange. Toujours instituteur à Soultz le 16 mars 1820, il lui incombe de déclarer le décès à l'âge de 18 mois de Babette, une fille de Michel Aron (3).
Le 4 août 1817, Simon Löb fait à son tour une brève apparition comme "instituteur hébraïque demeurant à Soultz". C'est en même temps un prêteur d'argent. Il fait alors condamner la veuve de Jacques Springer, laboureur à Birlenbach, par la justice de paix, à lui rembourser avec les intérêts les 65 francs qu'il lui avait prêtés le 15 octobre précédent (6). Deux ans plus tard, Simon Löb est instituteur hébraïque à Surbourg, mais il continue de fréquenter la synagogue de Soultz. Ainsi, témoigne-t-il à l'audience du 31 décembre 1819 de la justice de paix pour la querelle survenue entre le fils Aron et Isaac Weil pendant l'oraison (1).
Un autre instituteur se signale le 7 février 1819 : Joseph Moch, son fils Samuel ayant trépassé ce jour-là à Soultz à l'âge de 25 ans. Il était natif de Bischheim, la grande communauté juive de la banlieue de Strasbourg.
Autre nouveau venu, trois ans plus tard : Raphaël Londenschütz, 27 ans. Le 10 juin 1822, il signe en effet comme instituteur et témoin de mariage (3). Natif de Romanswiller, il s'est ensuite reconverti dans le négoce des peaux et cuirs.
Le don oecuménique de Lion Aron
Mais ces improvisations incessantes, dans une communauté populeuse et souvent miséreuse, ne pouvaient continuer. Lion Aron, médecin cantonal, amorce alors une action de longue haleine en faveur de la scolarisation qui finira par porter ses fruits.
Dans le testament qu'il dicte le 5 janvier 1824, à son domicile, il lègue une somme de 500 francs "pour l'instruction des pauvres enfants israélites". La misère étant alors assez bien partagée, il légue également 250 francs "pour le même usage des enfants protestants" et 250 autres francs pour les enfants catholiques. Ces dons devront être perçus et gérés par les entités concernées : "le consistoire local israélite, le consistoire protestant local et la fabrique catholique de Soultz".
Seules réserves : ces dons ne seront versés qu'après le décès de son épouse et héritière universelle, Jeannette Hirsch. Celle-ci deva être à sa mort la seule et vraie propriétaire de toute sa fortune et jusqu'à son propre décès elle aura l'usufruit des 1.000 francs légués aux enfants pauvres. Les enfants, enfin, devront "tous être de Soultz et reconnus pauvres". Ce testament a pour témoins le pasteur protestant Weissmann, Léopold Aron, Frédéric Musculus, l'apothicaire, ainsi que Alexandre Aron, commerçant, tous de Soultz (7).
Mais sans attendre le décès de son épouse, Lion Aron agit bientôt par d'autres biais. A son legs de 1000 francs aux enfants pauvres, il substitua une sorte de fondation pour les familles pauvres et les malades indigents. Il siégea également au Comité d'instruction primaire de l'arrondissement, tandis que Israël Aron (un fils de Léopold et frère d'Arnaud, le grand rabbin de Strasbourg), entrait au conseil municipal. De leurs efforts convergents sortirent nombre de changements. Une première étape est franchie en 1828, lorsque la municipalité voulut bien allouer à Elias Mannheimer, l'instituteur judaïque, 9 stères de bois de chauffage communal par an, en sus des 13 stères déjà fournis par la commune pour les deux salles de classe catholiques et des 18 stères pour les deux salles de classe protestantes (8).
Trois ans plus tard, en 1831, la loi Guizot changea complètement la donne. Elle intégrait l'enseignement primaire des enfants israélites à l'enseignement public existant. De ce jour, l'Etat rémunéra donc également les instituteurs judaïques, pendant qu'il incombait aux municipalités de fournir et d'entretenir le local de la classe communale israélite ainsi que le logement de son maître, ou du moins de participer à leurs frais de loyer.
