PFAFFENHOFFEN
naissance, vie et mort d'une kehilla alsacienne
par André-Marc Haarscher
Extrait de l'Almanach du KKL-Strasbourg , 1984 (les sous-titres sont de la Rédaction du Site)

A la mémoire de mes camarades et voisins Marcel et Roger Gradwohl, fusillés par les Allemands, avec leur cousin Raymond Winter au maquis de St. Flour.

Repères historiques

La Communauté juive de Pfaffenhoffen (Pf.) n'a jamais été très grande ; elle n'est pas non plus des plus anciennes. Alors que des textes de 1322 parlent de Juifs à Bouxwiller et à Neuviller, ceux de Pf. ne semblent être cités qu'en 1594 (a). Il est intéressant de noter que dans le "Fleckenbuch" de Pf., publié par Me Lotz, qui relate les événements de la commune du début du 16ème siècle à la fin du 17ème, il n'en est pas fait mention (b). En 1628, une supplique contre le Juif Samuel (Suzel) est adressée aux conseillers du comte de Hanau-Lichtenberg : il est accusé de pervertir les jeunes gens qui lui empruntaient de l'argent et aussi de polluer, lui et ses enfants, le puits communal (c) (comme on le voit les deux grands arguments de l'anti-judaïsme classique sont invoqués !). La supplique semble être restée sans effet puisque le même Samuel est sommé, en 1632, de payer les frais de cantonnement de soldats lorrains qu'il avait refusé d'héberger chez lui. Dans le texte de 1628 on signale également des Juifs à La Walck, sur l'autre rive de la Moder, qui eux, dépendaient de la Reichsvogtei de Haguenau.
Dans les Memoiren d'Ascher Lévy de Reichshoffen il est question des Juifs de Pf. en 1630, notamment au sujet de deux etrogim (1) achetés en commun par plusieurs communautés et qui étaient acheminés par messager de l'une à l'autre (d).

Entre 1634 et 1673 il semble que les Juifs furent assez nombreux à Pf. mais beaucoup sont partis à la suite des dévastations subies par le bourg en 1673-74. Malgré cela une violente campagne éclate contre eux en 1678, dirigée par un pasteur du nom de Hoppensack, à la suite de la célébration de Rosh-Hashana. Les Juifs de Pf. qui n'avaient pas de synagogue, se rendaient aux offices des fêtes de Dauendorf, mais l'insécurité, due à la guerre, les en avait empêchés cette année-là. Une première synagogue construite en 1683 fut aussitôt détruite par la population. Les Juifs obtinrent néanmoins du Consistoire Protestant de Strasbourg l'autorisation de la reconstruire, grâce en particulier à l'influence de Jacob Weyl (Jockel Jud) de Westhoffen (e).

Cependant le nombre de Juifs domiciliés à Pf. à la fin du 17ème et au début du 18ème siècle était faible : en 1702 il n'y avait que trois familles ; elles payaient une taxe de 4 florins 5 shillings par trimestre. En 1723 on comptait 10 ménages juifs (f). Dans une lettre du 16 juin 1734 (g) la commune de Pf. se plaint à l'intendant d'Alsace de ce que les Juifs refusent de s'acquitter de leurs redevances en fourrage et de "loger des gens de guerre". La réponse faite le 16 août de la même année les condamne à restituer aux habitants de Pf. les quantités de fourrage qu'ils auraient dû supporter ; quant à la corvée de logement des gens de guerre, ils en sont exemptés moyennant le versement d'une somme à convenir entre le Prévôt de la commune et le Préposé des Juifs (h).

l'Aron hakodesh de 1791

Au moment du recensement de 1784 la population juive de Pf. est de 84 individus répartis en 17 familles. Ce chiffre reste assez stable par la suite. A partir de 1792, date à laquelle l'état civil est institué, on peut aisément suivre l'évolution des familles. Celles-ci comptent en moyenne 5 enfants et on est frappé par la forte mortalité infantile. Il est amusant de constater que le premier nom inscrit sur le registre des naissances de Pf.est celui d'une petite juive, Esther, fille de Sussel Manuel le 4 janvier 1793 (an II de la République). Quand en 1808, le fameux décret impérial du 20 juillet impose aux Juifs de choisir un nom patronymique, 137 personnes se trouvent concernées, réparties en une vingtaine de familles. C'est le maximum que la communauté ait jamais compté. Voici la liste des noms de famille adoptés, avec le nombre de personnes par famille : Blum -13-, Eisenmann -11-, Gumbler -3-, Haarscher -16-, Herrmann -4-, Klein -7-, Liebold -23-, Meyer -27-, May -1-, Sichel -18-, Strauss -5-, Schneberg -8-, Spriegel -1-.

