LES ISRAÉLITES À NANCY - Christian PFISTER (suite et fin)

III. La Révolution et ses suites

Le concours de l'Académie de Metz en 1787


L'abbé Grégoire
Mais certains esprits d'élite, sur le so1 même de la Lorraine, élevèrent bien haut la voix contre le préjugé populaire ; ils demandèrent avec éloquence que les anciennes barrières fussent abaissées, que les juifs fussent considérés comme les autres citoyens. C'est de Metz que partit le signal de l'émancipation (50). Il fut donné par l'Académie de cette ville, qui avait été fondée en 1757 sur le modèle de celle de Nancy. Suivant la proposition d'un conseiller au parlement, Roederer, le futur comte de l'Empire et pair de France, la compagnie mit, en 1785, au concours, pour 1787, le sujet suivant : Est-il des moyens de rendre les juifs plus heureux et plus utiles en France ? Elle développa en quelques lignes le programme que les concurrents devaient remplir et y laissa percer ses vrais sentiments de pitié et de commisération. Neuf mémoires furent envoyés au concours ; quelques-uns étaient de simples plaisanteries, ainsi celui dont l'auteur, M. Haillecourt, procureur au parlement de Metz, proposait, pour rendre les juifs plus heureux, de les transporter en masse dans les déserts de la Guyane ; mais d'autres étaient une étude sérieuse de la question. Roederer invita seulement les candidats à mettre plus d'ordre dans leur étude, et le concours fut prorogé une année encore. Cette fois-ci, l'Académie retint trois discours : le premier avait pour auteur un juif polonais résidant à Paris, Zalkind-Hourwitz, qui plaida avec beaucoup de chaleur la cause de ses frères (51) ; le second était l'ouvrage de l'avocat Thiéry de Nancy (52).

Le mémoire de l'abbé Grégoire

Le troisième, le plus remarquable de tous, était signé : "Grégoire, curé d'Emberménil" (53).
Dans un langage très élevé, celui-ci s'éleva contre les vexations dont les juifs étaient l'objet. "Sans doute, dit-il, il est dangereux de tolérer les juifs tels qu'ils sont, à cause de leur commerce, qui est souvent de l'usure ; mais nous devons leur tendre une main secourable et les amender. Il est possible de les former arts et métiers, à l'agriculture, à l'état militaire; de développer en eux des sentiments nobles et généreux. Pour arriver plus vite à ce résultat, il faut supprimer les barrières qui séparent israélites et chrétiens ; il faut cesser d'assigner à ceux-là des quartiers à part ; il faut leur donner le droit d'arriver à tous les offices civils dans les diverses classes de la société, leur ouvrir les Académies." Et Grégoire terminait, non sans emphase : "Un siècle nouveau va s'ouvrir ; que les palmes de l'humanité en ornent le frontispice."

La question juive à la Constituante ; Berr-Isaac Berr à l'assemblée

L'Assemblée constituante allait écouter ces vœux et faire des israélites des citoyens français. Pourtant, elle ne leur accorda point ces droits d'emblée. Il y eut des hésitations et des tergiversations. Les communautés israélites commencèrent par envoyer des adresses à la Constituante (54), puis des délégués qui plaidèrent pour elles. Le 14 octobre 1789, Berr-Isaac Berr, de Nancy, qui descendait de l'ancien fournisseur de Stanislas, porta devant l'Assemblée la parole au nom des juifs de Lorraine, des Trois-Évêchés et d'Alsace. Il demanda la pleine liberté civile et, dans un mouvement éloquent, il s'écria : "Puisse le voile d'opprobre qui nous couvre depuis si longtemps se déchirer enfin sur nos têtes ! Que les hommes nous regardent comme leurs frères ! Que cette charité divine, qui vous est si particulièrement recommandée, s'élève aussi sur nous !" On l'applaudit, comme dit le procès-verbal, "avec l'attendrissement que méritent les malheurs et les préjugés dont les juifs sont victimes", et l'on promit d'examiner leur cause dans une prochaine séance.