Isaac Goldschmidt, 42 ans, est alors proposé par le Consistoire de Strasbourg pour être le premier "instituteur primaire de la communauté israélite de Soultz". Le recteur de l'Académie l'y nomma le 27 avril 1831 (9). Le notaire Philippe-Frédéric Müntz étant maire, le conseil municipal lui vota également une indemnité de 200 francs, comprenant un supplément de 90 francs à son traitement d'Etat, une indemnité de logement de 100 francs ainsi qu'une indemnité d'encouragement de 10 francs. Le 3 avril 1832, la municipalité reconduisit également son allocation de bois de chauffage (7). Le 18 octobre 1834, Isaac Goldschmitt, 45 ans, instituteur, déclare le décès de Fanni, une fille d'Israël Aron, décédée le matin même vers 4 heures à l'âge de 3 ans (3)...
La municipalité refuse de construire une troisième école
Mais impossible de faire plus ! Soultz ne pouvait pas s'engager également dans la construction d'une école communale israélite, puisque la commune allait construire un nouvel hôtel de ville ainsi qu'une nouvelle école protestante sur l'emplacement de l'auberge A l'Ange. En contrepartie, la municipalité proposa le 1er septembre 1832 à la communauté que les parents envoient leurs enfants à leur convenance à l'école communale protestante ou catholique.
Toutefois, si la communauté israélite préférait continuer l'ancienne solution de l'école privée séparée, la commune lui verserait un secours de 200 francs/an, plus 60 francs, si ses revenus le permettaient, comme indemnité de logement et de salle d'école. La municipalité prenait également à sa charge pendant six mois l'écolage de 61 enfants indigents, dont 30 juifs, pour 18 protestants et 13 catholiques.
Cependant, l'adjoint Joseph Kanapel, le vétérinaire, trouva qu'on en faisait trop. Il demanda que le secours à l'école juive se limitât à 160 francs, en proposant que les 100 francs ainsi gagnés soient ajoutés "au traitement des deux instituteurs primaires publics, vu qu'ils sont obligés d'entretenir chacun un aide et que l'officiant israélite touche déjà un traitement (de l'Etat) de 300 francs."
L'année suivante, le 1er septembre 1833, la municipalité réitéra son refus de construire une école communale israélite pour le motif cette fois qu'elle n'a qu'un revenu de 3 000 francs par an environ pour 1 900 habitants et qu'en conséquence elle se trouve "hors d'état d'entretenir trois écoles primaires".
Elle se borna donc à reconduire le secours de 200 francs à la communauté israélite ainsi que l'indemnité de logement de 60 francs pour son instituteur privé. Elle maintenait également son offre d'accueillir les enfants juifs à l'école protestante ou catholique, pendant que leur instituteur, salarié par l'Etat, continuerait de leur dispenser un enseignement religieux en hébreu dans leur école privée, que la communauté finançait d'ailleurs déjà à hauteur de 400 francs par an environ.
Mais le ministère de l'instruction publique n'en voulut rien savoir. Par arrêté du 25 mars 1834, il exigea des édiles soultzois d'affecter "spécialement une école primaire" à la confession israélite. Et cependant, ceux-ci persistèrent dans leur refus. Le 26 juillet 1834, entraîné par le maire Müntz et l'adjoint Kanapel, ils demandèrent au préfet "d'insister auprès du ministre pour faire rapporter son arrêté". Le préfet n'en fit rien, bien sûr. Aussi, le 13 décembre 1834, le conseil municipal demanda-t-il à son maire de faire lui-même "les démarches nécessaires pour obtenir l'annulation de la décision ministérielle du 25 mars". Il était même d'avis "de suspendre toute location de logement d'instituteur et de salle d'école des Israélites" (10).
