Quand ils étaient déjà mariés ?
Ils faisaient plutôt cela avec mon mari. Et les couples ne se confiaient pas non plus autant qu'aujourd'hui. C'étaient des choses dont on ne parlait pas et qu'on ne faisait pas. Il y avait bien moins de divorces qu'aujourd'hui, et ce n'est pas parce que les couples étaient plus heureux, mais cela ne se faisait pas.
Absolument ! Il ne faut pas oublier que les Juifs ne vivaient pas dans un contexte qui était le leur seul, et qu'ils suivaient un certain nombre de cheminements que suivait toute la société. C'est pour cela que le comportement des femmes sefarades n'est pas le même que celui des femmes ashkenazes. Maintenant, de plus en plus parce qu'il y a le mélange D. merci. Mais quand il n'y avait pas de mélange, chacun était sous l'influence de la société dans laquelle il vivait.
Je n'ai pas dit qu'il n'existait pas, mais il était plus rare.
Ils se la bouclaient. Il y a des choses dont on ne parle pas.
Je crois que les femmes devaient avaler pas mal. Lorsque la femme a évolué dans la société, la femme juive a évolué avec la société juive, parallèlement à la société ambiante.
Je pense que oui, parce que finalement, gagner la vie de la famille est une chose extrêmement importante. On est le chef quand on la gagne. Or les femmes elles étaient, si vous voulez, chef de la maison dans la mesure où il y avait des enfants à élever, il y avait de la lessive à faire et de la popote à faire. On n'avait pas de machine à laver ! On n'avait pas beaucoup d'aide !
Justement, elles ne travaillaient pas, elles n'avaient donc pas d'indépendance. Elles ont travaillé beaucoup beaucoup plus tard. Ce n'est qu'à mon époque que les femmes ont commencé à travailler vraiment sérieusement. Et finalement, elles ont acquis à ce moment là un peu trop d'indépendance. Mais le mari aussi ! Parce que finalement ils ne s'occupaient plus convenablement de l'éducation des enfants. On a l'impression qu'ils pensaient : "moi je suis libre, et mon petit est libre aussi".
Quand moi j'étais jeune. Quand les femmes commençaient à travailler peu à peu, après la deuxième guerre mondiale. Au fond, le partage du travail, c'est-à-dire de la famille et le travail à l'extérieur n'a pas été partagé correctement entre le mari et la femme. Et les enfants, sous prétexte qu'ils ont droit à la liberté, on les laissait faire ce qu'ils voulaient.
Oui c'était le début.
C'est çà, absolument. Ma mère a arrêté de travailler le jour où elle s'est mariée ! Quand elle était jeune fille, elle faisait du secrétariat, et cela lui valait l'admiration de son entourage, mais elle a arrêté de travailler dès qu'elle s'est mariée.
Jusqu'au jour de son mariage.
Oui, pour le cas où elles ne se marieraient pas. J'ai fait du piano quand je suis rentrée en 6ème. Pourquoi du piano ? C'est que mes parents pensaient : "si elle ne se marie pas, elle pourra être éducatrice…"
Je ne sais pas si c'était généralisé, mais je sais que mes parents m'ont dit "maintenant tu apprendras le piano, pour le cas où tu ne te maries pas, et où tu seras obligée de gagner ta vie par exemple en te mêlant d'éducation".
Parce que cela existait. Chez ma mère, elles étaient six filles, dont trois n'étaient pas mariées. Une des trois sœurs s'est mariée après la guerre, quand elle était déjà une dame d'un certain âge. Il y avait aussi des garçons qui ne se mariaient pas, parce qu'ils s'occupaient des parents.
Je n'ai pas poussé le culot jusqu'à lui demander "comment as-tu connu Papa ?"
Oh non, on ne parlait pas de… c'était totalement différent ! Et puis je n'y ai même pas pensé, cela me semblait totalement naturel. C'étaient deux villages très proches. Mon père a quitté Osthouse, s'est marié à Erstein avec ma mère. C'est comme s'il avait épousé quelqu'un de Osthouse.
Cela devait toujours exister.
