Le Restaurant Blum - 1958 : Yafa Ringer, Colette Weil, Henri Hochner |
"Je vous parle d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître" …. Les moins de vingt ans! … Enfin!… les moins de quarante ou cinquante! ….
Ce n'est pas le lieu ici de concocter une élégie sur "les neiges d'antan", à base de refrains à la mode … Le propos est plus modeste . C'est à de souriantes réminiscences étudiantes du siècle dernier que nous pensons.
1955-1962 … Direction Strasbourg, son université, la suavité de son climat et de son accent , sa vie juive du terroir !... Frais émoulus de la vie de potaches, nantis du baccalauréat qui devait nous propulser vers les hauts de l'affiche, nous étions convaincus d'avoir opté après de longues, sinon mûres réflexions, pour la voie royale… le droit, sciences politiques, les lettres, PCB, médecine, le commerce, les mathématiques, pharmacie, l'école d'ingénieurs, dentaire, etc. Toutes les carrières s'ouvraient à nous. Les problèmes de précarité et de chômage ne se posaient pas alors, avec l'acuité d'aujourd'hui.
Venus d'horizons divers, on ne se connaissait pas, ou très peu. Chose qui ne pouvait que stimuler les contacts et la création de liens sur fond d'intérêts communs et autres atomes crochus. …
C'est autour du restaurant universitaire de l'avenue de la Forêt Noire et du FEJ (Foyer des Etudiants juifs) du Boulevard de la Victoire, plus tard de la rue Wimpheling, que se forgeront les attaches.
Parmi les souvenirs et les visages certains émergent encore, malgré le temps, avec une force et une vivacité particulière. Ceci, sans vouloir flatter ni choquer personne, et encore moins, causer aux "non nominés" un quelconque sentiment de frustration…. Subjectivité, manque d'information, mais aussi discrétion obligent!…
Notre ami Henri Hochner, grand chapelain, délégué par l'UNEF à la vente des tickets de restaurant ( un franc le repas!) jouera dans le domaine des accointances, un rôle prépondérant . A l'entrée de la salle, couvant des yeux une petite cassette qui renfermait les trésors du moment, Henri, assisté de Paul Franck, distribuait, vendait, contrôlait, vérifiait, puis faisait les comptes avec Monsieur et Madame Blum, les dévoués directeurs du Foyer des Jeunes, qui avaient assumé, en plus de leurs fonctions, la responsabilité, parfois le difficile devoir, de sustenter les nouveaux venus dans la cité alsacienne … Jamais le visage revêche ou grognon. Mais toujours le mot pour rire: l'humour du futur chirurgien dentiste ( quel paradoxe! ) fut pour beaucoup, qui pourrait nous contredire ?… dans les rapports étroits qui se tissèrent entre nous, à cette époque.
Autre image, non moins attachante, il nous faut citer, bien sûr, à tout seigneur!… celui qui allait se distinguer par une présence hors pair : Freddy Raphaël qui s'était égaré un temps dans les lettres anglaises avant d'opter pour la sociologie et devenir l'éminent professeur qu'il est aujourd'hui. A côte de lui, presque son alter ego, Jean Georges Kahn (Yo'hanan Cohen-Yashar) surnommé parfois Anatole – ce n'était pas toujours pour lui plaire, à juste titre d'ailleurs – et qui avait choisi de se spécialiser, doctorat à l'appui, dans l'étude historique et philosophique de Philon d'Alexandrie…. Freddy et Yohanan, deux compagnons ayant contribué, plus que d'autres, à créer une "atmosphère", et aidés en cela par celles qui allaient devenir leurs épouses, Simone et Evelyne ( Mitsuko pour les EI), toutes deux étudiantes en lettres.