Discours de l'évêque de Nancy contre les juifs

Cette occasion se présenta bientôt. A la fin de l'année 1789, on discutait la loi électorale ; la qualité d'électeur devant appartenir à tous les citoyens actifs, il s'agissait de déterminer si les protestants, si les comédiens, Si les bourreaux, si enfin les juifs pouvaient être rangés sous cette dénomination. La grande question était posée : Dans un État libre, les juifs peuvent-ils être considérés comme citoyens ? Pendant la séance du 23 décembre, l'un des plus grands noms de l'aristocratie française, le comte de Clermont-Tonnerre, un jeune avocat d'Arras, Robespierre, puis Mirabeau et Duport parlèrent pour eux ; mais contre eux se déclarèrent, avec une grande violence, un député de Colmar, Rewbell, l'abbé Maury, enfin l'évêque de Nancy, Mgr. de La Fare. Celui-ci rappela que les juifs se mettent eux-mêmes pour ainsi dire hors la loi ; ils ne peuvent faire la guerre, puisque, le jour du sabbat, il leur est interdit de voyager et de combattre ; ils ne peuvent être médecins, puisque, ce jour-là, un malade attendrait en vain leurs secours ; ils ne peuvent s'asseoir à la même table que leurs compatriotes, à cause des règles sur les viandes pures et impures. Il y a sans doute quelques juifs remarquables : "Qu'il me soit permis, Messieurs, de payer à quelques juifs distingués par leurs lumières et leurs qualités personnelles le tribut qui leur est dû. Ils font partie de la députation que vous avez admise, et ces juifs estimables ont rendu à la ville de Nancy qu'ils habitent et à la province entière des services importants." Néanmoins, se fondant sur les instructions reçues de ses électeurs, Mgr. de La Fare conclut au rejet de la demande qu'avaient introduite les juifs (55).
L'Assemblée, après plusieurs journées de discussion adopta, le 28 janvier 1790, une sorte de moyen terme : elle ajourna la supplique des juifs d'Alsace et de Lorraine, mais elle donna le titre de citoyens actifs à tous les juifs connus en France sous le nom de juifs portugais, espagnols et avignonnais. Elle fit ainsi deux poids et deux mesures.

Protestations des juifs de Nancy

Cette décision souleva de vifs mécontentements. Les juifs de Paris, traités comme ceux d'Alsace, protestèrent. A Nancy, il y eut une véritable agitation. Berr-Isaac Berr adressa une lettre respectueuse mais énergique, à l'évêque La Fare, pour rétorquer ses arguments (56). Cette missive n'eut pas le don de plaire à tous les juifs de Lorraine. Berr-Isaac Berr avait demandé qu'on maintint la communauté juive de l'ancien duché en un seul faisceau, que l'on conservât le pouvoir du rabbin et des syndics ; mais ce pouvoir fut attaqué avec vivacité par son propre neveu, le sieur Jacob Berr, chirurgien à Nancy, dont il a été question plus haut. Celui-ci demande hardiment que les vieux cadres soient brisés ; que les juifs de chaque village aient leur indépendance propre : ils ne s'en fondront que mieux avec les autres citoyens. On distingue de la sorte les deux courants qui se partageaient la communauté israélite. Lyon Goudchaux, de son côté, répondit avec éloquence à l'abbé Maury :
"Vous parlez de juifs portugais, avignonnais etc. ; mais une seule dénomination convient à tous, celle de juifs français." Et quelle contradiction de traiter plus mal les juifs de Lorraine que ceux de Gascogne !
"Quoi ! la différence de religion serait purgée pour les uns, et ne le serait pas pour les autres ?" (57)

