Si d'un coup d'oeil rapide on parcourt l'évolution de nos communautés alsaciennes de la campagne depuis un siècle et demi, on peut constater une courbe à peu près identique pour la plupart d'entre elles : consolidation vers la fin du 18e siècle, apogée au milieu du 19e et déclin continuel depuis la fin du second Empire. Nous en présentons comme exemples les communautés du rabbinat de Soultz-s.-F.
En 1784 il y eut un recensement officiel des juifs d'Alsace, dont les résultats furent imprimés à Colmar en 1785 dans un livre in folio, intitulé : Dénombrement général des juifs, qui sont tolérés en la Province d'Alsace, en exécution des Lettres-Patentes de sa Majesté, en forme de Règlement, du 10 juillet 1784. Nous y trouvons pour les communautés situées dans le territoire du rabbinat actuel de Soultz-S.-F. les indications suivantes :
Nom de la commune | Nombre des familles | Nombre des âmes |
Soultz-Fleckenstein | 34 |
164 |
Surbourg | 30 |
143 |
Hatten | 13 |
61 |
Niederkutzenhausen | 8 |
48 |
Niederroedern | 31 |
159 |
Wœrth | 10 |
34 |
Gœrsdorf | 5 |
21 |
Langensoultzbach | 2 |
12 |
Froeschweiler | 5 |
30 |
Gundstett | 8 |
53 |
Quant au chiffre de la population juive, c'est donc Soultz - qui s'appelle encore Sultz-Fleckenstein - qui vient en premier lieu, d'autant plus que ce chiffre est augmenté de 10 âmes par le supplément, annexé au "dénombrement". Des juifs avaient habité cette localité déjà au moyen âge.
La synagogue, construite en 1726, se trouvait dans un jardin qui à présent appartient à un boucher chrétien. Le seul souvenir monumental qui soit resté à Surbourg de l'ancien temps est un vieux mikwéh (bain rituel) dans la cave de la maison No 111 appartenant à un chrétien. (Après 1840 le mikwéh de Surbourg fut installé dans la maison de la communauté). Quant à un rabbin, il n'y en avait pas à Surbourg du temps du dénombrement. Il paraît que les juifs de toute la région s'adressaient, le cas échéant, au rabbin de Haguenau.
L'article XIII des Lettres-Patentes autorise les rabbins à juger des litiges entre juifs. A l'occasion d'un conflit surgi en 1755 entre les juifs de Trimbach et ceux de Niederrœdern au sujet du règlement du cimetière de Trimbach, la cause fut portée devant le rabbin Lazarus Moyses à Haguenau qui en effet porte le titre de "rabbin de Haguenau et des environs", (Scheid). Du temps du "dénombrement" Jacques Gouguenheim était rabbin à Haguenau.
Sous un autre rapport encore Surbourg et les communautés avoisinantes dépendent de Haguenau : elles y enterrent leurs morts. Tandis que, d'après Scheid, le cimetière juif à Haguenau est déjà mentionné dans un acte du commencement du 14e siècle, les juifs de la région Surbourg-Soultz ne paraissent jamais avoir possédé un champ qui leur servit de Bess chaïm (cimetière). Encore de nos jours les communautés israélites de Surbourg, de Woert s./S et de Goersdorf font partie du cimetière de Haguenau ; la communauté de Hatten dispose d'un cimetière depuis 1880, celle de Soultz depuis 1881 (celle de Niederroedern s'est séparée de Trimbach depuis 1878). Malheureusement ces cimetières de date récente ne sont pas la propriété des communautés israélites.
Le 1er avril 1795, Surbourg eut son premier rabbin après le dénombrement de 1784. Entre temps, comme on sait, un changement fondamental s'était produit dans la situation des Israélites français en général et de ceux d'Alsace en particulier : le 27 septembre 1791 ils devinrent des citoyens après n'avoir été suivant l'expression du "dénombrement" que des tolérés. Il est vrai que la Terreur s'est aussi fait sentir dans notre région. A Hatten le souvenir en est resté vivant, que le juif le plus considéré de la communauté, Joseph Israël, qui à, partir de 1808 a adopté le nom de Joseph Blum et qui pour son érudition fut appelé par ses coreligionnaires Reb Joseph. fut obligé d'écouter les sermons d'un athée fanatique.
Cette mesure de la fixation des noms patronymiques contribua sans doute à faire reconnaître les Israélites par leur entourage comme des concitoyens. Un autre décret impérial par contre faillit faire perdre les avantages de l'émancipation aux juifs d'Alsace, celui du 17 mars 1808, dont l'article 7 par exemple prescrivit aux conseils municipaux de décider à la majorité des suffrages sur la délivrance ou le refus d'un certificat de non-usure pour l'obtention d'une patente. Les extraits des délibérations des conseils municipaux de cette époque sont particulièrement instructifs à ce sujet.
