Introduction aux Scènes familiales juives, recueil de ses principales lithographies juives publié en 1903
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Frontispice.- MISRACH
On
appelle Misrach (1)
un tableau représentant généralement les colonnes
du temple de Jérusalem au milieu de ces colonnes, sur un cartouche,
est écrit en hébreu le mot Misrach. Dans les demeures
juives, ce tableau est suspendu au mur qui fait face directement au
point où le soleil se lève sur l'horizon c'est de côté
que les Israélites doivent se tourner pour faire leurs prières
; c'est le côté de l'Orient, de la Judée, de Jérusalem.
Entre toutes les invocations, il en est une de particulièrement
solennelle qui impose strictement cette
orientation, c'est le
Chemonah-Essrah, la prière des dix-huit bénédictions
; les Israélites disent cette prière debout, les pieds
joints, la tête couverte du thaleth (2)
, dans une attitude sévère de dignité et de respect.
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I.- LA LEÇON D'HÉBREU
Maigre,
souffreteux, édenté, laid, de cette laideur que donne
une existence de privations et d'obstiné labeur, le professeur
d'hébreu est un déclassé qui n'a pas eu assez de
science pour obtenir son diplôme de rabbin, ni assez de savoir
pour avoir le titre de professeur. Cependant, il est un peu l'un et
l'autre. Pour vivre sa misérable existence, le voilà contraint
de courir les maisons des riches, enseigner la science hébraïque
aux jeunes galopins en leur apprenant à lire dans le rituel ;
il les prépare aussi à la Bar-Mitzwah (3),
et c'est là que notre professeur peut développer, en même
temps que sa science hébraïque, ses aptitudes musicales. Il faut l'entendre, le pauvre homme, moduler à son jeune élève les différents airs consacrés, sur lesquels celui-ci devra réciter la Parascha (4) à la synagogue. Quelle ardeur inlassable il met à ce travail. Dix, vingt fois, il répète la même note de sa voix chevrotante ; il passe du soprano à l'alto, du piano au fortissimo, et il recommencera, pendant des semaines, tous les jours ce même travail d'hercule Oh! la dure, l'ingrate besogne! Et comme les bambins savent cruellement se venger du labeur que leur impose le pauvre talmudiste en lui jouant maints tours pendables! - Cet âge est sans pitié ! |
IV.- LA FEMME AUX CUIVRES
Brendel
est dans tous ses états ; ménagère réputée,
elle tient àne pas faire mentir sa réputation ;chez elle,
tout est sens dessus dessous c'est veille de fête. Avec quel zèle
elle met elle-même la main au tripoli ! En sa qualité d'objet
religieux, transmis par les aïeux, la lump (5)
a eu les honneurs de ses premiers coups de chiffon. Voici les chandeliers,
le moule au kouguelopf (6)
qui, lui aussi, en raison de son importance, a été nettoyé
à fond. Elle frotte ! elle frotte ! la bonne Brendel,
stimulée d'une sainte ardeur ; demain elle fera à ses
visiteurs les honneurs de son éblouissante cuisine, et, le regard
triomphant, leur dira : "Regardez-moi cela !"
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V.- LA COUR DE LA SYNAGOGUE PENDANT LE KIPPOUR
La
solennelle journée du Kippour nous offre, ici son côté
humoristique ; le profane ne se mêle-t-il pas toujours au sacré
? Nous sommes à une suspension d'office, un temps de repos dans
la célébration du culte. Fatigués par le jeûne
et par l'atmosphère surchauffée de la synagogue, les fidèles
vont respirer dans la cour. Hommes, femmes et enfants affluent vers
cette oasis. Là, des vieillards se traînent lourdement
dans leur blanc linceul ; ici, un loustic, le chasan (7)
du village, qui supporte vaillamment le jeûne, raconte un moschele
(8)
à deux bons vieux ; des femmes, assises non loin de là
sur un banc, reçoivent les encouragements et les paroles galantes
du vieux beau de la communauté; des vieillards, dans le fond,
causent et prisent ; des enfants jouent - âge irrespectueux !
Plus loin, un jeune homme montre sa langue à un groupe d'incrédules,
afin de bien leur faire voir que celle-ci est blanche et que, par conséquent,
il jeûne... Chacun a son amour-propre !
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VI.- LES BOULETTES DE PAQUE
Vous
prenez du pain azyme que vous pilez dans un mortier, vous ajoutez de
la graisse, de l'eau, dit sel, du poivre, et... vous pensez que c'est
tout ?... Ah ! que non pas. Il y faut la main experte de Malke la
ménagère : il faut savoir façonner cette pâte
en boules régulières, il faut tant de choses pour bien
réussir les matzeknepflisch (9)
! Il faut savoir les cuire avec art, ni trop molles, ni trop dures ;
c'est une grave affaire ! On se répète dans la communauté
le nom de la ménagère artiste, on l'envie, on la jalouse,
et pour un peu la calomnie se mettrait de la partie. Oh ! Matzeknepflisch,
que de vilenies on a commises en votre nom! Soyez persuadés que
la bonne Malke est passée maîtresse dans l'art de
les faire, et sa figure épanouie exprime la conscience de sa
force.
