Samuel DREYFUSS
Rabbin de Mulhouse
1806 - 1870


Né le 2 juin 1806 à Ribeauvillé (Haut-Rhin). Décédé en mai 1870 à Mulhouse (Haut-Rhin).
Époux de Henriette Lang, de Fanny Beer, d'Ève Haas, d'Eugénie Weil.
Il est l'aîné des onze enfants d'Isaac Heymann Dreyfusss, boucher originaire de Bergheim, et de Braunelé (alias Madeleine) Kahn, originaire de Sulzburg, en Bade.

C'est l'un des tout premiers élèves admis à l'École centrale rabbinique de Metz, le 13 janvier 1830 : il est reçu sur concours à la première des deux places donnant droit à une bourse du consistoire de Colmar, ceci quasiment en même temps que son baccalauréat, obtenu le 16 janvier 1830 à Metz. Il occupe un poste de répétiteur de latin et de français à l'École.
Au vu de ses trois diplômes rabbiniques respectivement conférés par les grands rabbins de Metz, de Nancy et de Colmar et des certificats de moralité délivrés par les maires de Metz et de Mulhouse, il est nommé en mai 1831 par la commission synagogale de Mulhouse pour y faire fonction de rabbin pendant la maladie du rabbin en titre, David Bernheim.

En 1839, un certain Wahl qui pourrait être Alexandre Wahl, commissaire-surveillant de la synagogue de Mulhouse en 1831, évoque l'illégalité, à ses yeux du moins, de cet arrangement. Mais, le 29 novembre 1833, après le décès de David Bernheim, Samuel Dreyfuss est dûment désigné comme rabbin par le consistoire de Colmar ; il est nommé le 7 janvier 1834 par l'administration des Cultes, avec un traitement de 400 francs par an, pour 450 fidèles.

En 1840, un intellectuel parisien, Samuel Cahen, a fondé le journal Les Archives israélites et y défend avec ardeur la cause de la réforme du culte. Ses tendances sont combattues avec passion par les juifs pratiquants, surtout par ceux d'Alsace, de Lorraine et d'une partie du midi de la France. Cependant, elles éveillent l'intérêt du rabbin Dreyfuss : déjà sur les bancs de l'Ecole rabbinique, il s'est distingué par sa culture générale et son ouverture au monde moderne. Avec lui débutera pour l'histoire de la Communauté de Mulhouse un nouveau chapitre, teinté d'un libéralisme modéré. Mais son action réformatrice va se heurter à un fort courant traditionaliste dont le chef de file semble avoir été Reb Baruch Wahl, lui aussi titulaire d'un diplôme rabbinique.
En 1840, Samuel Dreyfuss est l'un des signataires d'une lettre adressée au Consistoire central par neuf rabbins du Haut-Rhin à propos du projet d'ordonnance contenant la réorganisation du culte israélite.

En 1842, malgré l'obstruction systématique du consistoire de Colmar, il parvient à créer à Mulhouse, avec le soutien de la Société Philanthropique israélite du Haut-Rhin, une école d'Arts et métiers "fondée en faveur des israélites indigents du Haut-Rhin", la première en France après celle de Strasbourg. Cet établissement a pour objectif de donner aux jeunes juifs des "métiers utiles" qui doivent remplacer les occupations ancestrales, notamment la mendicité et la pratique de l'usure. Il est nommé directeur de cette école, officiellement inaugurée en 1844. C'est aussi en 1842 qu'il apparaît parmi les membres de la Commission de répartition des pauvres du Haut-Rhin.

Samuel Dreyfuss est au centre de plus d'un conflit et en butte à plus d'une attaque : il est accusé (à tort) d'avoir trempé dans la faillite frauduleuse d'un certain Widal en 1836. En 1839, il dénonce au grand rabbin de Colmar des bouchers juifs de Zillisheim accusés d'avoir vendu de la viande le samedi, lequel leur applique de sévères sanctions religieuses. En 1840 il subit des voies de fait en 1840 de la part d'un fils Wahl.