On n'ignore pas que l'oeuvre de 1791 concernant l'égalité légale de la population juive fut achevée au début du règne de Louis-Philippe. En 1831 furent promulgués les ordonnances et décrets d'après lesquels les frais du culte israélite furent pris à la charge de l'Etat et plusieurs écoles israélites privées furent transformées en écoles israélites communales ou reçurent des subventions de la part de la commune civile. Le traitement d'Etat annuel du rabbin Rothschild s'éleva à 400 fr. Le ressort de son rabbinat était définitivement fixé comme étant composé des communautés de Surbourg, de Soultz, de Hatten et de Kutzenhausen. Quant à Soultz, la place de ministre-officiant devint gouvernementale. L'Etat payait un traitement annuel de 300 fr. à Elias Mannheimer qui depuis 1802 comme successeur de son beau-père Samuel Liebermann exerçait les fonctions de ministre-officiant. Quant à l'école israélite de d'instituteur Isaac Goldschmidt, lequel suivant autorisation du Recteur de l'Académie de Strasbourg du 27 avril 1831 fut nommé instituteur primaire de la commute de Soultz, le conseil municipal vota 200 fr., à savoir 90 fr. supplément du traitement, 100 f. comme indemnité de logement de l'instituteur et de la salle d'école, et comme prix d'encouragement 10 fr. Quelque temps plus tard cette école, devint entièrement communale après des luttes acharnées entre conseil municipal et gouvernement. L'école changea à plusieurs reprises de domicile. C'est seulement en 1874 que le conseil municipal fit construire l'école israélite actuelle (la seule qui existe encore dans l'arrondissement de Wissembourg). Le terrain en a été mis gratuitement à la disposition de la commune civile par la communauté israélite. Celle-ci y avait eu auparavant une petite maison habitée par le schammess (bedeau) et dans la cave de laquelle le bain rituel était installé. Encore actuellement le jardin de l'école, ancien emplacement de la synagogue, construite en 1827 et démolie en 1897, appartient à la communauté israélite.
Les communautés après 1830
A Surbourg le nombre des élèves israélites était si important que pendant un certain temps deux maîtres d'école, payés par la communauté israélite, enseignaient simultanément la jeunesse. Le 3 mars 1840, suivant acte du notaire Chrétien-Frédéric Pétri, la communauté israélite de Surbourg acheta au prix de 2.000 fr. la maison, où à partir de cette date l'école israélite - devenue communale le 8 mai 1849 - était installée au rez-de-chaussée Jusqu'au moment de sa suppression en 1906, et où au premier étage le rabbin habitait jusqu'au transfert du siège rabbinique à Soultz. Vers la fin de 1923 cette maison a été vendue par le consistoire sur la demande de la communauté sous réserve d'une servitude.
Pour la communauté de Hatten, l'année 1831 ne produisit aucun changement essentiel (Kutzenhausen n'avait que peu d'Israélites pendant tout le 19e siècle ; depuis octobre 1923 il n'y en a plus du tout). Le nombre d'Israélites n'était pas encore assez considérable à Hatten, pour qu'une place gouvernementale de ministre-officiant et l'établissement d'une école communale eût été justifiée (on a encore dû attendre plus de 15 ans pour obtenir ces deux avantages). Les Israélites de cette commune n'en firent pas moins la demande au conseil municipal, qu'on leur accordât pour leur instituteur une subvention annuelle de 250 fr. et une indemnité de logement. Cette demande fut refusée dans la séance du 14 novembre 1831. On lit dans l'extrait des délibérations du conseil municipal textuellement : "Considérant qu'il est de toute justice que depuis la régénération de la France par suite de sa glorieuse Révolution de juillet 1830, le culte israëlite jouisse des mêmes droits que les autres cultes, mais tout en lui accordant ces droits, il est impossible de satisfaire entièrement à la demande des suppléants, attendu qu'elle est exagérée." Le conseil accorda tout de même une subvention annuelle de 25 fr. - elle fut augmentée d'année en année et s'éleva en 1845 à 180 fr. - et 2 stères de bois de chauffage. Mais il refusa une indemnité de logement, alléguant que l'instituteur en question habitait dans la synagogue. (A Niederrœdern aussi l'école israélite de ce temps se trouvait dans une chambre latérale de la synagogue, construite en 1785 et démolie en 1867.)
Les années de règne du roi Louis-Philippe ont été une époque d'épanouissement et de prospérité pour nos communautés (3) Comme le gouvernement payait pour le culte israélite, il commença aussi à s'y intéresser. Le ministère des Cultes à Paris fit envoyer un questionnaire au Consistoire de Strasbourg le 30 septembre 1837 et puis le 12 avril 1842, pour se renseigner sur l'état des synagogues, sur le personnel du culte, sur le chiffre des habitants israélites, etc. Nous extrayons le tableau suivant de l'Etat des synagogues existant dans la circonscription consistoriale de Strasbourg dressé par le consistoire le 15 juin 1842.
Nom de la commune | Epoque de la construction | Etat de la synagogue | Population israélite |
Surbourg | 1726 |
a besoin de réparation et d'être agrandie | 318 âmes |
Soultz-s-forêts | 1827 |
en état d'entretien | 417 " |
Hatten | 1814 (4) |
susceptible d'être agrandie | 203 " |
Kutzenhausen | 1812 |
a besoin de réparation | 140 " |
A Surbourg le successeur du rabbin Libermann fut Elie Lang de Sierentz qui en 1851 devint rabbin à Ribeauvillé.
Le Rabbin Joseph Bloch resta à Soultz jusqu'en 1884. Le 29 août 1881 il pouvait encore inaugurer le nouveau cimetière. L'inauguration fut présidée par le grand rabbin Arnaud Aron, enfant de la communauté. Il était né à Soultz le 21 mai 1807 comme fils de Lyon Aron, un des notables de la région. et avait été nommé grand rabbin de Strasbourg le 17 avril 1834 comme successeur de Séligmann Goudchaux ; assistait également à cette fête le rabbin Aron de Nîmes de la même famille que le grand-rabbin. En 1884 le rabbin Joseph Bloch accepta le poste de Bischheim.
Ajoutons, pour terminer, les noms des rabbins qui se sorti succédé
à Soultz depuis 1884
Feu Isaac Roller (1885-1891).
Armand
Bloch (1891-1896).
Selig Bamberger (1896-1901).
Camille Bloch (1902-1910)
et depuis 1910 l'auteur de ces lignes (E. Schwarz).