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VIII.- FERVEUR
Dans leur prière du matin, les Israélites, obéissant aux prescriptions mosaïques, doivent ceindre leur front et leur bras des saints phylactères. Les phylactères sont des lanières de cuir surmontées d'un étui, également en cuir, qui contient, écrits sur duparchemin, les dix commandements de Dieu : "Tu les porteras en fronteau entre tes deux yeux, tu les attacheras commune symbole sur ton bras", dit le texte sacré. Dans le dessin, un pauvre juif se livre avec toute sa ferveur à l'accomplissement de ce devoir religieux.
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IX.- KAPORA
Autrefois,
en Judée, la veille de Yom-Kippour, le grand-prêtre,
devant le peuple assemblé, après avoir immolé les
victimes ordinaires, se faisait amener deux boucs : l'un était
destiné à Jehovah ;l'autre était chargé
des péchés d'Israël et chassé dans le désert
: c'était le bouc émissaire. De nos jours, c'est plus
simple. Le bouc est remplacé par un coq ou une poule que le père
fait tournoyer au-dessus de la tête des membres de sa famille,
et, dans une prière, il charge la volaille des péchés
de ceux-ci. Après cette cérémonie, qui n'est pas
sans effrayer les enfants par sa bizarrerie, on fait tuer coqs et poules
par le sacrificateur et l'on distribue la chair aux pauvres de la communauté.
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X.- LA FEMME QUI KASCHER
Pendant
les huit jours de la fête de Pâque, il est défendu
aux Israélites d'avoir dans leur maison du pain levé ;
le matze, pain sans levain, est strictement de rigueur; le texte
mosaïque ordonne même, afin de détruire toute trace
de chometz (10),
de faire passer tous les ustensiles de cuisine et la vaisselle par l'eau
bouillante. C'est dans cet exercice que nous surprenons ici Beïla,
la bonne et pieuse ménagère. - Ce zèle lui
sera compté là-haut !
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XI.- LES OEUFS DE PAQUE
Cette
charmante coutume des oeufs de Pâque est en honneur chez les Israélites
aussi bien que chez les Chrétiens. Voici avril revenu : le printemps,
le soleil, la joie règnent dans l'air, c'est Halemnoed Pesach
(11)
la vieille Beïli reçoit la bruyante visite de ses
petits enfants qui viennent chercher les oeufs légendaires. Les voici, tendant leurs petites mains. La vieille bonne femme, sur le seuil de l'humble demeure, est comme assaillie par cette turbulence enfantine, et, les larmes aux yeux, larmes d'aïeule! elle remet à ses chers petits des oeufs peints en rouge, en jaune et en vert. Dans le fond du logis, le vieux harle (12), rendu indifférent par l'âge et les infirmités, à ces gaies effusions, reste absorbé dans la méditation de la Bible. |
XII.- LE BON KOUGUEL
Le
Kouguel est une
sorte de galette pétrie avec du pain et de la graisse et cuite
au four. Vrai brouet noir des Juifs, ce mets ancestral était
le grand régal des errants de jadis, colporteurs, porte-balles,
gagne-petit, tous ceux qui arpentaient monts et plaines durant toute
la semaine, ceux qui peinaient le ventre creux, courbés sous
le poids de la balle. Ceux-ci entrevoyaient avec délices, dans
leur lutte pour l'existence, le repos du samedi ;ils se voyaient ce
jour-là en famille, entourés de leur femme, de leurs enfants
;et le bon Kouguel serait là pour les restaurer d'une
semaine de privations.
Tout passe! le Kouguel n'est plus guère en honneur que chez les humbles Juifs de village. Dans le dessin, une brave ménagère amène son vieux mari devant le mets précieux ; elle découvre la marmite et, le regard tendre et interrogateur, demande : "Comment le trouves-tu ?" |
XIII.- LE JUIF AU CÉDRAT
Le
loulef et le esrick (13),
ces deux produits d'Orient, ces emblèmes des moissons, qui servent
à la célébration de la fête des Tabernacles,
sont, pour la plupart des Israélites des campagnes, l'objet d'une
sollicitude toute particulière. Le vrai croyant met souvent un
prix fort élevé pour avoir un beau loulef bien
vert, dont la cime frissonnante reste ferme dans la vibration ; il fait
des folies pour posséder un esrick de belle venue et bien
parfumé. Avec quel soin il nouera sa palme, comme il y fixera
amoureusement les plus belles branches de myrte et de saule ! Il entourera
de non moins de soins son cédrat, qu'il prétendra toujours
être le plus beau de la communauté. Il aura pour ce fruit
de véritables tendresses, et, tel un enfant dans son berceau,
on le voit, l'office terminé, le coucher sur un lit d'étoupe
dans une coupe d'or.
