Quand les Juifs de Wintzenheim de la première moitié du 20ème siècle évoquaient "leur" rabbin ("unser Réwe"), ils entendaient mettre en avant, non sans un sentiment d'orgueil, l'érudition de leur chef spirituel et, en même temps, manifestaient leur confiance en celui qui pouvait les comprendre et les secourir lorsqu'ils étaient dans la détresse.
De 1892 à 1935, Joseph Zivi fut le rabbin de Wintzenheim. Lorsqu'il prit ses fonctions, 736 Juifs résidaient dans sa circonscription. Né en 1865 à Biesheim, il avait fait ses études à Berlin, au Hildesheimer Seminar, établissement à la fois de stricte observance et ouvert sur le monde. Il avait parallèlement suivi des cours à l'université. Il consacra sa thèse à l'édition du commentaire en arabe de Maïmonide du traité Demaï de la Mishna. Il avait épousé en secondes noces Lucie Debré, originaire de Westhoffen, dont la famille devait connaître une intégration prestigieuse.
Durant la première guerre mondiale, Joseph Zivi fut d'abord co-intérimaire au grand rabbinat du Haut-Rhin aux côtés de Moïse Ginsburger, puis en 1919 suppléant du grand rabbin. Le grand rabbin Zivi marqua profondément les garçons et filles auxquels il faisait cours chaque jeudi et chaque dimanche matin : ils le craignaient et le respectaient. De plus, toutes les semaines il se rendait à l'hôpital psychiatrique de Rouffach pour être présent aux côtés des malades.
Ce rabbin érudit, qui en imposait, était en même temps très proche des fidèles. Lorsqu'il rencontrait l'un d'eux, il s'arrêtait pour échanger quelques paroles avec lui. Chaque Shabath après-midi les hommes se réunissaient chez lui pour le Lernen, c'est-à-dire l'étude du Talmud. Pendant ce temps, son épouse qui le secondait très efficacement allait rendre visite aux malades. Joseph Zivi était un bon orateur et des non-Juifs se pressaient parfois au fond de la synagogue lors de l'office du Shabath matin pour écouter son enseignement.
Un court récit témoigne de sa bonhomie. L'un de ses fidèles, dans les années qui suivirent la première guerre mondiale, s'insurgea contre le fait que c'était précisément ceux qui avaient mangé "träjfe", de la nourriture interdite, qui prospéraient. Le rabbin Zivi lui répondit : "Ceux qui sont privilégiés ici-bas ne le seront plus dans le monde à venir". À quoi le fidèle rétorqua : "Unser Harjett" (notre Bon Dieu) pourrait bien nous verser un petit acompte".
Le rabbin Zivi sut unir l'orthodoxie juive et l'ouverture sur son temps, de solides connaissances talmudiques et le souci pastoral, notamment auprès des plus démunis. Il incarna l'impératif catégorique du judaïsme alsacien "laewe un laewe lon", "vivre et laisser vivre".
Dans sa soixante-dixième année, le rabbin de Wintzenheim Joseph Zivi, docteur en philosophie, officier d'Académie, a été enlevé par suite d'une embolie.
Né à Bieshei; en 1865, le jeune homme a été envoyé dans sa quatorzième année à l'École réale de la Communauté orthodoxe de Francfort, qu'il fréquentait pendant trois ans. Il se rendit alors au séminaire rabbinique à Colmar où il suivait en même temps les cours du lycée qui lui a décerné le certificat de l'Abitur. En 1886 nous le trouvons à Strasbourg comme élève du séminaire rabbinique du Consistoire et étudiant à l'Université. Il obtint sa formation définitive au séminaire orthodoxe de Berlin où il était l'élève de Hildesheimer et où il s'est adonné aux études des langues orientales à l'Université. Sa thèse du doctorat, présentée à Leipzig, s'occupe des Commentaires de Maimonide au traité Demaï
En 1893, il tut nommé rabbin de Wintzenheim, poste qu'il a conservé jusqu'à sa mort. Cette communauté était alors une des plus importantes du pays. Le rabbinat a été successivement agrandi par la suppression d'autres et comprenait finalement les communautés : Wintzenheim, Biesheim, Hattstatt, Herrlisheim, Neuf-Brisach, Turckheim et les familles israélites à Ingersheim, Kaysersberg et Munster. Depuis plus de trente ans, M. Zivi était professeur de religion aux lycées de garçons et de jeunes filles à Colmar, il était aumônier de l'Asile de Rouffach et membre de la Commission de l'hôpital.
Les obsèques ont eu lieu au milieu d'une affluence extraordinaire à Wintzenheim jeudi 2 mai. Dans l'assistance ont été remarqués les rabbins d'Alsace et de Lorraine au grand complet, les ministres officiants du rabbinat de Wintzenheim, le Conseil municipal, une délégation de la Gendarmerie, du corps des Pompiers, des lycées de Colmar et de toutes les communautés faisant partie du rabbinat. Dans la maison mortuaire, le rabbin J. Bloch de Barr, beau-frère du défunt, a prononcé un sermon émouvant au nom de la famille. Le cortège se dirigea alors au temple israélite, où les ministres officiants M. Hallel, de Wintzenheim, et M. Wolff de Colmar, récitaient les chants liturgiques. Un magnifique éloge funèbre a été prononcé par M. le grand rabbin Weill de Colmar, qui, ami du défunt, a recommande à la communauté de Wintzenheim de rester fidèle à l'exemple donné par ce pasteur. Au nom du Consistoire du Haut-Rhin. M. P. Wurmser a adressé à ce pieux rabbin un suprême adieu. Très ému, le rabbin A. Bloch, de Saverne prit la parole au nom de l'Association des rabbins d'Alsace et de Lorraine, et finalement M. Myrtil Bloch, professeur à Strasbourg, exprima les sentiments de reconnaissance qu'éprouvent les anciens élèves pour leur rabbin.
Le rabbin Zivi qui a exercé pendant quarante-deux ans ses fonctions à Wintzenheim a eu de grandes qualités de cœur, qui lui ont acquis les sympathies et le respect de ses paroissiens et de tousses nombreux amis et connaissances. Il a été profondément pieux, attaché sans transiger avec le libéralisme à notre vieille foi religieuse et à nos ancestrales traditions. Dans cet esprit, il a donné son enseignement à la jeunesse et aux membres de sa communauté. Il s'est voué à son saint ministère avec désintéressement et avec une conscience scrupuleuse et s'il a eu une ambition, c'était celle de servir la cause à laquelle il s'était dévoué. Son rêve a été de conserver au sein des familles le culte de la Loi qui doit aider Israël à résister à tous les désastres. Un rabbin alsacien, pieux à l'antique façon, a quitté sa communauté. Il laisse le souvenir d'un juste.