L'école israélite sans traitement
A la séance du 27 février 1835, se raidissant encore d'un cran, le conseil municipal s'étonna que "des communes des environs bien plus riches et dont la population israélite est au moins aussi considérable" (Surbourg ?) ne soient pas tenues d'ouvrir une école communale juive. "Depuis la révolution de 1789, poursuit sa nouvelle délibération, les Israélites sont émancipés et égaux en tous droits aux autres Français. Et cependant, depuis ces 44 ans, nous voyons dans nos campagnes qu'aucun d'eux ne se livre à un métier, ni à l'agriculture, ne vivant que du trafic, employant presque toujours la ruse et l'extorsion pour exploiter les habitants laborieux de la campagne pour lesquels ils sont déjà malheureusement trop savants." La décision d'établir une troisième école communale à Soultz, ajoute la délibération, a été prise"sans consulter la municipalité et sans s'informer des circonstances locales". Aussi, prie-t-elle le maire de ne pas faire d'autres dépenses pour la communauté israélite que celles accordées "à titre de secours" (10).
Nouveau raidissement le 17 mai 1835 : le conseil municipal accorde un traitement de 200 francs pour chacune des écoles catholique et protestante, mais rien pour l'école israélite, "puisqu'elle n'a pas d'instituteur communal et qu'il n'y a donc pas lieu de fixer un traitement". Décision qu'il crut toutefois devoir équilibrer le 30 août suivant par un secours de 60 francs pour les "pères de famille israélites pauvres qui ne peuvent guère payer le salaire pour l'instruction principalement religieuse de leurs enfants".
L'année suivante, le 5 mai 1836, il reconduit les traitements des instituteurs accordés le 17 mai 1835. Mais dénonce la contre-vérité répandue par le Consistoire de Strasbourg selon laquelle "les enfants israélites sont privés de l'occasion de s'instruire". Aussi, le 5 juin, le conseil municipal refuse-t-il de présenter un candidat pour le poste d'instituteur communal israélite.
C'est l'épreuve de force, la seconde depuis l'affaire des certificats de non-usure ! Deux semaines plus tard, le sous-préfet, qui présidait le Comité local de l'instruction primaire, enjoignit le conseil municipal de proposer un candidat avant juillet, faute de quoi ce comité le nommerait d'office. Mais la municipalité ne céda toujours pas. Le 26 juin, elle fit savoir qu'elle restait sur sa position du 19 août 1835. Le 23 avril 1837, elle refusa même le bois de chauffage de l'école israélite, avant de voter le 6 mai un traitement fixe de 200 francs pour chacun des trois instituteurs primaires (10).
Le bras de fer de 1840
Mais concernant l'école communale juive, on en restait au même point. Trois ans plus tard, le 10 février 1840, la municipalité réitéra son invariable position à l'adresse des autorités. Dans une nouvelle résolution, elle rappela l'enchaînement des faits :
"A peine la loi sur l'instruction primaire avait-elle été rendue, [elle] avait voté un secours annuel de 200 francs au profit des Israélites. [Mais de suite, ceux-ci] en ont profité pour réclamer du ministre la création d'une école communale".Celui-ci en a conclu que, puisque la commune avait consenti ce secours, il fallait établir une école communale juive. Les Israélites se sont donc
"servis du secours offert spontanément pour forcer la commune malgré les protestations".
Le Conseil supérieur de l'instruction primaire avait alors envoyé l'un de ses délégués à Soultz pour y entendre la municipalité et les Israélites à l'origine des pétitions. Ces derniers ont alors
"formellement déclaré qu'ils se contentaient des 200 francs pour l'instituteur et des 60 francs de loyer pour le local et qu'ils insistaient seulement pour que leur école soit maintenue comme école communale".
"Ce but, ajoute la municipalité, ils ont fini par l'atteindre. Mais ils demandent toujours de plus grands sacrifices à la commune. Ce qui engage le conseil municipal à ne pas dépasser les 200 et 60 francs. [En fait, les Israélites] admettent ne pas demander plus, à condition que leur école soit maintenue comme école communale" (10).
Mais une requête supplémentaire est bientôt formulée : Soultz devait également contribuer à l'indemnité de logement du rabbin de Surbourg.
Spécialement convoqué par le maire pour en délibérer le 2 juin 1840, le conseil municipal une fois de plus refusa tout net. Motifs : le rabbin de Surbourg
"ne fait aucune fonction à Soultz. Il n'assiste régulièrement ni au service divin, ni à aucune des autres fonctions de culte, sauf aux célébrations de mariage pour lesquelles il est payé par les parties. Il y a du reste à Soultz un chantre, qui fait toutes les fonctions requises à la synagogue, lequel touche du gouvernement une somme annuelle de 300 francs."
