Le réseau des Veilleurs de Mémoire a été mis en place par les deux conseils départementaux alsaciens – aujourd’hui la Collectivité européenne d’Alsace - en coopération avec les deux consistoires israélites du Bas-Rhin et du Haut-Rhin au courant de l'année 2019.
Ce réseau reconnaît et rassemble des personnes de différentes confessions religieuses ou de simples citoyens qui ont été horrifiés par les profanations des cimetières juifs en Alsace. A ce jour, près de 80 personnes veillent bénévolement sur plus de la moitié des lieux de sépultures israélites alsaciens. Semaine après semaine, depuis le printemps 2019 où l'idée a été lancée, de nouveaux Veilleurs de Mémoire viennent s’ajouter à ce réseau qui ne veut pas laisser le dernier mot aux profanateurs. Chaque personne engagée se voit remettre un badge avec le nom du cimetière qui le concerne et les logos de la CeA et du Consistoire israélite.
La belle dynamique de ce projet veut s’étendre, pour les années à venir, à des temps de formation pour les Veilleurs de Mémoire afin qu’ils puissent accueillir les élèves des collèges alsaciens sur les lieux de sépulture pour écouter le témoignage fort de ces personnes engagées contre l'antisémitisme et pour un meilleur Vivre Ensemble.
Contact : Philippe ICHTER, chargé de mission à la Collectivité européenne d’Alsace, philippe.ichter@alsace.eu
J-L. Porche (au centre) devant une tombe israélite du Cimetière américain de St-Avold |
Alain Kahn : Pourriez-vous brièvement nous présenter vos origines et votre profession ?
Jean-Louis Porche : Je suis né en 1962, marié et j'ai trois enfants. De mère protestante et de père catholique. Mon arrière-grand-mère du côté paternel était originaire de Dabo. D'origine juive, elle s'appelait Blumenfeld. J’ajoute que je suis un ancien militaire, et depuis mon retour dans la vie civile, conducteur de poids lourd.
AK : De quelle association êtes-vous le porte-drapeau ?
JLP : Depuis trente ans, je suis le porte-drapeau de l’Union Nationale des Combattants. J'ai aussi par ailleurs parrainé trois soldats américains morts pour la France durant la deuxème guerre mondiale au Cimetière américain de Saint Avold.
Le cimetière de Saverne Voir les tombes du cimetière en ligne |
Alain François veille à la sérénité des défunts enterrés dans les deux cimetières juifs de Thann - © G.T. |
Les médias locaux et nationaux. Mais aussi le Daily Mail,
un portail d’information argentin, le Quotidien luxembourgeois,
The Guardian, O Globo et le plus prestigieux de tous,
le New York Times. On en passe sans doute, mais une chose est sûre
: l’initiative du Conseil départemental du Haut-Rhin, reprise
par son homologue bas-rhinois, avait suscité une vague d’intérêt
médiatique sans précédent.
Deux ans ont passé depuis le lancement des veilleurs de mémoire
au chevet des cimetières israélites de la région. Les
articles de presse se sont faits plus épisodiques. Deux nouveaux
volontaires ont été intronisés en septembre dernier,
portant les effectifs alsaciens à 64 personnes. "En
deux ans, c’est vraiment bien", estime Philippe Ichter,
chargé du dialogue interreligieux à la Collectivité
européenne d’Alsace et initiateur du réseau de ces veilleurs
bénévoles.
28 des 67 cimetières de la région bénéficient
ainsi, aujourd’hui, d’anges gardiens, essentiellement en territoire
rural. 240 tombes avaient été profanées dans trois
cimetières alsaciens entre janvier 2018 et décembre 2019.
Depuis la profanation de 107 tombes juives au cimetière
de Westhoffen le 3 décembre 2019, plus aucun acte du genre n’est
à déplorer. Faut-il y voir un lien avec la mise en place de
ce réseau chargé de veiller sur les sépultures ?
A l’heure d’un premier bilan, forcément un peu biaisé
par ces douze derniers mois de pandémie, les veilleurs regardent
leur action avec foi et humilité. Fort heureusement, la crise sanitaire
ne semble pas avoir jeté un voile sur leur enthousiasme citoyen.
Catholique, Parisien d’origine et retraité depuis peu, Alain François est l’un de ces veilleurs. A 65 ans, engagé dans l’animation pastorale mais aussi dans un groupe interreligieux, son profil arrive un jour aux oreilles du Consistoire Israélite du Haut-Rhin, qui verrait bien en lui un gardien de la mémoire à Thann, où il vit. "Je ne connaissais pas les deux cimetières israélites que compte la ville, un vieux et un plus récent, car ils sont relativement isolés", note l’intéressé. Qu’à cela ne tienne, Alain François accepte la mission bénévole. Depuis le début de l’année 2020, il se rend régulièrement dans l’un et l’autre des cimetières pour vérifier si tout y est en ordre. Tout simplement. "C’est un rôle de veille bienveillante, fraternelle, plus qu’un devoir. Je le conçois dans l’esprit d’un voisin vigilant." Il sait bien que sa présence épisodique ne saurait empêcher un potentiel acte malveillant, mais il espère que la médiatisation accordée au dispositif puisse décourager d’éventuels personnes mal intentionnées.
