Joseph STEINHARDT
Premier rabbin de l’évêché de Strasbourg
1700 - 1776
Transcrit en français par le rabbin Michel KOTTEK
afin de perpétuer l’œuvre et la vie de cette personnalité, aux personnes qui ne maÏtrisent pas l’Hébreu (2023)


Lettre manuscrite de contrat de Rav Yosseph Steinhardt
Yosseph Steinhardt est sans doute né vers 1700 en Bavière dans le village de Steinhardt d’où son nom de famille. Son père se prénomme Mena’hem Mendel et son grand-oncle le Rav Issakhar Bermann-Fraenkel de Baiersdorf (qui fut Rosh Yeshiva de Fürth dans les années 1671-1709) est connu comme une personnalité rabbinique de premier plan.

Yosseph Steinhardt étudie à Francfort sur le Main chez Rav Ya’akov Popers (déc. en 1740) auteur du livre Chev Ya’akov. Selon Rav H.Y.D. Azoulay dit le ‘Hida, le jeune Yosseph se distingue très tôt parmi les 400 élèves de la grande Yeshiva de Francfort sur le Main. C’est là qu’il se lie d’amitié avec le Rav Ya’akov Berlin auteur du livre Beèr Ya'akov et aussi avec Rav David Dispeck auteur du non moins célèbre Pardèss David.

Rav Yosseph Steinhardt s’installe ensuite dans la ville de Schwabach avant d’occuper en 1749, son premier poste de Rabbin à Rixheim en Haute Alsace.
En 1753, il est nommé juge et rabbin de la Noblesse Immédiate de Basse Alsace, et habite Niedernai en Basse Alsace, aux côef tés du rabbin Moyse Weyl. Par la suite, il devient le premier rabbin de l’évêché de Strasbourg dont le siège est à Mutzig.

Après avoir passé quinze ans en Alsace, Rav Steinhardt est nommé en 1764, rabbin et Roch Yeshiva de la ville de Fürth en Allemagne (près de Nuremberg) jusqu’à son décès le 22 Av 5536 – 1776. Il sera remplacé à Niedernai par le Rabbin Isaac Sintzheim (le père du grand rabbin de France Yosseph David Sintzheim).

Rav Yosseph Steinhardt est inhumé aux côtés de sa deuxième femme à Fürth, mais durant la guerre, les Nazis saccagent une bonne partie de ce cimetière ne laissant qu’un emplacement vide. Nous connaissons aujourd’hui le lieu précis de ces tombes grâce aux photos prises avant les hostilités (on espère pouvoir reconstruire les tombes bientôt).

Ses écrits :

Rav Steinhardt publie en 1764 ses Sheéloth OuTeshouvoth ou Responsae nommées Zikhrone Yosseph - le "Souvenir de Joseph" -, recueil qu’il rédige en Alsace et en Allemagne. Ce livre très prisé est cité par les plus grands décisionnaires comme par exemple, le Rav Ye’hésquèl Landau appelé le Noda Biyehouda (dec. en 1793), Rabbi Akiva Eigèr (dec. en 1837) et Rav Moché Sophèr (dec. en 1839) connu sous le nom de ‘Hatam Sofèr.

De nombreuses années plus tard, en 1828, son petit-fils, Rabbi Akiva Steinhardt édite les commentaires de son grand-père sur le traité Baba Batra du Talmud et le nomme Koa’h Shor - "la Force du Taureau" - ainsi qu’un livre de sermons et de cours sur les sections – Parashioth - de la Torah qu’il nomme Machbir Bar" - "Vendeur de récolte" - (ceci en souvenir de Joseph, qui distribue les denrées alimentaires sous l’autorité de Pharaon durant les sept années de famine - Genèse 42: 6 - ; Joseph est par ailleurs aussi comparé à un taureau dans la Torah - Deutéronome 33:17).

Rav Steinhardt laisse entendre qu’il a composé d’autres commentaires sur le Talmud, mais nous n’avons pas connaissance de ces travaux.