Les juifs de Nancy cherchèrent à gagner à leur cause les nouveaux pouvoirs de la ville. Ils demandèrent au Conseil général de la commune de recevoir une délégation de leur communauté ; le Conseil y consentit et le 12 avril 1790, Berr-Isaac Berr y porta la parole : "La religion que nous professons, qui a toujours été et qui sera toujours la base et l'égide de nos actions, ne met aucun obstacle à remplir le devoir d'un citoyen français, surtout lorsque le Droit de l'homme nous assure la paisible jouissance de nos opinions religieuses. Daignez, Messieurs, daignez croire que si nous ambitionnons de porter le nom glorieux de citoyen, c'est plutôt pour en remplir les devoirs que pour jouir des droits qui y sont attachés" (58). Le Conseil écouta avec déférence ce discours, mais n'intervint pas, ce semble dans le débat.

Les juifs reconnus citoyens actifs

La question posée ne fut tranchée que le 27 septembre 1791, peu de jours avant que la Constituante se séparât. Duport avait demandé, pour tous les juifs sans exception, la qualité de citoyens actifs et, malgré l'opposition de Rewbell, la proposition fut adoptée d'enthousiasme. Regnaud de Saint-Jean-d'Angély avait dit justement : "Je demande que l'on rappelle à l'ordre ceux qui parleront contre cette proposition ; car c'est la Constitution elle-même qu'ils combattront" (59).
Dans l'intervalle, la Constituante avait voté d'autres lois qui intéressaient les juifs. Le 20 juillet 1791 elle avait aboli la redevance de 20,000 livres que ceux de Metz payaient, depuis le début du siècle à la famille de Brancas, sous prétexte de droits de protection, et elle avait supprimé toutes les redevances analogues. L'impôt spécial exigé des juifs de Lorraine disparut : désormais, ils ne payèrent plus que les contributions ordinaires. Au mois d'octobre, l'Assemblée, avec les corporations, avait supprimé les communautés religieuses. La communauté juive de Lorraine, qui avait son siège à Nancy, fut dissoute ; des synagogues indépendantes ne tardèrent pas à se créer à Lunéville et à Lixheim. Jacob Berr l'emportait sur Berr-Isaac (60).

Les juifs de Nancy prêtent le serment civique


Berr-Isaac Berr
A peine les israélites eurent-ils obtenu le titre de citoyens actifs, ils multiplièrent leurs démonstrations en faveur de la révolution qui les avait affranchis, Ils demandèrent à prêter le serment civique devant le Conseil général de la commune de Nancy, et le janvier 1792, une députation, avec le rabbin en tête, se présenta devant lui. Ce ne fut pas le rabbin, assez peu versé dans la langue française, mais l'orateur habituel, Berr-Isaac Berr, qui prit la parole. Son discours est vraiment éloquent. La période de la protection est finie, dit-il en substance; nous sommes devenus des citoyens libres ; mais nous réclamons l'indulgence d'abord ; il faut nous laisser le temps de nous perfectionner ;
"nous ressemblons à des esclaves rendus à la liberté et qui conservent, longtemps après, les meurtrissures de leurs chaînes." Il demande ensuite qu'on ne rende pas les juifs responsables des méfaits commis par l'un d'entre eux. " S'en prend-on à une commune entière pour le crime commis par l'un de ses habitants ?"
Le maire de Nancy, Thieriet, répondit, en faisant l'éloge de la liberté : "Votre empressement à être inscrits sur le rôle des citoyens actifs, et le patriotisme dont vous venez offrir le gage, nous persuadent que le nombre des bons citoyens de cette commune va être augmenté ; le Conseil général s'en félicite et va recevoir vos serments." Les serments furent prêtés en la manière accoutumée (61).