Ce 2 juin, le conseil municipal s'étonna également que le rabbin cantonal réside à Surbourg, localité périphérique, et non pas à Soultz, plus centrale et où, de plus, les Juifs sont plus nombreux (360 âmes). Il s'étonna enfin qu'il soit demandé pour lui un secours de 150 francs, alors qu'un logement "beau et suffisant" à Surbourg peut se trouver sans difficulté à 100 francs. Cette demande de secours est donc "exagérée d'un tiers". Aussi, et seulement si la loi l'y obligeait, Soultz n'en votera-t-il que les 2/3 et qu'après qu'on lui ait détaillé "les services réguliers que 3M. le Rabbin fait pour la communauté de Soultz" (10). A priori, on s'en est tenu là.
L'instituteur Weil refusé
Dans Le Courrier du Bas-Rhin, mercredi 13 mai 1840. |
Dans sa délibération du 9 octobre 1840, elle rappela inébranlablement que "deux écoles communales [sont] plus que suffisantes, vu les ressources de la commune" ; que les Israélites soultzois "ne réclamaient qu'un secours" ; et que ce secours leur avqit été maintenu à hauteur de 200 francs/an.
Depuis des années, ajoute la délibération, les enfants israélites fréquentent ou l'école protestante ou l'école catholique et cela
"avec bien plus de succès que dans leur propre école. Des fusions de ce genre seraient [donc] préférables, surtout quand il s'agit de l'instruction."
Le secours de 200 francs a clairement suffi
"pour faire donner l'instruction religieuse à leurs enfants. Ce n'est donc qu'un faux amour-propre qui inspire à quelques-uns des Israélites d'ici de soutenir la gloire d'une école communale à eux. En cédant sur cette question, le conseil municipal croirait manquer à sa dignité. Aussi, pour faire cesser ces réclamations sans fin, il prend l'engagement une fois pour toutes de ne voter pour l'instituteur israélite que les sommes prescrites par la loi." (11)
Les conseillers municipaux israélites de Soultz sur 15 sièges (14) | ||
Date d'élection ou d'installation | Nombre de voix | |
Israël ARON, commerçant | 1843, 11 juin 1848, 30 juillet | 66 voix 149 voix |
Marx WEIL, marchand de fer | 1848, 30 juillet 1852, 11 et 19 septembre 1855, 10 août |
185 voix 172 voix |
Joseph KLOTZ | 1860, 13 septembre 1865, 23 juillet | 283 voix |
GROSZ Jacques fils | 1860, 13 septembre | |
Samuel BLUM, boucher | 1876, 9 octobre (à 49 ans) 1886, 15 août 1891, 25 juillet | 191 voix 201 voix 232 voix |
Puis le 11 juin 1843, lors du renouvellement de la moitié du conseil municipal, Israël Aron est le premier israélite à entrer dans l'assemblée communale avec 66 voix, score fort honorable, puisque les maxi-mini des sept autres nouveaux élus ont alors été de 73 et 47 voix respectivement. En est-ce le résultat ? Le 5 mai 1844, le conseil municipal trouva insuffisante la subvention de 60 francs accordée pour le loyer de la salle d'école juive. Il l'augmenta donc de 90 francs, à 150 francs (13).
Un éloge des Archives israélites
Après Henri Weil, l'instituteur est Nathan Lévy. Au printemps 1844, celui-ci reçoit la visite d'un collaborateur des Archives israélites, venu enquêter sur les progrès réalisés par l'enseignement judaïque dans la province. Ce reporter, dont on ne connaît que les initiales, s'est alors réjoui des heureux résultats obtenus par Israël Aron, tout à la fois conseiller municipal, "commissaire surveillant auprès du temple" de Soultz et frère d'Arnaud Aron, le grand rabbin de Strasbourg, qui l'a sans doute conseillé dans son action.