Son séjour en Alsace :

Dans son introduction à son livre Zikhrone Yosseph, Rav Steinhardt donne quelques informations sur ses années alsaciennes : J’y suis resté environ quinze ans [de 1749 à 1764], il y avait des sages, des gens riches et des personnes craignant D. qui consacraient leurs fortunes à leurs frères, ils s’efforçaient de maintenir la Torah et d’aider ceux qui l’étudient. La majorité des juifs écoutaient les rabbins et se conformaient à leurs décisions, qu’ils soient bénis par D. et qu’ils vivent en paix dans leurs contrées, pour toujours.

Le rabbin, sous l’ancien régime, faisait aussi fonction de juge et d’arbitre et c’est donc aussi à ce titre que Rav Steinhardt garantit la juste répartition des impôts versés par les contribuables au nom de la Nation Juive en contresignant les documents relatifs à ces contributions devant être réglées au Directoire de la Noblesse d’Alsace (voir l’article de Mme Eliane Roos-Schuhl dans la revue du Cercle de Généalogie Juive n° 52).

Dans un autre contexte, il s’élève violemment (Zikhrone Yosseph, Ora’h ‘Hayim 17), contre les danses mixtes qui se sont déroulées dans un village alsacien lors d’un mariage et soutient le rabbin du lieu qui s’y est opposé fermement. Il raconte qu’à Niedernai, ayant entendu que garçons et filles projetaient de telles réjouissances à l’occasion d’une fête juive, il s’y opposa et menaça d’amende tout contrevenant. Sommé de s’expliquer devant les autorités, il fut convoqué chez le Seigneur (peut-être en réalité s’agissait-il du bailli ou du prévôt) pour expliquer sa décision. Il fut bien reçu et se trouva face à une personne cultivée qui connaissait bien la Bible. Le Rav Steinhardt prouva à cet homme, en citant des versets de la Bible (Les Juges, Jérémie et Zacharie) et des passages du Talmud, que la loi juive interdit ce type de divertissements. Il lui précisa par ailleurs qu’à Metz et à Fürth, des mesures similaires avaient été adoptées contre ceux qui passaient outre la décision rabbinique. Le bailli lui répondit qu’il trouvait son argumentation cohérente, mais qu’il voulait se renseigner auprès des autorités de la ville de Metz. Après consultation, le notable se rendit à l’avis de Rav Steinhardt et fit l’éloge de la retenue prônée par la Nation Juive. (Cette question est rapportée aussi par le Rav Israël Meir Hacohen dans son livre Michna Beroura ch. 339, voir Biour Halakha).

Parmi les grands Sages de son époque :

Vu sa renommée, Rav Steinhardt prend part aux grands débats hilkhatiques [de jurisprudence religieuse] de son temps. Au sujet du divorce forcé de la nièce de Rav Ye’hézquèl Landau appelé aussi Noda Biyehouda (en 1765), il se range à l’avis de ce dernier contre les rabbins qui ont validé cette procédure, mais arrive néanmoins à rapprocher les points de vue des uns et des autres (Zikhrone Yosseph, Even Haézèr ch.15).

Il est aussi mêlé à l’un des plus grands conflits de l’époque connu sous le nom du "Guèth mi Clivé" - "le divorce de Clèves" (Zikhrone Yosseph, ‘Hélèk 6, ch. 11-17). En 1766, un jeune marié de la ville de Mannheim décide après seulement trois semaines de mariage, de divorcer. Pour cela, il s’enfuit avec sa jeune femme jusqu’à la ville de Clèves où le Rabbin Lifshitz procède au Guèth (l’acte de divorce). Or, comme le jeune homme a des attitudes curieuses et inhabituelles, certains rabbins en viennent à le considérer comme un déséquilibré et le Beth Dîn [tribunal rabbinique] de Francfort-sur-l- Main décide alors d’annuler le divorce en s’opposant au rabbin de Clèves, lui-même soutenu par d’autres collègues comme Rav Steinhardt, Rav Ginsburg de Metz (Cha’agat Arié) et le Noda Biyehouda de Prague. Cette histoire finit de façon heureuse et les deux jeunes se remarieront.