La synagogue de Pf. qui est maintenant une des plus anciennes d'Alsace a été construite en 1791 comme l'indique la date en chiffres arabes et en caractères hébraïques sur le linteau de la porte. Le guissef (2) - fontaine pour les ablutions - en pierre, qui se trouve dans le couloir d'entrée, porte la date de 1744. La description de la Choule (3) a été faite par notre ami Robert Weyl (i). Je voudrais simplement rappeler le magnifique encadrement de l'aron hakodesch (4) qui est maintenant scellé dans le mur nord. Il représente deux lions portant la couronne de la Torah (5). Le linteau est soutenu par deux colonnes où s'enroulent des pampres. A sa place primitive on a installé après la guerre de 39-45 l'encadrement de l'arche de la synagogue de Mulhausen, petite communauté à 6 km. de Pf. qui a cessé d'exister après la première guerre mondiale. Il y avait un mikwé (6) non loin de la synagogue, mais je ne me souviens pas qu'il ait été en service. Pf. avait également une garkich (7) - restaurant cachere (8) - qui fut ouverte jusqu'à la première guerre mondiale et où venaient se restaurer les nombreux marchands et représentants de passage.

Pendant le 19ème siècle, la population juive reste constante et on dénombre encore 132 Juifs à Pf. avant la guerre de 1914-18. La vie des Juifs durant cette période de tranquillité et de tolérance est celle de toutes les communautés rurales d'Alsace, telle qu'elle a été maintes fois décrite et illustrée. Les archives consistoriales de l'époque ont malheureusement disparu mais on a conservé dans ma famille de nombreux documents datant de l'époque où mon grand-père, Marx Haarscher, était parnass (9).
Certains de ces documents ont trait à une querelle qui a divisé la Kehilla (10) et mon grand-père se plaint amèrement dans une lettre de 1898 d'avoir à accepter dans sa "Commission" quatre membres imposés par le Consistoire. Il dit qu'il est mieux à même de juger des intérêts de sa communauté quitte à choisir ces membres dans "le parti adverse" ! Le motif initial de la querelle semble avoir été le renvoi d'un 'hazan (11) dont la moralité ne faisait pas l'unanimité.

Le budget de la communauté, à cette époque, était relativement considérable et se montait pour l'année 1894, par exemple, à 1297 mark 69 pfennig. Le "budget-geld" était encaissé mensuellement : il était de 2 mark 20 à 3 mark par famille. Les places à la Choule étaient vendues annuellement aux enchères et valaient entre 2 et 6 mark. Une mitzwa (12) revenait de 20 à 40 pfennig.

Fêtes et coutumes

J'en viens maintenant à une époque plus récente, celle que j'ai connue moi-même avant la dernière guerre. Vers 1930, nous étions environ 20 familles. Peu d'entre elles étaient de vieille souche car beaucoup de familles avaient "émigré" à Strasbourg après 1918 et furent remplacées par celles que mon père appelait des "hergeloffeni" ! D'où venaient-elles ? Pas de très loin, d'Ettendorf, d'Uhrwiller, de Mulhausen, de Dauendorf, kehilloth (10) qui existaient avant la guerre de 14-18 et qui se sont dépeuplées après. Je devrais aussi évoquer les familles juives qui habitaient Pf. tout en faisant partie du Kahal de La Walck, où elles continuaient à aller aux offices dans une synagogue privée pour y maintenir un minyan (13). Les mauvaises langues disaient que c'était pour ne pas avoir à payer de budget !

Quelles professions exerçaient les Juifs de Pf. ? Il y avait deux bouchers (cachères, bien entendu !), un cordonnier, deux magasins de tissus et confection, un marchand de chaussures également épicier, un quincailler un peu "ferrailleur", un marchand de meubles, un tapissier brocanteur, un marchand de bestiaux d'une relative importance mais de médiocre réputation. Les autres étaient de petits intermédiaires, courtiers en grains ou en houblon ou faisaient du colportage. Il faut aussi citer la "Blechfawerik", importante manufacture d'articles de ménage fondée par des Juifs de Pf.et qui continue de prospérer sous la direction de leurs descendants.