"Depuis son entrée en fonctions, écrivent les Archives israélites, [Israël Aron] a pleinement justifié la confiance que le Consistoire du Bas-Rhin a mise en lui. Déjà, il y a cinq ans [donc en 1839], de concert avec M. Lion Aron, médecin cantonal honoraire et membre du comité local d'instruction primaire, il avait fondé une société pour le soulagement des familles pauvres et surtout des malades indigents. Cette société, malgré les nombreux secours qu'elle distribue, est parvenue à économiser un capital dorénavant inaliénable de près de mille francs.
"L'école israélite, poursuivent les Archives, doit son existence aux efforts et aux soins de MM. Lion et Israël Aron. Elle a été érigée en école communale en 1835. Elle est fréquentée en ce moment par 70 élèves et est dirigée par l'instituteur, qui tous les samedis fait aussi un cours de morale à ses élèves et aux adultes. Plusieurs jeunes Israélites de cette communauté ont déjà appris des métiers. D'autres se préparent en ce moment pour l'école de travail de Strasbourg. Et il y a même quelques Israélites qui s'occupent d'agriculture. Les progrès sont partout sensibles"(15).
Toutefois le reporter des Archives israélites regrette aussi que les nouveaux instituteurs juifs, formés par les nouvelles Ecoles normales d'instituteurs et recommandés par les autorités, ne maîtrisent pas vraiment l'hébreu, ni le Talmud. Nathan Lévy, l'instituteur de Soultz, réagit aussitôt par une mise au point, que la revue publie : "Je ne puis me résoudre, écrit-il, à laisser passer un reproche aussi peu mérité. Il est vrai que nous, instituteurs sortis des Ecoles normales, n'avons guère ou plutôt point de connaissances talmudiques. Cependant, nous pouvons sans trop de présomption affirmer que nous savons assez d'hébreu pour pouvoir donner l'instruction religieuse à nos élèves. Si nous ne sommes pas tous de grands hébraïsants, nous sommes du moins pénétrés du sentiment de notre devoir et notre volonté est tout-à-fait à la hauteur de notre tâche, de former de bons citoyens français et de sincères Israélites" (16).
Mais Nathan Lévy ne reste pas non plus. Le 13 juin 1845, le conseil municipal propose au Comité supérieur d'instruction de le remplacer par Moises Kahn, 24 ans. Le traitement versé par la commune à chacun des instituteurs confessionnels est alors également augmenté de 200 à 600 francs. Une indemnité de 50 francs est en outre votée pour le logement du rabbin de Surbourg.
Par contre, le 3 avril 1847, on n'accorde que 7 stères de bois de chauffage à l'instituteur israélite, "moitié chêne, moitié hêtre", tous les autres soutiens étant maintenus. Mais le 2 mai 1848, l'indemnité de logement du rabbin de Surbourg est augmentée de 10 francs. Israël Aron est réélu au conseil municipal le 30 juillet 1848 avec 149 voix. Son coreligionnaire Marx Weil fait cependant mieux que lui, avec 185 voix (13).
La municipalité Pouillot vote un crédit de 3.000 F
Une école juive en Alsace |
Pour autant, la communauté n'avait pas renoncé à faire construire une école communale dédiée. Le 9 août 1851, le conseil municipal finit ainsi par céder à sa demande et vote à cet effet un crédit de 3 000 francs, payable en deux annuités. Cette école devait être bâtie sur un terrain dont la communauté était propriétaire près de la synagogue. Celle-ci se chargerait elle-même de la faire construire, avec un bain rituel, et d'en assumer les frais et entretiens suivant une convention à signer par les deux parties. La dépense totale de construction s'élèverait à 6 450 francs, les matériaux étant fournis pour partie par une bâtisse à démolir (la maison du Schammes, le bedeau ?).
Brusquement, le 15 juin 1852, Israël Aron informe le maire Pouillot qu'il se domiciliait désormais à Paris 5, rue St-Eustache dans le 1er arrondissement. Au conseil municipal, il est remplacé par Jacques Grosz le jeune, aubergiste, qui est en effet élu avec 201 voix aux élections des 12 et 19 septembre 1852, Marx Weil restant le seul conseiller israélite (17). Mais, pour des motifs que nous ignorons, la nouvelle école ne put alors être construite.