En 1842, il est accusé de négligence dans l'enseignement religieux par B. Wahl, membre de la commission synagogale qui a participé à sa nomination comme rabbin. Le ministère demande une enquête au Consistoire central sur cette dernière plainte ; le Consistoire, après avoir entendu le rabbin, prend sa défense par lettre au ministre du 8 mai 1842, arguant que le rabbin est "à la tête d'une association philanthropique qui a pour but d'encourager aux arts et métiers la jeunesse de la classe indigente du Haut-Rhin et qui a fondé dans cette vue une école à Mulhouse". Dreyfuss se considère comme victime des orthodoxes, et jouit du reste de la satisfaction de la grande majorité des membres de sa communauté ; ils signent une pétition en sa faveur et lui accordent une allocation supplémentaire. Par lettre du 27 juin 1842, le ministère rejette l'accusation, mise sur le compte d'une vieille haine de Wahl (qui, en 1845, accusera encore Samuel Dreyfuss d' "entrer corps et âme dans les idées de la réforme" et, en 1847, de lever des taxes arbitraires), mais fait enjoindre au rabbin de "se renfermer dans la ligne de ses devoirs et d'éviter tout ce qui pourrait donner prise aux animosités dont il paraît être l'objet".

En 1843 il fait acte de candidature au grand rabbinat de Nancy, sans succès. Il en va de même lorsqu'il se présente le 16 juin 1846 au poste de grand rabbin du Consistoire central et le 10 novembre 1847 à celui du grand rabbinat de Paris. Le 6 mars 1848, la Société philanthropique israélite du Haut-Rhin demande au ministre des Cultes le remplacement du grand rabbin de Colmar Seligman Goudchaux par Samuel Dreyfuss, qui incarne l'esprit de réforme de la jeune République. Mais après le décès de S. Goudchaux, lors de l'élection il est opposé à Salomon Klein, rabbin conservateur, dont l'élection est confirmée le 2 mai 1850.

On peut donc penser que ses idées "progressistes", non seulement au sujet du culte, mais aussi sur les réformes sociales en général, ne font pas de lui un candidat acceptable, comme il ne reconnaît lui-même : "Nous avons eu la faiblesse, comme beaucoup de nos grands rabbins, de briguer quelquefois une place supérieure [...] Nous n'avions jamais caché notre drapeau et laissé ignorer nos convictions les plus orthodoxes [...]. Oui nous sommes progressistes lorsqu'il s'agit de sortir le parti conservateur de la torpeur où il s'est complu jusque dans ces derniers temps". Il prône l'abrègement des offices, l'introduction des prières en langue nationale, la publication en langue vulgaire des prières postérieures au Talmud, et projette lui-même de publier en collaboration avec des collègues une traduction de la Bible en français à prix modeste, lançant ainsi l'idée de la future Bible du Rabbinat.

Toutefois il condamne les réformes liturgiques introduites par le rabbin de Hegenheim Moïse Nordmann, comme le fruit d'un individualisme arbitraire soustrait à la sanction de l'autorité spirituelle, en l'occurrence celle de leur supérieur hiérarchique le grand rabbin de Colmar, dont il critique pourtant les options rigoristes. Mais, contrairement à Théodore Dietisheim, rabbin à Wintzenheim, il se tient à l'écart des réformes de modernisation du culte, introduites par le grand rabbin du Consistoire central Salomon Ullmann en 1856. Aussi, trop libéral pour les orthodoxes, trop orthodoxe pour les libéraux, cible des extrémistes des deux camps, se fait-il méchamment traiter de girouette : "Souvent Dreyfuss varie, bien fol est qui s'y fie" écrit L'Univers israélite (organe du judaïsme conservateur).