Leur dévouement aux idées révolutionnaires

A cette période d'enthousiasme succéda le régime de la Terreur, en 1793 et 1794. La synagogue fut fermée et le grand rabbin dut partir. Quelques israélites, pour être épargnés, multiplièrent leurs dons avec un peu d'ostentation. Berr-Isaac Berr abandonna à la commune de Nancy une pension que lui avait faite l' "émigré" Louis-Stanislas-Xavier Capet (62) ; il mit du blé à la disposition de la commune. A la séance du Conseil général de la commune du 16 octobre 1793; il offrit en don patriotique, un fusil avec sa baïonnette.
Mais d'autres firent plus simplement leur devoir, et ce devoir alla jusques l'héroïsme : Goudchaux, qui était alors suspect, n'hésita pas à donner asile dans sa maison au prêtre insermenté Joseph Charlot, curé de Saint-Sébastien, qui plus tard, devait devenir curé de la cathédrale, après le concordat. Il le sauva ainsi de la déportation.

Organisation du culte israélite sous le Consulat

Après la Terreur, les synagogues se rouvrirent et le culte israélite fut célébré, sauf pendant la période qui suivit le coup d'État du 18 fructidor. Sous le Consulat, quatre synagogues furent définitivement créées dans le département de la Meurthe : à Nancy, à Lunéville, à Lixheim et à Phalsbourg. Les communautés choisissaient elles-mêmes leurs rabbins, qu'elles payaient, car le premier consul avait refusé de les salarier et de les assimiler aux curés catholiques et aux pasteurs protestants ; l'Eglise israélite reste, jusqu'en 1831, séparée de l'État.

Création du Consistoire de Nancy

Mais il importait d'achever la réconciliation des juifs avec la société moderne et de créer un lien entre les synagogues isolées. Ce fut la tâche de l'Assemblée générale des israélites et du grand sanhédrin que Napoléon convoqua à Paris en 1806 et en 1807. Dans les deux réunions, les délégués de Nancy jouèrent un grand rôle. Dans la première, le département de la Meurthe était représenté par sept membres laïques qu'avait désignés le préfet ; parmi eux, trois Nancéiens, Berr-Isaac Berr, Gumpel Lévy et Moïse Lévy. L'assemblée proclama que la religion israélite se conciliait avec les devoirs du citoyen. Dans la seconde, Berr-Isaac Berr était encore présent, avec deux rabbins de la Meurthe, Wolf Eger et Baruch Gouguenheim.
Le sanhédrin partagea toutes les synagogues de l'Empire en consistoires ; la Lorraine. au sens étendu du mot, en comprit deux : le consistoire de Metz qui s'étendait sur les départements de la Moselle et des Ardennes - on y comptait 6,517 juifs - ; le consistoire de Nancy, avec les départements de la Meurthe, de la Meuse, des Vosges, de la Haute-Saône et de la Haute -Marne - on y comptait 4,200 juifs, la plupart habitant la Meurthe et Nancy -. Les deux consistoires lorrains devaient dépendre du consistoire central, établi à Paris, ayant à sa tête le grand rabbin de France.

Cette organisation a subsisté à peu près jusqu'à la guerre de 1870-1871. Seulement, une grande mesure avait assuré, dans l'intervalle, l'égalité entre la religion juive et les religions chrétiennes. En 1831, après la révolution de Juillet, l'Etat prit à sa charge les frais du culte israélite ; les rabbins furent désormais des fonctionnaires salariés, comme les curés et les pasteurs. Le grand rabbin Schweich toucha un traitement de l'État, après avoir longtemps vécu des cotisations volontaires des fidèles. Pendant cette période, sous la monarchie de Juillet et le second Empire, les synagogues s'étaient multipliées dans le consistoire de Nancy : Verdun, Epinal, puis Toul, eurent des rabbins ; des ministres officiants furent installés à Blâmont, à Sarrebourg, à Bar-le-Duc, à Pont-à- Mousson, à Vic et à Delme.