Alsace : des "veilleurs de mémoire" pour protéger les cimetières israélites. diffusé par Alsace20, novembre 2019 |
A Wintzenheim, Lise et Robert Tornare veillent sur les tombes du cimetière juif depuis plus de quarante ans (voir le film ci-contre). Informellement, d’abord, puis officiellement, badge des "Veilleurs de mémoire" à la veste depuis deux ans. "C’est devenu, avec le temps, notre jardin. Devoir y veiller, c’est à la fois extraordinaire et terrible. Mais cela nous a permis de rencontrer des gens du monde entier". Le couple voit dans son passage régulier une forme active de lutte contre l’antisémitisme.
A Luemschwiller, Marcel Zimmermann ne veut pas se contenter de "surveiller de vieilles pierres tombales". Ce septuagénaire entend transmettre la mémoire de la communauté juive aux plus jeunes. Une transmission qui commence, selon lui, par le respect accordé aux défunts de sa propre communauté villageoise.
A Jungholtz, où résidait une importante communauté juive, Solange et Francis Laucher procèdent en moyenne à deux rondes par semaine dans le cimetière implanté au début du 17ème siècle. Ils savent, eux aussi, qu’il y aura sûrement d’autres profanations, même si les tombes qu’ils couvent du regard n’ont plus été dérangées depuis la seconde guerre mondiale. Ce qui les préoccupe au moins autant que de potentiels actes antisémites, c’est l’état de nombreuses tombes, surtout celles en grès. "Cela nous démange d’enlever des branches tombées par terre, de reprendre telle ou telle pierre qui s’effrite", sourient les époux Laucher. "Mais on sait qu’il en va de la responsabilité du consistoire, pas de la nôtre."
Audrey Funk, à côté du doyen honoraire du consistoire du Haut-Rhin Jean-Pierre Weill, est l'une des deux veilleuses de mémoire du cimetière israélite de Hatstatt-Herrlisheim- © F.M. |
L’institution israélite n’a cessé de se dire
touchée par la bienveillance exemplaire des veilleurs. Elle continue
à travailler, avec le chargé de mission Philippe Ichter et
les municipalités des 67 cimetières israélites d’Alsace,
au recrutement de nouveaux veilleurs. "Il y en aura
peut-être prochainement un à Biesheim",
espère Laurent Schilli.
D’autres cimetières mériteraient sûrement leur
veilleur. On pense à Herrlisheim
dans le Bas-Rhin, couvert de graffitis antisémites fin 2018. Ou à
Hégenheim,
l’un des plus importants d’Alsace avec plus de sept mille stèles.
Et aux autres, finalement :
"tous nos cimetières méritent un veilleur,
le risque est similaire partout", affirme Yvan Geismar, président
d’honneur du consistoire du Haut-Rhin.
Avec moins de vingt mille juifs vivant en Alsace à ce jour, et surtout un judaïsme rural qui a quasiment disparu (il reste par exemple une personne de confession juive à Altkirch, une à Quatzenheim aussi, voir ci-dessous), la communauté a plus que jamais besoin d’appui pour assurer la paix de ses défunts. L’amplification et l’enracinement du mouvement passeront par la jeunesse.
Lionel Godmet, professeur de religion aux collèges de Soultz et
de Guebwiller, avait fait déposer par ses élèves des
galets porteurs de messages contre l’antisémitisme sur des
tombes de Jungholtz
suite aux profanations
à Quatzenheim en 2019. Il y a un an, Brigitte Klinkert, alors
présidente du Conseil départemental du Haut-Rhin, avait souhaité
que "des classes entières d’écoliers
deviennent veilleurs de mémoire".
Si la crise du Covid n’a pas réussi à couper les veilleurs
de leur cimetière, elle a forcément ralenti l’élan
vers les scolaires. La dernière rencontre du réseau, en septembre,
avait acté le lien entre équipes pédagogiques des collèges
et anges gardiens des cimetières pour l’organisation de visites.
Autant de perspectives qui donneraient un nouveau souffle à ce dispositif
mémoriel duquel l’Alsace veut continuer d’être
fière.
Yves Bailleux au cimetière israélite de Quatzenheim © F.Maigrot / L'AMI |