Mulhouse reste donc son seul poste. Il continue à cumuler la direction de l'École des Arts et métiers de Mulhouse avec ses fonctions rabbiniques.
Le projet qui lui tient le plus à cœur est l'édification d'une synagogue monumentale, dont les dimensions et l'architecture devront témoigner de la place désormais acquise à la communauté juive au sein de la cité. Sa réalisation constitue le couronnement religieux de l'ascension sociale de nombreux coreligionnaires qui ont déjà rejoint avec succès le monde de l'industrie, du commerce et de la finance. La synagogue est construite en 1848, et elle est inaugurée le 13 décembre 1849 en présence des magistrats de la ville et avec la participation des militaires devant une foule évaluée à deux mille personnes. C'est pour le rabbin Dreyfuss l'occasion d'exalter l'accession des Juifs à la citoyenneté française et la fraternité entre les religions par deux discours, l'un en allemand, l'autre en français.

En 1851, il fonde une association pour l'étude du Talmud et annonce en 1853 qu'il va ouvrir une école talmudique.
De son temps, et sous son égide, sont fondées à Mulhouse plusieurs institutions qui perdureront pendant la période de l'occupation allemande, jusqu'à la seconde guerre mondiale et même parfois, par la suite :
La Société des Jeunes Gens Israélites, fondée en 1853 s'occupe, en même temps que de bienfaisance, d'activités intellectuelles et artistiques. Elle deviendra la Jeunesse Juive de Mulhouse en 1921.
En 1860, la Société des Enfants d'Israël commence aussi son travail de bienfaisance.
En 1861, une liste de souscription est mise en circulation pour fonder l'Hospice-Hôpital, dont le but serait d'offrir un asile aux vieillards infirmes et dont les salles du rez-de-chaussée seraient destinées aux malades. Le terrain est offert par un des souscripteurs. La construction est achevée au printemps de 1863 ; déplacé par la suite à Pfastatt, l'institution fonctionnera jusqu'en 2013.

Le rabbin Dreyfuss tente de répandre ses conceptions du culte et de son organisation à travers Le Lien d'Israël, périodique d'envergure nationale qu'il fonde en 1855 et dont il assure la rédaction. Il s'agit d'une "Publication mensuelle non politique" destinée à "favoriser les intérêts religieux et moraux des Israélites français" et à défendre "les principes de l'orthodoxie tout en réclamant des améliorations pratiques". Fin 1857, il partagera la rédaction avec un avocat de Strasbourg, Honel, pour ; en 1861, la maladie le force à céder le périodique au docteur Wormser.
De plus, il expose sa conception d'un judaïsme progressiste dans plusieurs contributions à un journal juif strasbourgeois, intitulé Régénération, ainsi dans Les Archives israélites. Il est également l'auteur d'un grand nombre d'articles historiques, exégétiques et rabbiniques dans ces différentes publications.
Son oeuvre consiste principalement dans ces articles, ainsi que dans certains de ses sermons et discours qui font l'objet de publication sous forme de plaquettes.

Esprit ouvert, il se préoccupe de la situation de ses coreligionnaires à travers le monde : aussi bien de l'exclusion civique des juifs de Suisse que de l'affaire Mortara, du sort des juifs pendant la guerre franco-autrichienne, de la condition des juifs en Autriche et à Rome, des troubles anti-juifs de Galatz en Roumanie (1859), des chrétiens de Damas. Il applaudit à la création de l'Alliance israélite universelle.

Le rabbin Dreyfuss est aussi associé à l'administration locale. Il devient par exemple en 1853 membre de la commission permanente de statistique cantonale. Il manifeste publiquement son engagement républicain en participant en 1848 à la plantation d'un arbre de la Liberté.

Marié quatre fois, il aura au moins cinq enfants ; une de ses filles (née de sa troisième femme, Ève Haas, décédée le 6 novembre 1858) épousera Benjamin Braunschwig, ancien élève de l'Ecole rabbinique de Metz.

Sources :


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