Comparée à celle d'autres communautés, la vie religieuse à Pf. n'était pas très intense. Peu de Juifs mettaient leurs tephillin (14) le matin et il n'y avait pas d'office les jours de semaine. Le vendredi soir et le Shabath, par contre, il y avait largement minyan. A l'issue du vendredi soir, nos parents nous bénissaient puis mon père faisait le kiddouch (15) et Mautze (16) sur les berches (17) que nous avions commandés chez le boulanger. On ne touchait pas au feu et c'était la Hornung-Käth, notre Schawes-goye (18) qui l'entretenait.

Bien évidemment tous les yom-taufem (19) étaient scrupuleusement célébrés et les rideaux de fer des magasins juifs étaient fermés ces jours-là. Tout le monde allait aux offices dans des plus beaux vêtements et aux grandes solennités (Rosh-Hashana et Kippour les hommes venaient en redingote et chapeau haut de forme, pour revêtir d'ailleurs, tous, leur sarguenes (20q) une fois entrés à la choule. Nos voisins chrétiens étaient bien au courant de ces fêtes et n'étaient nullement choqués de voir à Soukoth les Juifs se promener avec loulav (21) et etrog (1). chaque baalboos (22) avait le sien. Ah ! comme il était parfumé cet etrog qui venait de si loin soigneusement emballé dans son cocon de chanvre. Avec mon père nous allions au bord de la Moder couper les rameaux de saule qui avec la myrte devaient garnir rituellement le loulav. Mais je dois dire que les soukas (2") étaient rares. La seule à ma souvenance était celle du père Weiler, notre brave baal-Tephila (24) et baal-tekiah (25) auquel nous rendions visite tous les ans. A Simhat-Torah à la sortie des sepharim (26), les enfants avaient le privilège de porter le Haphtora-seiferle, petit rouleau dans lequel on ne lisait d'ailleurs jamais la Haphtara (27) et qui était enfermé dans une armoire à côté de l'Aron-hakodesch (4). La jeunesse juive de Pf. organisait fréquemment des bals de Simhat-Torah qui attiraient toujours beaucoup de monde et qui avaient, je m'en souviens, une très belle tenue.

Pessah était pour nous, enfants, une fête beaucoup plus importante. Il y avait d'abord tout le remue-ménage de la Pessah-putz (28) : "Kaum isch die Meguile gelese, greffe die Waiwer nach Schaufel un Bese"! " (29) il fallait brije (ébouillanter) certains ustensiles ; d'autres, il fallait les glije (chauffer au rouge). Longtemps auparavant, un Schnorrer était venu pour prendre la commande des matzoth. Dès leur arrivée celles-ci étaient stockées dans une pièce où on n'allait jamais, tandis que tout ce qui était hometzdig (30) partait à la Rumpelkammer (31) et que la vaisselle de Pessah était descendue et nettoyée. Comme je regrette que nous n'ayons pu sauver cette vaisselle pendant la guerre, car il y avait là des plats et des terrines qui avaient servi à des générations et qui seraient maintenant de véritables pièces de musée. Je pense en particulier au fameux pot à lait avec lequel nous allions chez le père Klein, le fermier de la "Vorstadt", qui trayait directement pour nous le lait du pis de la vache dans notre pot.

Mon père donnait le Seder avec beaucoup de solennité et sans omettre quoi que ce soit ; mais les discussions qui font partie de la tradition, et auxquelles les enfants qui vont actuellement au Talmud-Torah (32) se préparent, étaient absentes. Nous, nous attendions plutôt le 'haroseth (33) et surtout le moment de cacher l'afikomen (34). Cependant, nous participions activement aux chants populaires et le Had-Gadioh (35) avait notre faveur avec son implacable morale : "Gott richt et Welt und Wesen, die Guten wie die Bösen" (36). La distribution des Matzes à nos voisins et amis non-juifs faisait partie de la tradition. A Pessah aussi, comme tous les shabath après-midi, beaucoup de balbattem (22) allaient au café chez Schiellein, près du pont de la Walck, où l'on jouait aux cartes ou au billard. Pour la circonstance, la mère Schillein achetait du café et du sucre jonteftig (37) !