Couvert de boules de neige
Lors du recensement de 1851, l'instituteur israélite est Lazare Mayer, 23 ans. En 1856, c'est Léon Levi, 20 ans, qui vit avec sa mère, 48 ans et veuve.
Le 8 février 1858, ce dernier est l'objet d'un charivari. Il passe tranquillement dans les rues enneigées du bourg, lorsqu'un groupe d'enfants, comprenant certains de ses élèves, se met à le huer. Quelques-uns frappent dans leurs mains en criant "moustache, moustache". Deux ou trois, enfin, lui lancent des boules de neige.
Des pandores de la brigade de Soultz (le brigadier Deck et le gendarme Herrmann) en dressèrent le procès-verbal, désignant nommément six des troublions, âgés de 9 à 12 ans, tous Juifs manifestement : Abraham May ; Benoît Trautmann, fils d'Isaac, l'officiant ; Catulle Klotz, fils de Henri, dit Hirsch ; Moïse Franck, fils d'Isaac ; Samuel Klotz, fils de Henri, dit Hirschel ; et Salomon Klotz, fils de Joseph.
Le 9 mars suivant, ceux-ci eurent donc à répondre de leur inconduite devant la justice de paix, puisqu'ils tombaient sous le coup de l'article 479, § 8 du code pénal. On les entendit "dans leurs observations et moyens de défense" avant de leur reconnaître les circonstances atténuantes. Tous furent condamnés à un franc d'amende, solidairement avec leurs pères, déclarés civilement responsables, ainsi qu'aux dépens liquidés à 8,80 francs (18).
Derniers instituteurs français
Le 15 mars 1860, onze stères sont alloués à l'école israélite. Un traitement de de 600 F est également voté pour l'instituteur Lévi.
Au recensement de 1861, l'instituteur primaire israélite est Josué Wiener, 19 ans, né à Oberbronn en mars 1811 d'un père, qui par la suite sera ministre officiant à Minversheim, canton de Hochfelden. Josué se maria même à Soultz le 13 novembre 1867 avec Pauline Weil, 27 ans, donc son aînée d'un an et qui était une fille de David Weil, marchand de veaux à Soultz. Il est remarquable de noter que les deux premiers témoins de son mariage ont alors été des collègues instituteurs chrétiens et "amis" : Georges Kastner, 42 ans, et Louis Schmitt, 30 ans (19). Son épouse, hélas, devait décéder moins d'un an plus tard, le 14 octobre 1868 vers 6 heures du soir, entraînant sa mutation à Lingolsheim, près de Strasbourg.
Par le contrat de mariage du 18 septembre 1867, David Weil, son beau-père, avait constitué pour sa fille une dot de 2 000 francs, dont il réclamera de son gendre la restitution de 500 francs et chargera le 20 janvier 1869 Jacques Eisenmann, commerçant à Soultz, de l'obtenir (20).
Son successeur, jusqu'à la guerre de 1870, est Aron Kauffmann, 28 ans, fils d'un boucher juif de Niederbronn. Le 19 mai 1870, il signa son contrat de mariage avec Eugénie Gugenheim, 30 ans, fille d'un négociant de Strasbourg, mais née à Marmoutier.
Un nouveau projet d'école en 1868
Mais la question de la construction d'une école primaire israélite communale était revenue sur le tapis à la veille de la guerre. Jusqu'à cette date, en effet, l'école israélite privée était installée, avec le logement de son instituteur, dans une maison particulière, appartenant à un certain Wolff. Son loyer courait jusqu'en 1872. Le commerçant Isaac Eisenmann, qui venait de la racheter, parlait d'en augmenter le loyer de 100 francs à 400 francs par an. Mais la municipalité avait d'emblée fait savoir qu'elle refusait de prendre en charge ce surcoût, mais sans pouvoir proposer un autre local.