Jean-Georges Kahn, M. Blum (debout), Manely Blum, Jacqueline Werterschlag, Liane Wolf |
Lucile Picard, Joë Friedemann, Jean Weil |
Il y avait également André Franck et Dora , à la veille de leur mariage, Gérard et Jean-Jacques, leurs frère et beau-frère, chacun dans son domaine, la biologie, la kinésithérapie, les mathématiques et le droit . Et puis Danielle Schwab, adepte des lettres modernes qui sera courtisée plus tard et pour la bonne cause, par Jacquot Grunewald. Citons encore Colette Weil dont les intérêts pour l'enseignement et le théâtre universitaire étaient connus de tous, Lucile Picard, sympathiquement volubile et alliant l'enseignement à la psychologie, Jacob Eladad absorbé par sa thèse sur Victor Hugo, Astrid Guguenheim, inscrite pour une licence en biologie, Kim, dynamique, tout à ses engagements EI, et qui n'était pas encore Schleider à ce moment là. Puis Joël Wertenschlag, un des nombreux carabins de la place, avec Salomon Lévy, mathématicien défroqué, ainsi que Jaqueline Syllagy … Jacques Hazan, philosophe en herbe, Vidal Serfaty, encore un dentiste, qui trouvera grâce aux yeux de Danielle Silber, sa future femme. De même, les représentants des mouvements de jeunesse, Elie Bloch, Bernard Reich pour l'Hachomer Hatsaïr, Daisy Sinaï pour le Bné Akiba … Arriveront par la suite Armand (Cèdre) et Janine Abecassis, inscrits en philosophie et en psychologie, qui devaient apporter un souffle de haute tenue à la vie estudiantine strasbourgeoise de l'époque, et plus tard, dans les études juives et universitaires de l'hexagone.
Dans la petite salle du restaurant, les gens prenaient place selon leurs affinités. Il y avait en ce temps là, un partage sans ostentation ni gravité qui s'était fait presque naturellement entre les "calotins " et les "non calotins", ceux qui allaient au Mercaz et ceux qui n'y allaient pas, "ceux qui croyaient au ciel et ceux qui …". De là, nombre de discussions et d'axes de pensée, témoignages de divergences, mais qui, à l'époque - contrairement aux réalités parfois douteuses et aux "escarpements du rigorisme" du monde juif actuel - ne prêtaient pas à conséquence…
Claudine Corbeau, P. Cohen Bacri (P.C.B.), Rachel Ehrenreich, Gérard Meyer, Roger Kahn, Manuel Schechter |
Jacques, Danielle Silber, Guy Schwob, Claudine Corbeau, P.C.B. |
Arrêtons là une énumération risquant, malgré son intérêt, de verser dans la monotonie. D'autant que la liste, on l'imagine, ne saurait être exhaustive. N'y voyons surtout pas d'intention malveillante.
Mises à part les agapes quotidiennes, l'habitude, chez bon nombre avait été prise de se rendre au FEJ, entre midi et deux heures, pour y siroter une tasse de café préparée par M. Meyer, le responsable du foyer. Certains y venaient aussi dans l'intention de réviser leurs cours, activité salutaire s'il en fut, qui, par ailleurs, n'interdisait à aucun des futurs impétrants d'ajouter un brin de piquant au sérieux de ses occupations …! Fleurettes et autres propos galants, c'est évident, allaient y trouver leur compte et un espace respectable !
C'est au FEJ aussi qu'étaient organisées les assemblées générales, ainsi que les conférences . Plusieurs d'entre elles allaient particulièrement marquer les esprits .Celle de Roger Ikor, prix Goncourt 1955, venu parler de son roman, Les Eaux mêlées, rencontre qui devait, et pour cause, soulever une vive discussion dans l'auditoire. Celle, également passionnante, autour du prix Goncourt 1959, Le Dernier des Justes d'André Schwarz-Bart . Citons encore, mais dans un tout autre registre, lors de la parution d'un numéro spécial d'Esprit, le débat qui avait été engagé sur le thème de la Sexualité. Ainsi que, signe des temps dans leur gravité, les controverses nombreuses provoquées par la guerre d'Algérie et le retentissement qu'elle devait avoir, en particulier, sur le plan communautaire, local et national.
Il y aurait, à l'évidence, bien d'autres souvenirs à égrener pour éclairer en profondeur les aspects variés de la vie universitaire juive, dans la capitale alsacienne, vers la fin des années cinquante. Le cadre limité de cet exposé sans prétention n'y suffirait pas. C'est pourquoi, on s'en tiendra là, en évoquant encore, in fine, et de manière concise, quelques exemples "en complément" .
Le Restaurant Blum - 1958 : Alex Lévy, Gaston Ben David, Walter, Evelyne |
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Certains étudiants, on l'aura compris, étaient attirés plus que d'autres, par "la chose juive", ses perspectives spécifiquement religieuses et ses rapports avec la communauté. Citons :
"Mes jeunes années courent dans la montagne
Courent dans les sentiers…".