Effectivement. Où allait-on quand moi j'étais jeune ? Quand on faisait un voyage jusqu'à Paris, ou quand mes parents nous emmenaient en vacances sur la Côte d'Azur (mon père travaillant à la SNCF nous avions droit à des voyages gratuits), eh bien c'était extraordinaire !
Oui, je pense. Je ne pense pas qu'il y ait eu beaucoup de mariages d'amour. D'abord on ne parlait pas d'amour ; c'était un mot… honteux.
Même dans ma jeunesse. On parlait d'un mariage d'amour comme de quelque chose de tout à fait exceptionnel.
Oh, je n'allais pas au cinéma. On m'envoyait au théâtre voir du Wagner, mais pas au cinéma. Ma mère allait déjà beaucoup au théâtre avec ses sœurs.
Elle lisait des livres. Elle avait une ouverture sur le monde parce qu'elle travaillait dans une grande entreprise. Ma tante a pris sa succession quand elle s'est mariée, et à mon avis elle a beaucoup souffert de la façon dont on parlait de ma mère comme étant excellente. Et elle s'est arrêtée de travailler elle aussi quand elle a épousé mon oncle !
Non non non, elles ne lisaient ni le théâtre classique, ni même Balzac ou des choses de ce genre. Çà c'est déjà ma génération à moi.
Des petits romans.
Oui. Mais c'était de la littérature. On n'avait pas le droit de lire un roman qui était indécent, où l'on parlait une fille qui se déshabillait ou quelque chose dans ce goût-la, c'était interdit.
Cà m'étonnerait.
Si si si. Les communautés en organisaient pour Sim'hath Torah et à Pourim.
Célibataires ou pas. Vous pouviez venir avec votre mari.
Oh oui ! Cà c'est le contraire du reste, c'est-à-dire que cela ne leur venait pas à l'idée que si elles dansaient avec un jeune homme çà pouvait avoir un effet physique. Il y en avait peut-être, mais on n'en parlait pas. Les bals étaient permis dans le judaïsme alsacien, mais pas dans le judaïsme polonais (de Strasbourg).
J'ai été dans un mouvement de jeunesse de la communauté de Strasbourg qui était "Yeshouroun", où les filles et les garçons avaient leurs réunions à part. Mon mari était un jeune homme de la communauté polonaise (orthodoxe) qui était passé grâce à ses camarades dans notre Mouvement. Mais je ne le savais pas, je ne le connaissais pas, je ne l'ai jamais vu. Peut-être l'ai je vu en passant une fois…
Oui mais c'était déjà après la guerre, quand le Yeshouroun faisait des réunions inter-sexes.
Les EI ? Pour rien au monde je n'aurais eu le droit d'aller aux EI !
Il souhaitait que les jeunes filles non-religieuses, qui n'allaient pas aux EI ni dans un autre Mouvement trouvent un cadre d'intégration, pour éviter les mariages mixtes, et pour leur donner une éducation juive.
Non, je crois qu'il y avait des garçons aussi.
Il y avait des filles, mais c'était très correct.
Je pense. Par exemple le Mouvement Yeshouroun est devenu mixte. Mixte, mais avec beaucoup de gants et de décence.
Je pense que quelque part cela les a libérés. Mais d'un autre côté, à certains moments on est revenu en arrière.
Absolument. Nous voulions faire notre alyah dès la création de l'Etat d'Israël. Et le directeur du Séminaire, le grand rabbin Liber, a dit à Max : "vous ne pouvez pas partir, parce que après ce qui vient de se passer, la décapitation du judaïsme et du rabbinat, il faut s'occuper des communautés." Nous sommes restés.
Oui bien sûr.
Oui jusqu'à un certain moment où on a séparé les filles et les garçons. L'Ecole Aquiba ne savait pas très bien sur quel pied danser.
Il est certain qu'il y a plus de filles qui allaient au mikvé que de mères qui allaient au mikvé. Pas énormément, mais peu à peu cela a augmenté.
Aussi le contact avec le grand rabbin. Comme Max était le directeur du Talmud Torah pendant des années, il avait d'excellents contacts avec les élèves. Aujourd'hui, lorsque je regarde l'évolution de la communauté, elle a été beaucoup plus positive, beaucoup plus nombreuse chez les élèves du Talmud Torah que chez ceux de l'Ecole Aquiba.
