LE CIMETIERE ISRAELITE DE HEGENHEIM
ET L'HISTOIRE DES JUIFS D'ALSACE
Publication de la Société d'Histoire
et du Musée d'Huningue et du Canton d'Huningue
A la sortie du village de Hégenheim entre la route de Hagenthal et le ruisseau
du Lertzbach, dans un site charmant, est placé un cimetière ne l'absence
de croix fait reconnaître comme cimetière non-chrétien. La
présence dans notre canton d'un important champ de repos israélite
renfermant de 7.000 à 8.000 tombes alors que pour l'ensemble du canton
la population juive est actuellement très faible, éveille la curiosité
de l'historien. Et il est évident qu'on ne peut écrire l'histoire
de ce cimetière - qui dès sa création eut un caractère
régional et non seulement local - sans rappeler, au moins dans ses grandes
lignes, celle des communautés juives de notre région dont de nombreuses
familles ont enterré leurs morts à Hégenheim.
Mais il est évident aussi que cette esquisse ne saurait être qu'une
introduction à l'étude plus détaillée de certaines
questions touchant la population juive de notre canton.
Pourquoi un cimetière juif a-t-il été établi dans
ce village sundgovien à proximité de frontière suisse ?
C'est qu'au moment de sa création, dans la deuxième moitié
du 17ème siècle, les familles juives étaient particulièrement
nombreuses à Hégenheim et que dans un certain nombre de villages voisins,
sans être nombreuses, elles étaient présentes également.
On comptait en 1689 à Hégenheim 14 familles
; à Blotzheim 4
; à Hagenthal-le-Haut 3
; à Buschwiller
2 ; à Durmenach
: 1 famille.
Comme le règne de Louis XIV avait été pour les Juifs d'Alsace
une période de sécurité, en 1716 un recensement donna les
chiffres suivants : Hégenheim 29 familles ; Blotzheim 21, Hagenthal
12, Buschwiller 16, Durmenach 9 familles.
C'est qu'entre temps, les Juifs qui, ayant été chassés
en 1573 de la Régence autrichienne d'Ensisheim, avaient trouvé
alors un refuge sur les terres du Prince-Evêque de Bâle, avaient
par contre, en 1694, été expulsés de l'évêché
et étaient rentrés en Alsace devenue française entre temps.
Les Juifs sont nombreux dans cette région frontalière parce
que Bâle, ville commerçante se trouve à proximité.
Ils sont établis à proximité de la ville et non dans ses
murs parce que, depuis le moyen âge, la plupart des villes n'admettent
plus de Juifs parmi leurs habitants. Nous les trouvons ainsi établis
à Rixheim près
de Mulhouse,
à Wintzenheim près de Colmar
et à Bischheim aux portes
de Strasbourg.
Comment expliquer cette attirance des villes commerçantes sur les Juifs
?
C'est que certaines formes de commerce sont les seules activités qui
leur soient permises. N'étant pas considérés comme Français,
mais comme étrangers tolérés dans certaines provinces (pour
la majeure partie du royaume le bannissement définitif décrété
par Charles VI en 1394 restait en vigueur) ils ne peuvent exercer de fonction
publique ni être militaires. N'ayant pas le droit d'acquérir des
biens immobiliers - sauf, en certains lieux, leur maison d'habitation - ne pouvant
d'autre part avoir des domestiques chrétiens, ils sont exclus de l'agriculture.
L'artisanat leur est fermé du fait que les corporations sont des associations
à caractère religieux ayant un saint comme patron. Ne leur reste
permis que le prêt d'argent, le commerce de vieux objets et celui du bétail.
La protection du roi assurait aux Juifs une sécurité relative
mais non pas l'autorisation de s'établir dans un endroit déterminé.
