Lundi 2 mai à 11h., trois
Stolpersteine, "pavés de mémoire", ont été
installés 12, rue du Général Vandenberg à Barr,
en présence de Haïm Korsia, Grand Rabbin de France.
Ces pavé ont été posés à l'adresse où
vécut un temps la famille du rabbin de Barr Joseph
Bloch, dont l'un des trois enfants, Élie, a été assassiné
à Auschwitz en 1943 avec sa femme Georgette et leur fille Myriam, âgée
de cinq ans.
Elie Bloch, rabbin de
la jeunesse à Metz, est devenu pendant la seconde guerre mondiale l'aumônier
des évacués et des réfugiés, et l’organisateur
de réseaux de solidarité. Il a ainsi contribué à
sauver des centaines de vies. C'était un "rabbin combattant",
selon les termes du grand rabbin Korsia.
La cérémonie s'est déroulée sous l'égide de Madame Nathalie Ernst, maire de Barr, en présence de Christophe Woehrlé, historien et président de l'Association Stolpersteine en France, de représentants des communautés de Metz et de Strasbourg, ainsi que de nombreux descendants de la famille Bloch, venus de France et d'Israël, parmi lesquels Madame Lise Schwarzfuchs, nièce d'Elie Bloch.
Plus de 80 années se sont écoulées depuis que mon arrière-grand-père
s'est vu contraint de quitter la ville de Barr sous la pression des
événements de la seconde guerre mondiale.
Nous - sa famille, les fidèles à son souvenir, et les habitants
de la ville de Barr, nous nous sommes réunis devant la maison qu'ils
ont dû quitter, pour proclamer hautement que nous n'avons pas
oublié et que nous ferons en sorte qu'il ne soit point oublié.
Je m'appelle Elie (Eliezer en hébreu) en souvenir de l'oncle
de ma mère - le rabbin Elie Bloch. D'aussi loin que je me souvienne,
ce nom et tout ce qu'il signifie, font partie de moi. J'ai toujours
éprouvé un sentiment de fierté d'être appelé
en souvenir de Nonon Elie. C'est ainsi que nous l'appelions dans
la famille. Sa photo de jeunesse domine mon bureau depuis plusieurs dizaines
d'années avec la médaille de la Résistance que
la France lui décerna après sa mort.
Permettez-moi de vous en dire plus sur mon oncle au cours de cette cérémonie
si émouvante.
Elie a vu le jour non loin d'ici à Dambach-la-Ville
en 1909. Il avait neuf ans lorsque sa famille passa à Barr,
où son père venait d'accéder au rabbinat. C'est
là qu'il devait signer en 1924 son œuvre principale, son
livre de prières, et nombre d'autres publications. Il fut désormais
connu comme le rabbin de Barr. C'est dans cette patrie que grandirent
son fils et ses filles jumelles Andrée et Angèle. Leurs descendants
participent à la présente cérémonie. La ville
de Barr a conquis ainsi un rôle déterminant dans notre patrimoine
familial.
Elie était le descendant d'une ancienne famille alsacienne, plusieurs
fois centenaire.
Son père, le futur rabbin
Joseph Bloch, était originaire de Grussenheim
et sa mère de Westhoffen.
Il excella dans ses études scolaires et fut très tôt promis
à des études supérieures. Admis en 1896 au Séminaire
rabbinique de Berlin que dirigeait alors le rabbin Azriel Hildesheimer,
il en fut diplômé en 1902. L'année précédente
il avait soutenu sa thèse de doctorat.
Sa mère était une descendante d'une grande famille de
la bourgeoisie juive d'Alsace, la
famille Debré. Son cousin éloigné Michel Debré
devait d'ailleurs devenir le premier chef du gouvernement de la Cinquième
République.
C'est dans ce milieu que naquit Elie Bloch. A la fin de ses études
secondaires, il se tourna vers L'École de Tissage et Filature
de Mulhouse.
A cette époque il ne songeait pas à embrasser une carrière
rabbinique comme l'avait fait son père.