On voit que les chrétiens connaissaient bien nos mœurs et nos traditions. Ils avaient cependant des lacunes. Ainsi notre voisin, le forgeron, vieux célibataire dont l'intempérance était notoire demanda un jour à mon père :
- Ja wie isch's Armand, am lange Daa (Kippour) derfen'er do au nix trinke ? (Oui, comment c’est, Armand, le long jour (Kippour) là non plus vous ne pouvez rien boire ?)
Et mon père pour se moquer, lui dit :
- Ja doch, trinke kannsch so viel wie de witt. (Mais si, toi tu peux boire autant que tu veux.)
Et notre Schmitt Jokel de lui répondre :
- Jo, dess isch nix, do hab isch oft langer Daa !!! (Allez, ça c’est rien, un long jour comme cela j’ai souvent !!!)

le Guissef (fontaine pour l'ablution des mains)
Le vendredi ou plutôt le samedi soir précédant un jontef (19) on vendait aux enchères les mitzwes (12). C'était chaque fois l'occasion d'un énorme brouhaha et souvent source de disputes violentes et même d'empoignades. Seuls le Leime et Achille Revel n'avaient jamais de problèmes : l'un était le seul Cohen et l'autre le seul Lévy de la Kehilla. Les enchères n'étaient pas poussées très loin. On commençait par une mise à prix de 5 francs pour les mitzwes importantes et les enchères dépassaient rarement 25 francs.

Quand un des membres de la Communauté avait Jahrzeit (38) il le faisait proclamer le vendredi soir précédent ; un office avait alors lieu le soir et le matin soit à la Choule, soit au domicile de l'intéressé. Parfois un mynian était difficile à réunir étant donné les inimitiés qui régnaient entre les uns et les autres. Ces inimitiés qui remontaient souvent à des générations étaient fidèlement transmises comme un héritage, et quand deux frères étaient brauges (fâchés) il n'était pas question que l'on se parle entre cousins ! Mais il y avait souvent de brusques réconciliations qui aboutissaient à de surprenants renversements d'alliance. Ces querelles intestines ne sortaient que rarement du cadre étroit de la Kehilla. Il arrivait cependant que cela finisse par un procès.

Mon père racontait l'histoire d'une telle affaire où, un vendredi soir, le clan des uns était allé investir la maison d'un membre du clan rival ; Pour se défendre contre les envahisseurs un des assiégés ne trouva rien de mieux que le kugel tout chaud pour le lancer contre ses adversaires. L'affaire aboutit au tribunal, où le juge interrogeant un des protagonistes du pugilat eut à connaître "l'arme du crime" :
- Er hat mir ein kugel entgegen geworfen (Il m’a lancé un Kugel (39).
Comme le juge ne connaît le mot kugel qu'au féminin, il demande : "
- Na, was war das für eine kugel ? (Et bien, qu’est-ce que c’était comme genre de boule ?)
Et le prévenu de lui répondre : "
- Herr Richter, ich will's eich grad sawe, a kugel isch wie a chalet (40) ; a chalet isch gemacht mit Wissbrot un Eier… ( Monsieur le juge, je veux juste vous le dire, un kugel c’est comme un chalet : un chalet est fait avec du pain blanc et des œufs).
- Schon gut, schon gut (c'est bien, c'est bien), l'interrompit le juge, voyant qu'il s'agissait d'une spécialité culinaire et non d'une arme balistique !

Les 'hazanim (11) de Pf., je dois avouer, ne m'ont pas laissé une très forte impression ni de leur art vocal, ni par la science talmudique qu'ils étaient censés nous dispenser pendant certains lernen (41). Quant à l'instruction religieuse qui nous était donnée par le rabbin Gugenheim de Bouxwiller, elle restait elle aussi assez rudimentaire. Je n'en accuse pas le vénérable vieillard dont le savoir était très grand ; notre curiosité intellectuelle n'était peut-être pas suffisante. Toujours est-il que l'Histoire Sainte qu'on nous enseignait était au niveau du "Pschat" (42) le plus absolu. Jamais un mot sur les prophètes ou sur les grands Gaonim (43) du Talmud. Notre rabbin a bien essayé de nous faire un peu de grammaire, mais là encore je crois que nous ne sommes pas allés au-delà du mot סוס (cheval).
Il semble qu'il en était tout autrement au siècle dernier comme en témoigne le certificat du rabbin Netter en 1893 attestant que les connaissances de l'élève Armand Haarscher - mon père - étaient "im grossen ganzen genü-gend" - "somme toute suffisantes" pour passer sa bar-mitzwa (44) mais qu'il devait se hâter de combler ses lacunes !

Relations avec les non-juifs

Je sais bien qu'on a tendance à occulter les souvenirs désagréables avec les années, mais je crois pouvoir dire qu'à Pf. nous n'avions guère à souffrir de l'antisémitisme. Notre famille qui faisait partie des trois plus anciennes de la Kehilla, était parfaitement intégrée et a toujours participé à la vie de la cité. Mon père, par exemple, était conseiller municipal, administrateur de la Caisse d'Epargne, secrétaire du Souvenir Français et ... chef du corps des Sapeurs-Pompiers ! Je sais que lorsqu'il y avait un dîner officiel, on veillait soigneusement à ce qu'une cacherouth (8) minimale soit respectée afin de permettre à un juif d'y participer.