Etendue de ce consistoire depuis 1871

La Guerre de 1870-1871 devait modifier profondément cette organisation. Un très grand nombre d'israélites des pays annexés optèrent pour la France et vinrent s'établir dans la Lorraine demeurée française ou dans les régions voisines. Un nouveau consistoire fut créé à Vesoul : il comprit le territoire de Belfort, le département de la Haute-Marne et celui des Vosges. Le dernier grand rabbin français de Colmar devint le premier grand rabbin de Vesoul. Dans les Vosges, il eut sous ses ordres deux rabbins - à Épinal et à Remiremont (depuis 1874) - , et des ministres officiants à Bruyères, Charmes, Gérardmer, Lamarche, Neufchâteau, Rambervillers, Raon-l'Etape, Saint-Dié, Le Thillot et Senones. Les juifs des Vosges forment une population d'environ 2,500 âmes [en 1908].


Portrait de Baruch Gougenheim, grand rabbin
de Nancy (D'après une lithographie de Drouin)



Portrait de Salomon Ulmann, grand rabbin
de Nancy
(D'après une photographie)
Le consistoire israélite de Nancy, qui perdait la Haute-Saône, la Haute -Marne et les Vosges, par la création de la circonscription de Vesoul, ainsi que les communautés de Sarrebourg, Delme, Lixheim et Phalsbourg, par l'annexion, s'augmenta des deux départements de l' Yonne et de l'Aube, où les israélites sont très rares, et de la partie du département de la Moselle demeurée française. Du grand rabbin de Nancy dépendent les rabbins. de Lunéville, Verdun et Toul, et les ministres officiants de Blâmont, Pont-à- Mousson, Saint-Mihiel (depuis 1877), Bar-le-Duc, Étain, Vaucouleurs, Commercy, etc. Le chiffre total de la population israélite peut être estimé à 7,000 ou 8,000 âmes.

La moitié de cette population habite Nancy. Nous voilà bien loin des quarante ménages qui y existaient en 1789 ! Cette population s'était augmentée d'abord insensiblement, puis elle reçut en 1871 la masse de ses frères alsaciens-lorrains qui fuyaient la domination allemande. Ces israélites ont créé dans la ville et aux alentours, de nouvelles industries : filatures et tissages, manufactures de chaussures, de broderies, hauts fourneaux; ils ont fondé de grands magasins et donné. à la banque et au commerce une vigoureuse impulsion.

Nous avons déjà parlé des agrandissements de la synagogue au 19ème siècle et de la création du cimetière de Préville en 1840. Il nous reste peu de détails à ajouter pour achever l'histoire des israélites de Nancy.

Les grands rabbins de Nancy au XIXe siècle

En 1832, Baruch Gouguenheim, rabbin de Phalsbourg, fut appelé à la tête de la synagogue de Nancy, qu'il gouverna très fermement pendant onze ans. A sa mort, le consistoire nomma grand rabbin Salomon Ulmann, qui exerça celte fonction de 1843 à 1854, Le nom d'Ulmann est resté populaire dans la ville. Les israélites ne parlent qu'avec émotion de sa piété et de son inépuisable charité. Il a composé pour l'éducation des enfants un Recueil d'instructions religieuses et morales (63) qui est devenu populaire. C'était en outre, un homme fort modeste : seul, il fut surpris de sa nomination au poste de grand rabbin de France, qu'il remplit de si digne façon.

M. Ulmann fut remplacé à Nancy par M. Libermann. Pendant trente-cinq ans, celui-ci resta à la tête de son église, jusqu'au moment où la mort le frappa, le 18 septembre 1889. Nous nous bornons ici à reproduire le portrait qu'en a tracé son successeur, M. Isaac Bloch : "Il a su maintenir ses fidèles dans une rigidité de pratiques dont il donnait lui-même l'exemple et qui lui était dictée par une conviction ardente. D'une bonté et d'un dévouement à toute épreuve, il fut un père pour les pauvres, distribuant les aumônes de ses propres mains, visitant les malades, protégeant les étrangers sans ressources, créant, inspirant, vivifiant un service de bienfaisance qui s'applique à parer les coups de l'infortune avant qu'elle frappe, et qui la combat victorieusement lorsqu'elle n'a pu être conjurée" (64).