En 1764, éclate un autre grand différend entre les imprimeurs de Sulzbach et ceux d’Amsterdam au sujet d’une nouvelle édition du Talmud (voir Zikhrone Yosseph, ‘Hoshèn Michpath ch.2). Les imprimeurs d’Amsterdam refusent de se présenter au Beth Dîn de Fürth pour trouver un accord avec leurs collègues de Sulzbach. Les premiers tomes sont imprimés et chacune des parties cherche à obtenir le soutien de diverses autorités rabbiniques. Cette fois, Rav Steinhardt s’oppose au Noda Biyehouda, et obtient pour lui-même le soutien de nombreuses personnalités dont le Rav Nethanèl Weil de Karlsruhe (auteur du Korbane Nethanèl). L’année suivante, Rav Steinhardt propose un compromis qui est accepté par les deux parties et l’imprimeur d’Amsterdam est généreusement indemnisé.
Par ailleurs, Rav Ye’héskèl Landau de Prague (Noda Biyehouda) porte Rav Steinhardt en grande estime tout en précisant dans une réponse de Halakha (‘Hoshen Michpath ch. 30) : "presque tout ce qu’il (Rav Steinhardt) dit est juste, mais néanmoins je pense qu’il faut trancher ici d’une autre manière" !

Au niveau de l’enseignement proprement dit, on constate que dès la nomination de Rav Steinhardt en 1764 à la tête de la Yechiva de Fürth l’institution prend un bel essor. 600 élèves fréquenteront alors l’établissement.
Parmi ses disciples on trouve plusieurs personnalités connues. Le plus éminent est certainement le Rav Mordekhai Bannèt de Nickolsburg (déc. en 1829) considéré comme l’un des "grands" de sa génération. Rav Steinhardt exerce aussi une grande influence sur les jeunes en Alsace, notamment ceux qui étudient à Mutzig, comme le Rabbin Ya’akov Yékel Meyer, plus tard premier rabbin officiel de la ville de Strasbourg (auteur du Emèth LeYa‘akov). Il est aussi très lié avec Rav Yedidya Théo Weil (déc. en 1806) qui dirige la Yechiva de Karlsruhe et avec Rav Issakhar Behr de Soultz en Haute Alsace (auteur du Yam Issaskhar sur la Tossephta Beitsa).

Rav Yosseph Steinhardt et les bouleversements de son époque

C’est à cette période que débute l’émancipation des juifs et les changements prônés par la Haskala, à la suite du mouvement européen des Lumières, mutations qui attirent de nombreux jeunes juifs, surtout en Allemagne. Rav Steinhardt s’oppose fermement à ce mouvement et critique sans ménagement ses adeptes dans l’introduction de son livre, le Zikhrone Yosseph. Néanmoins, il encourage son fils à publier la traduction en allemand du Sha’ar Hayi’houd, la première partie du ‘Hovoth Halevavoth - le Devoir des coeurs - de Ba’hya Ibn Pakouda, pour donner à tous accès à ce texte fondamental au niveau de la foi.

Dans cette même introduction, il a aussi des mots très forts contre le mouvement ‘hassidique qui prend de plus en plus d’ampleur en Europe de l’Est et s’en prend à ceux qui préfèrent étudier des ouvrages de Kabbale et qui négligent les textes classiques. Il leur reproche aussi d’avoir adopté de nouveaux minhaguim – des conduites religieuses nouvelles -, se détachant ainsi de la tradition des communautés de la sphère achkenaze.

