Attestée au moins depuis
le 16ème siècle, ce fut toujours une petite communauté
(9 familles en 1784), qui avait l'avantage de permettre, le jour du Shabath,
aux coreligionnaires de Westhoffen,
Balbronn et Odratzheim
de se rencontrer. La dernière famille est partie en 1923 et le Consistoire
du Bas-Rhin a vendu la synagogue, qui a été aussitôt démolie.
C'était une humble maison avec un escalier extérieur en bois. Le culte se faisait dans une pièce avec quelques stalles, que l'on ne chauffait pas en hiver, et le ‘hazan [chantre], bénévole, recevait une gratification annuelle de 5 Marks, du temps allemand. Personne n'a songé à faire des photographies avant la destruction et le seul témoin subsistant est le tronc pour les pauvres, œuvre d'un sabotier, qui est au Musée Alsacien. On peut d'ailleurs voir un tronc identique au temple protestant de Westhoffen, avec la même date (1743), qui est celle de la construction de la synagogue.
Les archives nous apprennent que la Communauté fêta dignement l'inauguration et que, à la même époque, elle eut des ennuis avec le pasteur, pour avoir été trop bruyante à Pourim. Les Juifs vivaient leur religion sans en exclure le pittoresque. Les enfants allaient au 'heder à Odratzheim et se perfectionnaient, le cas échéant, chez les rabbins de Westhoffen. Celui-ci venait pour le Shabath de Hol-Hamoed [jours séparant les grandes fêtes] et faisait un discours, toujours le même. Une fois, dit-on, il eut un trou de mémoire et l'un des présents lui souffla la suite !
Les fêtes avaient un caractère à la fois strict et bon enfant. A la veille de la Pâque, on purifiait, sur la place du village, les ustensiles de cuisine qui étaient en fonte, avec, parfois, de petits malheurs dus à quelque polisson. La pièce où l'on enfermait le 'hametz [pain levé, non consommé à Pessa'h] était vendue par contrat à un voisin goy complaisant, avec une clause permettant le rachat au bout de huit jours. A Soukoth, les voisins non-juifs offraient des fruits pour orner la cabane dont le montage avait commencé aussitôt après Neïla [prière de Yom Kipour].
Même les moins favorisés avaient une vigne et l'habitude voulait que les voisins aillent aux vendanges. Un jour, on apprend à Seligmann qu'ils ne viendront pas. L'intéressé se résigne par une phrase de piété mémorable : "Unser Hariet word herbschte" (notre Bon D. fera la vendange). La seule boucherie du village était cachère et le garde-champêtre annonçait régulièrement, après un roulement de tambour, l'heure à laquelle, le samedi soir, la clientèle pourrait être servie. Les familles étaient riches en enfants, pour lesquels il n'y avait souvent plus de place au pays ; beaucoup partirent pour l’Amérique à partir du milieu du 19ème siècle. Certains se contentèrent de franchir les Vosges.
Ceux qui restaient en Alsace sillonnaient les routes jusqu'au vendredi après-midi ; ils jouissaient d'autant mieux du repos sabbatique. Il s'en trouve aussi qui acceptaient une réelle pauvreté pour pouvoir lernen [étudier] à longueur de journée. On n’a qu'une vague idée au niveau atteint, mais, au siècle dernier, l'un d'entre eux passait pour kabbaliste, ce qui n'a pas empêché un de ses petits-fils de faire fortune aux Amériques.
Le pasteur Bernard Keller nous raconte l'histoire du lieu de culte juif de Trænheim en 1723 Réalisation : Jean-Luc Nachbauer / Les Films de l'Europe (début des années 1990) © Site internet du Judaïsme d'Alsace et de Lorraine |
Le 8 janvier 1723 le pasteur Lang de Trænheim adresse une longue lettre
au Conseil de Régence de Bouxwiller, chef-lieu du Comté, dont
voici le début :
" Je porte humblement à la connaissance du Conseil de Régence
que les juifs du lieu se sont permis d'établir à grands frais
dans la maison du juif Isaac, une belle et grande pièce qu'ils veulent
aménager de façon à ce que 20 hommes et, dans une pièce
adjacente, un nombre égal de femmes puissent aisément trouver
place...»
Le pasteur s'étant étonné de cette entreprise a interrogé
Isaac qui lui a exhibé une autorisation du Conseil de Régence.
Cependant cette autorisation n'avait été accordée
que pour permettre au père d'Isaac, Costel qui était aveugle
de faire ses oraisons chez lui, avec la clause expresse qu'aucun juif
étranger (au village) ne puisse y participer et que cette autorisation
deviendrait caduque à la mort du vieux Costel. Le pasteur démontre
alors que ce qui est projeté dépasse de loin ce qui a été
permis :
1° Il s'agit d'une belle et grande pièce entièrement
lambrissée avec un plafond vouté ainsi que d'une pièce
annexe pour les femmes ;
2° Cette pièce ne se trouve pas dans la maison du vieux Costel
mais dans celle de son fils Isaac assez éloignée de celle de
son père ;
3° Que dans cette pièce tous les objets cultuels et ornements nécessaires,
avec beaucoup de dorures ont été introduits ;
4° Que les juifs du lieu auraient l'intention d'engager un rabbin particulier
(2) ;
5° Que la somme investie dépasse de loin ce qui serait nécessaire
pour le vieux Costel ;
6° Que ce dernier, bien qu'aveugle, était encore assez valide pour
se rendre à cheval à Westhoffen " pour assister à
leurs assemblées supersticieuses (sic)".