Cette autorisation ne pouvait être donnée que par le seigneur du
lieu. Si elle est accordée assez fréquemment malgré l'antipathie
que leur manifeste partout la population chrétienne, c'est que pour le
seigneur les Israélites étaient des contribuables de choix. Ainsi
au 18e siècle, pour avoir le droit d'habiter Village-Neuf ou Saint-Louis,
un Juif payait livres, 13 sols 4 deniers par an au Marquis de Gouvernet. Quelles
taxes, quelles redevances ne leur extorquait-on pas ! Et eux consentaient à
payer, heureux de n'être pas insultés, maltraités, ou tués.
Car ils ont dans le sang l'affreux souvenir des horribles persécutions
Point n'est besoin d'aller loin pour trouver des exemples, notre voisine Bâle
nous les fournira.
De l'époque romaine à la fin du 14ème siècle
Avant d'esquisser l'histoire des communautés israélites de Bâle,
un rapide coup d'oeil sur l'histoire des Juifs depuis 1'époque romaine
jusqu'à la fin du 14ème siècle ne sera pas inutile. Sans doute les
premiers Israélites sont venus en Gaule avec les Romains, Mais, jouissant
des mêmes droits que tous les autres citoyens romains, ils ne forment
pas un élément particulier et par suite, ne sont pas mentionnés
spécialement. On ne commence à parler d'eux dans nos pays qu'avec
le triomphe du christianisme. L'attitude chrétienne à leur égard
a été fixée au Concile de Nicée en 325. Elle peut
se définir ainsi : Le judaïsme ne doit pas disparaître, il
doit vivre, mais dans un état d'avilissement et de misère tel
qu'il fasse nettement apparaître aux yeux des croyants comme des incroyants
le châtiment infligé par Dieu à ceux qui n'ont pas voulu
reconnaître la divinité de Jésus.
Les mesures prises contre eux sont surtout dictées, dans les premiers siècles
chrétiens, par le souci d'empêcher le prosélytisme juif. Il
faut écarter les Israélites peu à peu de la vie sociale,
leur interdire l'exercice des fonctions publiques, les empêcher de commander
à des chrétiens. L'interdiction de manger avec des Juifs à
une même table qui concerne d'abord les seuls clercs, on craint de voir
le clergé succomber dans les controverses avec les rabbins généralement
beaucoup plus instruits, est étendue plus tard aux laïcs. L'habitude
s'établit également de défendre aux Israélites de
se montrer en public pendant la semaine sainte.
Les Carolingiens, aussi bien Pépin que son fils Charlemagne, apparaissent
comme des protecteurs des Juifs. Le commerce européen étant menacé
par la suprématie arabe en Méditerranée, Charlemagne avait
reconnu le grand secours dont pouvaient lui être les marchands israélites.
Les Croisades
Malgré toutes les brimades et humiliations qu'ils eurent à subir,
le sort des Juifs reste supportable jusqu'au moment des Croisades. C'est alors
qu'eurent lieu les premiers grands massacres : "Pourquoi s'en aller au
bout du monde à grandes pertes d'hommes et d'argent, combattre les Sarrazins,
quand nous laissons parmi nous, en paix, d'autres infidèles, qui sont
mille fois plus coupables envers le Christ que les Mahométans ?"
écrivit alors l'abbé Pierre de Cluny. En Alsace ce fut un moine
nommé Rodolphe qui, renchérissant sur Pierre de Cluny, prêcha
à Strasbourg que les Croisades ne pourraient avoir de succès que
si l'on massacrait tous les Juifs ennemis de Jésus-Christ. Cette doctrine
fut suivie et donna lieu aux premières tueries en masse.
L'exemple une fois donné, les persécutions vont se répéter.