Parce que mon mari le leur avait demandé. C'étaient une condition pour qu'ils les marie : il fallait qu'elles apprennent. Il ne leur demandait jamais si oui on non elles avaient été au mikvé. Il ne faisait pas l'enquête, ne demandait pas de papier, ni quoi que ce soit. Il leur faisait confiance. Il savait très bien que toutes n'y allaient pas, mais ce qu'on a constaté, c'est que la plus grande partie de ces filles qui sont maintenant ici en Israël, qui sont des femmes mariées, qui sont des religieuses, sont des filles qui étaient des élèves du Talmud Torah, pas de l'Ecole Aquiba. C'était la qualité du contact que Max avait avec la communauté.
Mais il faut dire aussi que Max était un jeune rabbin, donc il avait déjà évolué dans la façon de parler, de dire des mots etc. Une jeune fille qui disait "je suis enceinte" ! Elle ne disait même pas "enceinte", je ne sais plus comment elle disait.
Cela, on n'en parlait pas encore officiellement au niveau des jeunes couples. C'était la spécialité de Max et du Docteur Bader, dans les années 50 et 60. Les jeunes ménages avaient commencé à organiser des cours de planning familial. Mais l'Etat ne l'acceptait pas. On n'avait pas le droit d'en parler ! Cependant mon mari a fait de nombreuses conférences à ce sujet dans la communauté, parce qu'on tenait à connaître la position du judaïsme à ce sujet.
Il était très ouvert dans ce domaine.
Oui mais il faisait cela avec un gynécologue, le Docteur Bader qui n'était pas un juif orthodoxe.
Non ils discutaient ensemble devant le public. C'était un débat. Max essayait de garder un certain accord avec la Halakha (la loi juive). Tout en l'autorisant d'une certaine façon : donc pas de relations au moment où l'on sortait du mikvé, ce qui est le moment le plus propice pour être enceinte.
A ne pas avoir de relations avec leur mari. Dans un but de contrôle des naissance. Il y avait le Docteur Bader qui lui, techniquement, connaissait les moments où l'on était plus réceptifs à…
Oui. Il y a des femmes qui reculaient le moment d'aller au mikvé pour ne pas être tentées, justement.
Mon mari était un rabbin consistorial, il opérait dans un milieu largement ouvert, qui allait du judaïsme libéral ou presque je m'en-foutiste, jusqu'à un judaïsme presque orthodoxe. Les super-orthodoxes bien sûr ne venant pas se mêler à ce fatras de Juifs de toutes les tendances. Et mon mari a même été traité de rabbin libéral, qui n'a pas le droit de faire un mariage à Kageneck. C'est incroyable ! C'est à ce moment-là qu'il a rompu.
Parce qu'il s'occupait de Juifs qui n'étaient "pas intéressants".
Très largement. On savait que si un juif roulait en auto le Shabath
pour venir à la synagogue, il ne le fichait pas à la porte !
Il ne lui donnait même pas mauvaise conscience. C'est à lui de
découvrir, à celui qui prend l'auto, si oui ou non il a de bonnes
raisons de continuer ou pas !
Je me rappelle toujours d'une histoire qui est arrivée à mon
mari : il va faire une visite à l'hôpital juif de Strasbourg
un Shabath. Là il rencontre un Juif de la communauté et il s'arrête
pour bavarder avec lui. C'était un Juif qui était très
assimilé, mais qui était encore juif et qui revendiquait son
judaïsme. Max le rencontre à nouveau deux jours plus tard, et
il lui dit : "grâce à vous, j'ai brûlé mon
pantalon. Parce que quand je vous ai vu, j'avais une cigarette en bouche,
et je ne voulais pas que vous me voyiez avec une cigarette, alors je l'ai
prise et je l'ai fichue dans ma poche !" Ce Juif était très
heureux qu'on ne le considère pas comme une personne négligeable
parce qu'il transgressait le Shabath et qu'il ne mangeait probablement pas
casher. Et c'est pour cela que mon mari était considéré
comme un rabbin "libéral" !