"... On voit donc que tout ceci n'est qu'un simple prétexte pour permettre
aux juifs de réaliser leur sombre dessein (ihr böses Vornehmen)
et qu'ils ont trompé l'honorable Conseil...»
Le pasteur ne s'est pas contenté d'écouter la rumeur publique mais a fait une enquête sur place avec le secrétaire du bailliage, le prévôt et le bailli de Westhoffen (3) qui peuvent témoigner. Etant donné que la permission du Conseil de Régence a été outrepassée et qu'il s'agit d'un véritable abus de confiance, le pasteur espère que le Conseil va mettre fin à ce projet " ...si préjudiciable au nom de Jésus et à son honneur".
De fait le 13 janvier, la Chancellerie de Bouxwiller adresse une note au
secrétaire du bailliage ordonnant que sous peine d'une amende de 10
thalers, la construction soit arrêtée et que les réunions
dans la dite maison soient interdites. Le juif Isaac doit être convoqué
sous huitaine devant le Conseil de Régence.
Le 17 janvier, le pasteur Lang qui était également convoqué
s'excuse, dans une deuxième lettre, de ne pas pouvoir comparaître
ce jour à cause de la journée de prières (Bettag).
Il reprend les arguments invoqués précédemment et parle
de "Teuffels Synagog" et de "Satans Schul". Il condamne aussi les chrétiens
"qui reconnaissent le Christ avec leurs paroles mais qui
le renient par leurs actes" (4).
Isaac ne se tient pas pour battu et demande à un certain nombre d'échevins et du bailli de procéder à une inspection. Ceux-ci constatent "... que le dit juif n'a fait qu'aménager une pièce sous le toit où il a fait poser des planches (5) par-dessus les chevrons de la charpente et que par ailleurs, pour les femmes rien n'avait été aménagé". L'attestation est datée du 18 janvier.
Le 19 janvier le pasteur est mis au courant de ce constat et il lui est demandé s'il désire une contre-expertise. Celle-ci est effectivement demandée puisque trois jours plus tard la Chancellerie donne ordre au charpentier Nicolas Schiny d'Obermodem de se rendre à Trænheim en compagnie du greffier de Westhoffen et de quelques échevins pour prendre les mesures exactes et faire l'état des lieux incriminés.
Cette nouvelle inspection a lieu le 26 janvier. Il est constaté que la pièce en question se trouve bien sous le toit, qu'elle mesure 14 pieds "französische Schuh" (6) de long, 17 de large, 10 1/2 de haut au milieu et 5 sur les côtés. Les deux pentes du toit sont proprement lambrissées et les pans verticaux le sont partiellement de façon à former effectivement une voute (Gewölb). Il y a deux fenêtres de trois pieds de haut sur deux de large. Dans la pièce se trouve une armoire de 4 pieds 1/2 de haut et de 1 pied 1/2 de large où doivent être déposées les Tables de la Loi (7). Sur un des côtés de la pièce, il y a deux ouvertures donnant sur une autre chambre de 12 pieds 1/2 sur 10 qui pourrait être destinée aux femmes mais qui n'a pas encore de plancher. Le constat est daté et signé par les inspecteurs (Augenscheinsmänner).
Force nous est de constater que les pièces litigieuses sont de dimensions
confortables et tout à fait dignes d'une synagogue de village.
Celle-ci sera d'ailleurs solennellement inaugurée en mai de la même
année, comme nous l'apprend une troisième lettre du pasteur
datée du 24 de ce mois. Laissons la parole au pasteur Lang :
" …l'insolence des juifs d'ici dépasse les bornes au point que
les chrétiens ne peuvent le constater qu'avec colère et chagrin...
je voudrais rapporter comment le dimanche des Rameaux, ils ont fêté
leur carnaval impie (ihr gotteloses Fastnachtsfest) et ont, jusqu'à
minuit, avec tambours, hurlements et cris (mit drommeln, jölen und
schreyen), parcouru le village, ont dérangé le repos nocturne
et honteusement prostitué notre dimanche... je ne puis pas non plus
céler que samedi dernier ils ont inauguré solennellement leur
synagogue ce qui est à l'encontre de la permission qui leur avait été
accordé, en présence d'un grand nombre de juifs étrangers.
Ils ont, après avoir célébré leur office vendredi
soir et samedi matin, organisé de grands banquets (grosse
Panquet (sic) angestellt) et non contents de cela, ont divagué
avec les musiciens jusqu'à une heure avancée de la nuit... je
laisse tout ceci à l'appréciation de vos Excellences. Je voudrais
cependant prier, au cas où cette synagogue resterait en fonction, qu'on
ne laisse pas les juifs nous dominer (uns über das Haupt wachsen
lassen) et qu'il risque de naître des conflits entre les chrétiens
encore fidèles et ceux qui dans la méchanceté sont de
cœur et d'esprit avec les juifs".
Lire
la correspondance du pasteur Lang avec la Chancellerie Archives Départementales du Bas-Rhin E 2517 (.PDF) |
Une fois de plus on constate combien les autorités religieuses du Comté s'opposaient à la pratique d'un culte public juif (8). Une fois de plus on peut aussi constater la mansuétude, probablement intéressée, des Comtes de Hanau-Lichtenberg. Le Pr. Jacques Schwartz nous a signalé que cette synagogue a existé jusqu'en 1922, date à laquelle les derniers juifs ont quitté Trænheim et où la synagogue a été vendue puis démolie. Le tronc pour la "tzedakah" [l'aumône] est conservé au Musée Alsacien.
Notes :
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