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XIV.- LE KIPPOUR A LA CAMPAGNE
Nous
voici au Yom-Kippour, jour terrible de jeûne et d'expiation;
c'est la fête juive la plus solennelle, si toutefois on peut appeler
fête un jour de contrition et de deuil. D'un coucher de soleil
à l'autre, Israël s'abstient de manger ; les pratiquants
ne sortent pas de la synagogue, il en est qui y passent la nuit, vêtus
de leur sargueness (14)
qui deviendra plus tard leur linceul ; ces hommes fantômes forment
un tableau saisissant. Dans les synagogues de campagne, les rites les plus stricts sont observés : debout, des vieillards prient avec ferveur ; l'atmosphère, surchauffée par les cierges, est brûlante ; le ventre vide, tremblants, contrits, ces fidèles resteront en prière jusqu'au soir où le son du schophar (15), après la cérémonie de Nehila (16), sera pour eux le signal de délivrance. A la première étoile apparue au firmament, ils auront le droit de rompre le jeûne. |
XV.- LES VERMICELLES
L'usage,
chez les Israélites, de la soupe aux vermicelles le vendredi
soir se perd dans la nuit des temps. Il n'est pas bien prouvé
que la manne du désert n'était pas déjà
du vermicelle donné par le bon Dieu ! Le vermicelle donc, dont,
entre parenthèses, on a fait frimsel
(qui n'est autre chose que le mot corrompu de vermicelle), est un mets
juif classique, étiqueté, catalogué, à l'égal
du kouguel, du
poisson et du
schalet, et il n'y a que les amharatzim (17)
qui n'aiment pas ce potage. - Sous l'oeil curieux de son énikle
(18),
une vieille grand'mère découpe en fines lanières
la pâte qu'elle vient de pétrir elle-même. Ce soir,
après l'office, la frimsel soup fera son entrée
dans le monde et apportera avec elle la joie et la bonne humeur.
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XVI.- LA BONNE PRISE
Horreur
et profanation ! Itzik, le gros boucher du village, n'a pas sitôt
déposé son thaleth après l'office de Rosch-Haschanah
(19),
que, sans respect pour le saint lieu, sans considération pour
les vêtements de deuil dont il est couvert, il va droit à
la rencontre de Yegolf, le courtier, et lui demande une prise
de son bon tabac de Paris. Yegolf, goguenard et bon enfant, ne
se fait pas prier; il ouvre largement sa tabatière où
ce gros lourdaud d'Itzik puise une formidable prise afin de satisfaire
son appétit nasal. - Horreur et profanation ! |
XVII.- LE JUIF AU BABA
Il
vient de faire sa prière du matin, et, attiré par un agréable
fumet, il se rend furtivement dans la salle à manger ou un plantureux
kouguelhopf
(6)
offre à sa gourmandise la rutilence de sa croûte dorée.
N'est-ce pas grand péché, monsieur le Rabbin, de donner
cours à des penchants si matériels, alors qu'on est revêtu
encore du saint thaleth ?
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XVIII.- LE PLAT DE PAQUE
La
Pâque juive est instituée en commémoration de la
sortie d'Égypte (20)
; pendant les deux premières soirées de la fête
(qui dure huit jours), on célèbre la cérémonie
appelée Séder. La bonne femme nous montre le plat
de Pâque ; sur ce plat en cuivre sont groupés les différents
mets et condiments destinés à symboliser les souffrances
endurées par les Israélites sous le joug des Pharaons.
Le raifort, l'oeuf, le vinaigre représentent l'amertume de la
servitude; une sorte de pâte faite avec des pommes et de la cannelle
figure l'argile et le mortier avec lequel les Israélites travaillaient
aux constructions égyptiennes ; un os, avec un peu de chair,
tient la place de l'agneau pascal. - Cette cérémonie du
Séder, une des plus belles du culte israélite,
revêt surtout toute sa poésie dans les familles des humbles
campagnards.
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Quand la mort est entrée dans une maison juive, les
membres de la famille déchirent leurs vêtements en signe
de deuil ; pendant sept jours, ils restent assis par terre, se nourrissant
à peine d'ufs et de pain. On prie, on fait l'aumône,
c'est le grand deuil. Nous voici dans une vaste chambre aux volets clos;
des femmes affalées sur le plancher s'abandonnent à la
douleur ; un rabbin psalmodie dans un coin les prières d'usage,
pendant qu'une visiteuse vient porter aux éplorées ses
muettes condoléances.
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XX.- LA RENCONTRE DU RABBIN
C'est
jour de Sabbat. Le vieux rabbin du village rencontre, accompagné
de sa mère, son élève favori qu'il prépare
à la Bar-Mitzwah
(3) ; il lui donne une petite tape amicale en disant : "Voilà
sur ma foi un bon petit garçon."
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XXI.- LE JUIF A LA PALME
Bien
cassé, bien vieux il lui est donné de pouvoir célébrer
encore une fois le Soukoth (21)
: armé de la palmeet du cédrat, il fait sa prière
du matin ; la bonne odeur d'un baba, que la sollicitude de Beïla,
sa ménagère, a préparé tout proche,
sur la table, à son intention, ne peut le distraire. Il croit,
il prie, et, de cet homme chétif, de cet ascète, s'élève
vers Dieu une invocation sincère et passionnée !
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