Au terme d'une première année d'études, il
changea de direction. Son père fut ravi de sa décision de suivre
ses pas et d'entrer dans un séminaire rabbinique, l'Ecole
rabbinique de Paris. Il y termina ses études en 1935, non sans avoir
passé quelques mois à la Yeschivah Ets ‘Hayyim de Montreux
en Suisse, celle dont je fus l'élève quarante années
plus tard ainsi que mon cousin Jean-Yves Sichel ici présent.
C'est au cours de ces études que ses préoccupations sociales
se firent jour et qu'il devint un membre actif des organismes juifs
qui se penchaient sur le sort des nécessiteux et s'intéressaient
aux problèmes généraux qui se posaient sur le plan national.
En juillet 1935 il est appelé à remplir son premier poste de
rabbin communautaire et nommé rabbin adjoint de la
communauté de Metz, chargé de la jeunesse.
Ce rabbin imberbe apporte un souffle nouveau à cette fonction et jouit
d'un contact immédiat avec ses élèves et gagne
leur estime.
Une année plus tard il épouse Georgette Samuel fille de maître
Samuel, président du Consistoire Israélite de la Moselle et,
adjoint au maire de la ville de Metz. Elle avait à peine dix-huit ans.
Neuf mois plus tard, au mois de septembre naît leur fille Myriam.
Avec le début des hostilités en septembre 1939 près de vingt mille Lorrains, dont environ trois mille six cent Juifs, sont transférés vers l'arrière. Le rabbin Elie Bloch est alors nommé aumônier des Juifs évacués de la Moselle. Il les rejoint rapidement avec sa petite famille et c'est ainsi qu'il s'installe à Poitiers. Les Juifs mosellans débarquent sur des terres vides de toute présence juive depuis des siècles. Dispersés dans des petits villages, les évacués souffrent beaucoup de leur isolement et peinent pour y établir un semblant de vie communautaire. Elie Bloch s'efforce de mettre sur pied les œuvres sociales indispensables. Il est inondé de demandes d'aide et s'efforce de les satisfaire toutes.
Le 22 juin 1940, les troupes allemandes font leur entrée à
Poitiers. La situation des Juifs ne pouvait plus qu'empirer.
Le rabbin Bloch est accablé de nombreuses charges supplémentaires
et c'est ainsi qu'il se verra contraint de joindre les rangs de l'UGIF (Union
générale des israélites de France) pour en recevoir un
soutien et surtout une aide budgétaire qui lui permettra de répondre
aux nombreuses demandes d'aide qui s'accumulent. Beaucoup de ces demandes
concernent la recherche des parents dispersés par l'exode.
Les lois raciales avaient déjà été mises en place
et la liberté d'établissement et de mouvement des Juifs en fut
affectée.
Le camp de Poitiers, qui avait été établi à l'origine
pour les étrangers bientôt suivis par les nomades, change alors
et il reçoit de plus en plus de Juifs internés par les autorités
françaises. On leur reprochait en général d'avoir changé
de domicile sans autorisation ou d'avoir tenté de franchir la ligne
de démarcation qui le séparait de la zone non occupée.
Certains, y étaient arrivés à la suite des rafles organisées
à Poitiers et dans les villages de la région.
Le rabbin Bloch devait désormais consacrer la plus grande partie de
son temps à ce camp : demandes diverses, démarches pour obtenir
la libération d'internés ou tout au moins quelque amélioration
des pénibles conditions de vie qui leur y étaient réservées.
Les internés pouvaient être déplacés d'un camp
dans un autre, ce qui provoquait la multiplication des requêtes adressées
au rabbin pour lui demander de découvrir où avaient passé
leurs proches.
Il fournissait argent, vêtements nourriture et médicaments et
entreprenait des démarches en leur nom. Il n'hésitait pas à
s'adresser directement aux autorités de la ville et du camp pour recevoir
une réponse.
Devenu entretemps le délégué principal de l'UGIF dans
les départements de la Vienne et de la Charente, il réussira
à en obtenir les budgets qui lui permettrons de porter secours aux
enfants qu'il avait réussi à faire libérer, et à
acheter les colis de nourriture qu'il faisait remettre aux captifs.
Son épouse et lui avaient d'ailleurs hébergé dans leur
domicile plusieurs enfants libérés par ses démarches.
C'est à cette époque qu'Elie Bloch rencontre le Père
Jean Fleury, qui est l'aumônier des nomades voisins des internés
juifs.