Aussi, le 9 septembre 1868, la communauté (représentée par Jean Weil, Joseph Klotz, Jacob Weill, S. Mayer et Elie Klotz) refit-elle sa proposition de 1851. Elle proposa de céder gratuitement à la commune un terrain situé près de la synagogue (le même qu'en 1851 a priori), avec des matériaux, pour qu'elle puisse y construire une maison d'école israélite communale, avec le vœu supplémentaire que celle-ci offre dans l'appartement du premier étage une pièce assez grande, où le conseil communautaire pourrait tenir ses délibérations.
A sa demande, l'architecte de l'arrondissement élabora alors un "avant-projet explicatif", dont il évaluait le coût à 8 000 francs. Le conseil municipal l'accueillit favorablement le 25 septembre suivant. Mais comme les écoles et asiles communaux existants occasionnaient déjà une dépense de plus de 4 000 francs par an, on convint qu'il était nécessaire d'obtenir une subvention du gouvernement. La municipalité souhaita alors également que la hauteur de la salle d'école soit réduite à 3 m et celle des chambres d'habitation à l'étage à 2,50 m.
Elle rediscuta le projet le 4 août 1869. Bien qu'on ne comptât plus alors à Soultz que 46 enfants israélites, pour 304 âmes, on se cala sur une population théorique de 67 enfants, plus conforme à la moyenne départementale. On demanda également que les cheminées soient adossées à des murs en maçonnerie ; que les deux sexes soient séparés dans la classe par une cloison peu élevée ; et que soit précisé l'emplacement du puits d'alimentation en eau. On convint enfin de ne faire, "à prix égal, qu'une cave voûtée sous une partie des bâtiments, car les planchers pourrissent vite dans une cave qui sera humide."
Le 9 juin 1869, le conseil municipal redemanda l'aide du ministère, justifiée par la dépense de 6 000 francs qu'il venait d'avoir pour la réparation de la maison d'école catholique. Le sous-préfet répondit le 20 juillet, qu'il accueillait favorablement cette demande. Le 11 novembre, un nouveau devis établit la dépense à 9 420 francs. Il prévoyait une partie sur cave, un logement pour l'instituteur, une couverture de tuiles ainsi que des combles à deux pans.
Besoin d'une subvention ou pas ?
Mais en épluchant les comptes de la commune, le préfet constata le 14 décembre une situation financière bien moins catastrophique. Sur l'exercice 1869, 8.633,24 francs restaient disponibles et les fonds placés en réserve étaient de 20.345,81 francs. Aussi, la subvention gouvernementale lui sembla-t-elle superflue.
Appréciation aussitôt contredite. A la séance du 7 février 1870, des édiles firent valoir qu'en 1869 la commune avait consacré 6.000 francs à la réparation de la maison d'école catholique. Qu'elle entretenait déjà sept classes et dépensait annuellement pour l'instruction publique plus de 5.000 francs pour 1.660 habitants, sur un budget de 17.000 francs.
De plus, par suite d'une erreur commise dans la planification des coupes forestières, des abattages excédentaires avaient été autorisés. Pendant plusieurs années, les boisements communaux ne produiront donc rien, privant la municipalité de sa principale ressource. Elle ne pouvait donc effectivement pas se lancer dans de nouvelles constructions sans le concours de l'Etat. Ce que le maire fut chargé d'expliquer au préfet.
Et cependant, après un nouvel examen des comptes, la préfecture estima douze jours plus tard que la commune était tout-à-fait en mesure de supporter la dépense de la maison d'école israélite. Car l'excédent de recettes de 1869, toutes déductions faites, était de 9.500,14 francs, tout en admettant que les difficultés surviendraint après, par la faute des coupes forestières excessives.
Durant cette ultime dispute, comme elle ne pouvait rester dans ses anciens locaux, l'école privée juive de Soultz dut changer plusieurs fois de domiciliation (21). Et L'école israélite communale ne sera construite qu'après la guerre de 1870. Comme proposé, elle sera érigée sur l'emplacement de la maisonnette du schammess (le bedeau), dans la cave de laquelle se trouvait le bain rituel.
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