Un des épisodes les plus ahurissants est celui de l'aubergiste colmarien
Jean Zimberlin qui, parce que lui-même et ses lieutenants portaient des
bracelets de cuir comme signe de ralliement, se fit appeler "Roi Armleder"
Excité par l'exemple d'un seigneur de Franconie il prêchait vers
1336 un massacre général des Juifs. Il réussit à
grouper autour de lui une foule de paysans avides de meurtres et de pillage
et, pendant une dizaines d'années, ses bandes ravagèrent les communautés
israélites d'Alsace. Les Juifs s'étant réfugiés
dans Colmar, Armleder assiégea la ville. Alarmés enfin par l'audace
de Zimberlin, les seigneurs et les villes se liguèrent contre lui et
l'obligèrent à dissoudre ses groupes armés. Enhardis par
l'exemple d' Armleder, les Mulhousiens persécutèrent également
les Juifs établis dans leur ville. Craignant ensuite le courroux de l'empereur,
ils lui demandèrent pardon. Celui leur fut accordé contre la somme
de 1.000 louis.
A partir de Philippe-Auguste
A partir de Philippe-Auguste, les Rois de France commencent à pratiquer
vis-à-vis des Juifs ce qu'on a appelé la politique de l'éponge,
et qui consistait à les laisser s'enrichir pendant un certain temps pour
les chasser ensuite en confisquant tous leurs biens. Les chasser non pas pour
toujours, mais pour les rappeler peu de temps après en leur faisant payer
un important droit de rentrée. Les Juifs ne sont plus considérés
que comme des machines à fournir de l'argent au trésor royal.
Pour les humilier encore davantage on leur imposa le port du signe distinctif
de la rouelle pour les hommes, d'une sorte de voile pour les femmes.
Philippe le Bel, à l'imitation de ce qui se faisait dans l'Empire allemand,
décida que les Juifs du royaume ne seraient plus serfs des seigneurs
mais étrangers sous la protection du Roi. Des expulsions et des rappels
alternèrent jusqu'en 1394, date à laquelle le Roi Charles V, dont
déjà la raison commençait de vaciller, publia l'édit
de bannissement perpétuel.
Condition
des Juifs dans l'empire germanique
L'Alsace ayant fait partie, depuis les partages du 9e siècle, de l'Empire
germanique, il convient de dire quelques mots aussi de la condition des Juifs
dans cet empire. Pratiquement elle ne diffère pas de celle de leurs coreligionnaires
en France. Pour les garantir des mauvais traitements que leur faisaient subir
les villes, un empereur les nomma serfs de la chambre impériale en 1230.
Cette protection qui coûta cher aux Israélites, restait toujours
plutôt théorique. L'autorité de l'empereur ayant été
généralement très faible, les villes continuèrent
à agir à leur guise, et le souverain, à condition que cela
lui rapportât, se faisait souvent leur complice. Nous voyons donc en Alsace
les villes tour à tour admettre, persécuter, chasser, rappeler
les Israélites de la façon la plus arbitraire. La seule différence
d'avec la France, c'est que le bannissement définitif ne paraît
jamais avoir été décrété.
Première communauté juive à Bâle
A Bâle l'année de fondation de la première communauté
juive paraît avoir été 1290. La ville fait alors partie de
l'empire germanique, et ses Juifs sont "
servi cameralis", soumis
directement à l'empereur, à qui ils doivent les impôts. Contrairement
à ce qui se passait dans d'autres villes, ces premiers Juifs bâlois
ne paraissent pas avoir vécu dans un quartier à part, dans un ghetto.
La communauté qui avait une synagogue et un petit cimetière a duré
à peine 60 ans. L'année 1349 fut en effet une année terrible
pour les Juifs. Une épidémie de peste s'étant abattue sur
l'Europe, on les accusa de l'avoir provoquée par l'empoisonnement des puits.
On assista alors à une explosion de haine collective, à un délire
sanguinaire des populations terrifiées par la peste et excitées
par des meneurs qui espéraient s'enrichir des biens des victimes. A Bâle,
le 16 janvier 1349, les corporations s'assemblent bannières déployées
place du Marché et demandent l'arrestation des Juifs. L'autorité
cède aux manifestants et fait enfermer les prisonniers dans une maison
de bois au bord du Rhin, près de l'embouchure du Birsig. Le feu ayant été
mis à cette maison, les malheureux périssent dans les flammes.