A côté de la synagogue, une école réunit dès le début du siècle les enfants israélites. Elle fut dirigée en général par de bons maîtres, enseignant la lecture de l'hébreu, outre les éléments de la langue française (65). L'un d'entre eux s'est élevé aux plus hautes dignités, M. Ennery : telle était sa science que, directement il fut appelé de l'école israélite de Nancy au grand rabbinat de Paris et qu'il devait être nommé grand rabbin de France. Il a précédé dans ce dernier poste M. Ulmann.

La loi de séparation des Églises et de l'État, de 1905, n'a pas pris les israélites à l'improviste : une Association cultuelle s'est aussitôt formée et s'est chargée de subvenir aux frais du culte ; les israélites, en somme, sont placés dans la situation où ils se trouvaient de 1800 à 1831.

Israélites illustres de Nancy et de Lorraine

Beaucoup d'israélites de Lorraine sont devenus illustres. Nous avons déjà souvent. parlé de Berr-Isaac Berr. Nous ajoutons que sous le premier Empire il entra au conseil municipal et fit partie à la fois du consistoire israélite et de la municipalité. Il garda ses dignités sous la Restauration, toucha de nouveau sa pension de Louis XVIII et de Charles X, en dépit de certaine déclaration faite sous la Terreur. Enfin, comme il passait sa vieillesse dans une propriété près de Nancy dont il avait fait l'acquisition, le domaine de Turique, le roi Charles X lui permit d'ajouter à son nom celui de la terre : il fut désormais Berr de Turique (66). Signalons encore de Berr-Isaac Berr une apologie du Talmud adressée à Grégoire (67).

Son fils, Michel Berr (décédé en 1843), fut encoreplus connu. Après avoir fait ses études à l'école centrale de Nancy, il se destina au barreau. Il fut le premier juif inscrit sur le tableau de l'ordre des avocats à Nancy et même, le premier avocat israélite de France. Il fut aussi le premier admis dans les compagnies savantes. L'académie de Stanislas lui ouvrit ses portes, et bientôt il se fit affilier à celles de Metz, Strasbourg, Nantes et Goetingue, à la Société des antiquaires, etc.. I1 multiplia les demandes, un peu par vanité, beaucoup par principe. En toute occasion, il prit la défense de ses coreligionnaires. Dès l'année 1801, jeune encore, il profita de la réunion du congrès de Lunéville pour adresser, en faveur des israélites, un appel solennel à la justice des nations et des rois (68). Sans cesse, il combattit les vieux préjugés, toujours prêt à entrer en campagne contre ceux attaquaient les juifs. On lui doit un très grand nombre de brochures, œuvres de polémique, traductions de l'hébreu ou de l'allemand, précis d'instruction religieuse et morale pour la jeunesse juive (69) etc. Il vécut toute sa vie dans le rêve d'une grande œuvre de régénération et de fusion. "L'idéal était son seul domaine" (70).

A côté de ces deux hommes, il faut citer le philosophe Franck, Arsène et James Darmesteter, le peintre Henri Lévy, le général Lambert ; mais, avec eux, nous touchons à la période actuelle, et il faut nous limiter.

Conclusion

Nous avons vu qu'en 1721, sous le règne de Léopold, quatre familles juives étaient admises à Nancy, et y eurent une existence légale. En 1753, les familles juives furent au nombre de douze, en 1789 de quarante environ. Les israélites y dépassent aujourd'hui 3,000 âmes [en 1908]. Ces chiffres ont leur éloquence : nous ne pouvons donner, ce nous semble, de meilleur résumé de l'histoire des israélites à Nancy.


© A . S . I . J . A .