Il semble cependant que Rav Steinhardt ait été influencé par un écrit (Zamir ‘Aritsim), critiquant à l’excès les nouveaux usages des ‘Hassidim. Ainsi ses adversaires estimant qu’il est allé trop loin dans ses critiques sur le monde ‘hassidique vont censurer, même des années plus tard, l’introduction de son ouvrage Zikhrone Yosseph et parfois en arracher les pages. Néanmoins, il encourage malgré tout, ses fidèles à soutenir financièrement les ‘Hassidim établis depuis peu en Terre Sainte et qui manquent de tout. Il prend donc la plume en 1770 pour rédiger avec ses collègues un appel aux dons en leur faveur.

Sa famille :

Le contrat de mariage avec sa seconde épouse, relevé par A. Fraenkel
Rav Steinhardt se marie en premières noces avec ‘Haya, la fille du Rav Akiva Kahana-Shapira (son arrière-petit-fils signale dans l’introduction du Machbir Bar, sa grande renommée), mais cette épouse décède à la fin de l’année 1754 (le 2 Tévèt 5515) à Niedernai. ‘Haya est enterrée au cimetière de Rosenwiller. L’emplacement de sa tombe est connu mais la pierre n’existe plus. Selon le registre, elle se trouve dans la section 2, rangée 2, tombe 2. De nombreuses tombes de cette époque ont été saccagées durant les années de la Terreur.

Un an après, fin 1755, il se remarie avec une veuve nommée Kreindel (Grendel), fille du Rabbi Leib Berlin de Pressburg et sœur du renommé Rabbi Yeshaya Pick-Berlin et de Rabbi David Berlin de Hambourg et Ansbach. C’est une femme très cultivée et son mari rapporte dans le Zikhrone Yosseph, des paroles de Torah dont elle est l’auteur.

Plus généralement, Rav Steinhardt écrit à propos des siens dans l’introduction de son livre : A cause mes nombreux péchés, j’ai été puni par la mort de mes enfants et de mes petits-enfants et il ne m’en reste qu’une partie. En effet, Rav Steinhardt affronte plusieurs deuils, car seuls trois enfants sur les six qu’il a eu vont survivre :

Les tombes de Y. Steinhardt et de son épouse Kreindel au cimetière de Furth, photographiées en 1936. Elles ont été détruites par les nazis.

Une lignée de Rabbins :

Son petit-fils R. Akiva, rabbin de la ville de Kobin en Hongrie, fils de R. Moché Steinhardt, se chargera d’éditer les écrits non publiés de son grand-père.

Son gendre R. Itsik Aron (appelé aussi Itsik Phalsbourg, car c'était sa ville natale), habite d’abord à Fürth auprès de son beau-père durant dix ans, avant de gagner Mutzig pour diriger un petit groupe d’étudiants en Talmud. Il est nommé par la suite rabbin de Haute Alsace et habite à Uffholtz dans le Haut-Rhin (il décède en 1805 et il est enterré à Jungholtz).

‘Haya-Sara, la fille de sa fille Léa Aron, se marie avec le rabbin Moché Wormser (né à Bollwiller et déc. en 1824, petit-fils de Paul-Raphaël Zivy), rabbin de Vieux-Breisach et de Müllheim (il est enterré à Sultzburg) et qui était le père du Rabbin Raphael David Wormser de Soultz (Ht-Rhin) et le beau-père du fameux rabbin Mordché Cahn de Westhoffen (déc. en 1872). Plusieurs descendants de Reb Mordché ont exercé par la suite comme rabbins jusqu'à nos jours.

Ses descendants :
On trouve de ses descendants en Amérique (Steinhardt) et aussi en Alsace, puisque tous les descendants de Reb Mordché Cahn sont aussi les siens. A ce titre on peut citer les familles : Cahn (Westhoffen), Kahn, Roos, Schull, Debré, Braun, Dreyfus, Bloch (Quatzenheim), Weil (Aix les Bains), Wreschner et encore beaucoup d’autres. Evidemment avec les années qui passent, une bonne partie se trouve aussi en Israël.

Sources :

Rabbins Judaisme alsacien Histoire
© A . S . I. J . A .