A Strasbourg
le 13 février 1349 toute la communauté israélite est
rassemblée de force dans son cimetière à l'emplacement
actuel de la préfecture. Tous ceux qui refusent le baptême sont
brûlés le lendemain sur un immense bûcher. On prétend
que le nombre des victimes fut de 2.000. Le nom de la rue Brûlée
rappelle encore ce sinistre évènement. L'exemple de Bâle
et de Strasbourg est suivi par d'autres villes alsaciennes. A Benfeld
et à Sélestat,
les Juifs sont soit brûlés soit noyés dans les marais; à
Colmar,
le nom de "Judenloch" désigne l'endroit du bûcher
où ils périrent; à Obernai,
par la torture, on arracha à quelques-uns l'aveu d'avoir empoisonné
sept puits.
Le mobile essentiel de ces massacres avait été pour les meneurs
la cupidité. Dans toutes les villes, la synagogue devint propriété
communale, les autres biens furent partagés entre les autorités,
les maisons pillées par le peuple, les dettes annulées. Si l'empereur
Charles IV intervint, ce n'est pas par un sentiment d'humanité mais parce
que cette extermination le privait de ses meilleurs contribuables. Il se déclara
prêt à pardonner aux villes, à condition qu'elles prennent
à leur charge les obligations des victimes.
A Bâle, lors du massacre des Juifs la bourgeoisie avait juré
que pendant deux cents ans la ville leur resterait interdite. Mais après
les destructions par le terrible tremblement de terre de 1356, il fallait de
l'argent pour la reconstruction. Cet argent, les Juifs étaient seuls
capables de le procurer. Des pourparlers eurent lieu avec des Israélites
du Sundgau, et en 1362 une deuxième communauté se constitue à
Bâle. On connaît les noms de quelques uns de ses membres : Eberlin
de Colmar, Nansier et Loewele d'Altkirch,
Mathis de Sennheim et Isaac de Soultz.
La peste ayant fait sa réapparition, vers la fin du siècle, les
mêmes accusations qu'en 1349 sont portées contre les Juifs. Par
la torture on leur arrache l'aveu d'avoir empoisonné des puits. Les malheureux
demandent secours au duc Léopold d'Autriche qui obtient que Bâle
leur permette de quitter librement la ville en 1397. Etablis alors dans les
communes du proche Sundgau, ils s'adonnent au commerce des chevaux et du bétail.
Contre paiement d'un droit d'entrée de 5 Batzen ils sont autorisés
à séjourner en ville pendant la journée. Cependant Bâle
n'aimait pas les voir trop près de ses murs. Ainsi en 1543 la ville adresse
des protestations au prince-abbé de Murbach, propriétaire du village
de Hesingue, qui y tolère des Israélites.
L'Alsace passe sous la souveraineté du Roi de France
L'Alsace ayant passé sous la souveraineté du Roi de France en
1413, la condition des Israélites ne subit pas de modifications fondamentales.
Dans 1'Empire germanique ils avaient joui de la protection (payée cher
et souvent défaillante) de l'empereur ; en France ils étaient
depuis Philippe le Bel protégés par le Roi. En réalité
depuis que Charles VI les avait bannis du royaume, ils y étaient très
peu nombreux. Pratiquement ils se trouvaient dans les provinces rattachées
au royaume après l'édit de bannissement. C'est en Alsace, région
d'échange entre le nord et le sud, l'est et l'ouest qu'ils étaient
le plus nombreux. Si au point de vue juridique le rattachement de l'Alsace à
la France ne changea guère leur situation, en fait le règne de
Louis XIV est pour eux une période de détente. Nous avons vu plus
haut la multiplication des familles juives dans notre région à
cette époque-là.