Ces deux hommes de religion, l'un rabbin, l'autre Jésuite, se lient
d'amitié. C'est là que le Père Fleury prend conscience
du sort promis aux détenus juifs. Plus tard, quand le rabbin sera arrêté,
le Père Fleury s'efforcera de remédier au vide laissé
par son départ.
Une partie de ces efforts fut couronnée de succès et un nombre
non négligeable de rescapés lui doivent la vie. Le Père
Fleury sera proclamé Juste des Nations par Yad
Vashem en reconnaissance de son œuvre au cours des années
de guerre.
A partir de l'été 1942 commencent à arriver des instructions
pour le transfert des occupants juifs des camps vers celui de Drancy, localité
proche de Paris, d'où ils repartiront vers une direction inconnue.
Les autorités d'occupation allemandes qui surveillaient l'activité
du rabbin Elie Bloch décidèrent en fin de compte d'y mettre
un terme. Son épouse avait déjà été arrêtée
le 22 janvier 43 alors même qu'il remplissait une mission à Paris
auprès de la direction de l'UGIF. Elle fut la victime d'une dénonciation
: elle se serait servie du téléphone à une des heures
où son utilisation était interdite aux Juifs. Elle lui envoya
une carte du camp : "J'espère que tu as écrit
à Paris et que je pourrai bientôt rentrer. J'ai le cafard, le
cafard ! Dis à Myriam d'être bien sage et de m'écrire
une belle lettre et de bien s'appliquer". Elie s'efforce de convaincre
les autorités de la libérer du camp. Il réussira à
la rencontrer à plusieurs reprises et à lui apporter des colis.
Le S.S. responsable du camp le surveillait de très près. Il
décidera bientôt d'arrêter Elie également.
Arrêté le 11 février 1943 il est immédiatement
envoyé dans le camp avec la petite Myriam qu'il a décidé
d'emmener avec lui pour qu'elle ne reste pas seule. Il transmet au Père
Fleury des documents importants concernant les Juifs qui se cachent dans la
région.
Il pensait alors qu'il ne resterait pas longtemps dans le camp. Il écrit
à son père que l'UGIF le sortira bientôt de là.
Deux semaines plus tard ils sont transférés à Drancy.
Les efforts déployés pour obtenir leur libération ou,
tout au moins, celle de Myriam, échouent. Le séjour de la famille
à Drancy se prolonge. Elie supporte très mal son manque d'activité
dans la vie organisée du camp. Des lettres et divers témoignages
rapportent comment lui et son épouse se sont dévoués
pour venir en aide aux malades et aux personnes affaiblies. Il réussit
à force de stratagèmes à rassembler tout le nécessaire
pour l'organisation d'un dernier Seder
[cérémonie pascale].
Des convois quittent le camp toutes les quelques semaines vers un but toujours
inconnu. Elie et Georgette redoutent de voir leur tour s'approcher. Le vendredi
17 décembre 1943 ils reçoivent l'ordre de se joindre au convoi
63. Nous savons que ce convoi arriva à Auschwitz et qu'ils n'en revinrent
pas.
La veille de leur départ Elie avait écrit à ses parents
:
Mes bien chers - cette lettre pour vous annoncer une nouvelle à laquelle
vous vous attendiez sans doute - nous quittons demain matin et nous partons
dans les meilleures conditions possibles : d'abord au point de vue équipement,
grâce à vos trois colis, pour le ravitaillement nous en avons
plus qu'il n'en faut. Mais ce qui est bien plus important, nous partons avec
un groupe qui comprend nos meilleurs amis, parmi lesquels tous les membres
du CA (comité d'administration) de l‘UGIF.
Encore une fois mes chers papa et maman ne vous rendez pas malades à
cause de nous. D. nous permettra très bientôt de nous retrouver.
Je vous embrasse tous de tout cœur et à bientôt,
Votre Elie
Les petites filles de Barr ont composé et chanté un poème en souvenir de Myriam Bloch, assassinée à l'âge de 5 ans |
De g. à d. : Mme Lise Schwarzfuchs, Mme Nathalie Ernst, maire de Barr, le grand rabbin de France Haïm Korsia ; au second plan : Christophe Woehrlé |