Alors que des seigneurs ruraux, soucieux d'augmenter leur revenu, admettaient
volontiers des Juifs sur leurs terres, les villes se défendirent à
corps et à cris contre leur admission. La plus obstinée fut Strasbourg,
et c'est un spectacle passionnant de voir Cerf
Berr, un Israélite riche et influent, réussir à se
fixer dans la ville intransigeante grâce à ses relations à
la cour, à sa ténacité et à sa ruse.
Cela se passait sous le règne de Louis XVI, monarque disposé à
améliorer la situation des Juifs de son royaume. En Alsace l'animosité
contre eux persistait et risquait à tout moment de se traduire en actes
de violence. La paysannerie sundgovienne surtout, criblée de dettes,
criait contre l'usure des prêteurs juifs. Aucun doute que ces plaintes
n'aient été en partie justifiées. Il fallait bien que les
Juifs se procurent l'argent qu'on leur réclamait à eux sous forme
de taxes et de redevances. Et puis, n'était-ce pas là une occasion
de se dédommager de toutes les vexations subies ?
Le scandale des fausses quittances
Cette situation donna naissance une dizaine d'années avant la grande
Révolution au scandale des fausses quittances. En 1777 quand des prêteurs
juifs se présentèrent chez leurs débiteurs pour exiger
le paiement de leur dû, les paysans triomphants leur exhibèrent
des quittances qui avaient tout l'air d'être authentiques. Les créanciers
indignés crièrent au faux. Mais ces fausses quittances se multiplièrent
d'une façon alarmante. Une enquête permit de découvrir qu'on
se trouvait en présence d'une vaste organisation antisémite dont
l'âme était Hell, bailli de Landser. On ne pouvait, étant
donné leur grand nombre, poursuivre tous les détenteurs de fausses
quittances. Hell emprisonné d'abord à Strasbourg, exilé
ensuite à Valence, fut gracié plus tard, devint député
à la Révolution et mourut sur l'échafaud. Deux de ses complices
furent condamnés à mort, cinq aux galères à vie,
deux aux galères à temps et quelques autres à des peines
plus légères.
L'affaire des fausses quittances avait surexcité les esprits dans le
sud de l'Alsace. A Thann,
Durmenach et Hagenthal
des désordres se produisirent prouvant aux autorités que la question
juive demandait à être réglée. Par un édit
de janvier 1784, sur l'insistance de Cerf Berr, Louis XVI supprima le péage
corporel qui avait assimilé les Juifs aux animaux. Cet édit ne
fut que le prélude d'un ensemble de mesures plus générales
prises par le Roi en juillet 1784 pour essayer de donner une solution au problème
juif. Pour enrayer l'augmentation des Israélites d'Alsace dont le nombre
ne devait pas dépasser les 10% de la population, leurs mariages furent
soumis à la formalité de l'autorisation royale. Pour les détourner
du commerce d'argent, ils furent autorisés à prendre des fermes
à bail à condition de les cultiver eux-mêmes sans employer
de serviteurs chrétiens; à exercer tout commerce de gros et de
détail; le commerce d'argent fut entouré de nombreuses restrictions.
Ces mesures ne contentèrent ni les Juifs ni leurs adversaires.
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L'émancipation
C'est la Révolution de 1789 qui amena le changement définitif
dans la situation des Juifs français en faisant d'eux des citoyens égaux
en droits aux autres Français. Combattue avec obstination par le
Colmarien Reubell, cette émancipation ne fut adoptée qu'en septembre
1791 : toutes les lois d'exception concernant les Juifs furent supprimées
sur proposition de l'avocat Duport, député de la noblesse. Voici
le texte de la proposition adoptée à la presqu'unanimité
:
"l'Assemblée Nationale considérant que les conditions
nécessaires pour être citoyen français et pour devenir citoyen
actif sont fixées par la Constitution, et que tout homme qui, réunissant
les dites conditions, prête le serment civique et s'engage à remplir
les devoirs que la Constitution impose, a droit à tous les avantages
qu'elle assure, révoque tous ajournements, réserves et exceptions
insérées dans les précédents décrets relatifs
aux individus juifs qui prêteront le serment civique, qui sera regardé
comme une renonciation à tous privilèges et exceptions introduits
précédemment en leur faveur."
Mais peu avant que leur situation de sujets tolérés fût
changée en celle de citoyens libres et égaux en droits, les Juifs
du Sundgau avaient vécu quelques jours d'alarme. Quand fut connue en juillet
1789 la nouvelle de la prise de la Bastille, des têtes chaudes parmi les
paysans du Sundgau voulurent eux aussi faire la Révolution à leur
façon. Ils n'attaquèrent pas seulement les châteaux des seigneurs,
mais saccagèrent et pillèrent aussi des maisons juives. A
Hagenthal
surtout des scènes de violence paraissent s'être produites. Des centaines
de Juifs allèrent se mettre en sûreté dans les villes de
Mulhouse
et de
Bâle ; dans cette dernière ville les réfugiés
furent au nombre de 700.
Les choses se passèrent de façon semblable au début de
la Révolution de 1848. A propos de ces évènements, un journal
bâlois écrit en date du 3 mars 1848 :
"Les persécutions
de Juifs dans le voisinage alsacien ont encore gagné en ampleur. Une
bande de quelques centaines d'hommes, venus de la région de Ferrette,
s'est formée. Les petits paysans furent de la partie tant qu'il y avait
quelque chose à prendre aux Juifs. Mais quand la bande, qui avait
atteint le nombre de 600 hommes armés de fusils, de fourches et de fléaux
chercha d'autre butin, ils appelèrent au secours. Dans la nuit de mercredi
à jeudi (1 au 2 mars) la bande se trouvait à Hagenthal et y avait
exercé d'horribles ravages. On craignait une attaque de Hégenheim, voire
même de Bourgfelden et de Saint-Louis. Dans cette dernière
commune, l'alerte fut donnée à deux heures du matin. Hier, un
détachement de chasseurs en garnison à Huningue se dirigeait
vers Hagenthal. Il rencontra la bande dans la forêt, entre ce village
et Huningue; mais trop faible pour passer à l'attaque, il dut attendre
l'arrivée de la garde nationale et du corps des pompiers de Saint-Louis
et de quelques autres communes. Une grande battue fait alors organisée
et plus de cent d'entre les brigands furent capturés et mis en prison
à Huningue."
Mouvements démographiques à partir de 1784
Au moment de ces persécutions, les communautés juives du Sundgau
avaient atteint leur plus grande importance. Les recensements ultérieurs
révèlent une diminution constante du nombre de leurs membres à
partir de 1850 environ. Dans certains villages, cette diminution va jusqu'à
la disparition. Les synagogues sont vendues et démolies. Dans les deux
petites villes d'
Huningue et de
Saint-Louis
par contre, des communautés nouvelles naissent et s'accroissent, surtout
dans la dernière. En 1862 une synagogue est inaugurée à Huningue,
en 1906 à Saint-Louis où fut transféré le rabbinat
de Hégenheim.
Quelques chiffres pour illustrer ces mouvements démographiques :
Le dernier recensement avant la 2ème guerre mondiale a donné en
1936 les résultats suivants
Saint-Louis 275,
Huningue
54,
Hégenheim 36,
Bourgfelden 7,
Blotzheim
3 Israélites, soit un total de 375 pour tout le canton.
Cette diminution de la population juive dans les communes rurales s'explique
par l'attraction grandissante des villes. Ceux qui fuient ainsi la campagne
vont s'établir soit à Paris, soit à Bâle, à
La Chaux-de-Fonds ou dans d'autres villes suisses. (La communauté de
La Chaux-de-Fonds est restée rattachée au rabbinat de Hégenheim
jusqu'en 1867).