A l'école les petits juifs allaient avec les protestants et c'étaient les catholiques - fortement minoritaires - qui étaient dans une classe à part. De ce fait, les contacts entre enfants juifs et protestants étaient constants et cordiaux, alors que les catholiques étaient frappés d'un certain ostracisme. Néanmoins, encore aujourd'hui, ce sinistre refrain tinte à mes oreilles :

Judd, Judd
Sch… in d'Dutt
Mach a gueti Mälsupp
Machse nit so volt
Schonscht greisch a Protocoll
Juif, Juif
Sch… dans un cornet
Fais une bonne soupe de farine
Ne le remplis pas complètement
Sinon tu auras un procès verbal
Cependant entre les années 1936 et 1939, avec la montée du fascisme en Europe, le Front Populaire en France et la diffusion d'une presse violemment antisémite, est né un antisémitisme politique qui n'avait rien à voir avec l'anti-judaïsme traditionnel. Ainsi aux dernières élections municipales avant la guerre, un tract avait été imprimé contre la candidature de mon père dont le titre était : "Wählt kein Palestianer !" - "Ne votez pas pour un Palestinien !" (Yasser Arafat serait certainement surpris d'apprendre que les Juifs de la Gola sont, eux aussi, des Palestiniens en exil !).

Le sionisme

Paradoxalement le sionisme et l'intérêt pour cette Palestine ne semblaient pas, du temps de ma jeunesse, avoir un grand impact sur les Juifs de notre Kehilla, bien que le fameux tronc bleu et blanc du KKL fût déposé dans chaque famille. Le mot sionisme m'était totalement étranger comme il devait l'être à la plupart de mes coreligionnaires. Cela ne les empêchait peut-être pas de contribuer de temps en temps à cette collecte. J'ai d'ailleurs trouvé dans les papiers de mon grand-père, une lettre du rabbin Weill de Bouxwiller datée de 1899, qui mérite d'être citée :

Buchsweiller
פרשת פרה 1899
Geehrter Herr Haarscher,
In ישראל ist eine Besorgniss erregende Hungersnot ausgebrochen. Die Mehispeisen sind um 60 % gestiegen. Unsere arme Brüder im Heiligen Lande leiden unter diesen Verhätnissen schwer und es ist für uns eine heilige Pflicht wenigstens dafür zo sorgen dass sie מצות mit על פסח הבא versorgt werden können.
Wollen Sie so freundlich sein Ihre Gemeindemitglieder durch vorlesen dieses Briefes auf diese Notlage aufmerksam zu machen, und dann im Laufe der Woche eine Sammelung zu veranstalten.
lch bitte dringend dem Hilf-schrei unserer Brüder ein williges Ja zu schenken und Herz und Hand zu oeffnen.
Mit freundlichen Grüssen, und
גוט שבת
D.E. Weill, Rabb.
Cher Monsieur Haarscher,
Il s'est produit une disette préoccupante en Israël. Les prix des farineux ont augmenté de 60 %. Nos pauvres frères en terre sainte souffrent de cette situation difficile et c'est pour nous un devoir sacré que de leur assurer un approvisionnement en matzoth.
Voulez-vous avoir la gentillesse de lire cette lettre aux membres de votre communauté pour les rendre attentifs à ce problème et d'organiser une collecte au cours de la semaine.
Je vous prie instamment de répondre à cet appel au secours de nos frères par un oui plein de bonne volonté et d'ouvrir vos cœurs et vos mains.
Amicalement et bon Shabath.

Déclin de la communauté de Pfaffenhoffen

La dernière guerre est venue mettre un terme à cette vie juive qui, si elle n'était pas très intense, avait néanmoins ce parfum traditionaliste des Kehiloth alsaciennes. J'ai raconté il y a quelques années des Moschelich (45) qui avaient trait à certains membres de la communauté d'alors (j).

Pf. a payé son tribut à la déportation dont une vingtaine de personnes ne sont pas revenues. Deux familles juives vivent encore à Pf. Il reste aussi la synagogue qui par miracle n'a pas été profanée, ni démolie. Mon frère s'y est marié en 1956 et c'est la dernière cérémonie qui y a eu lieu. Elle est en bon état et moyennant quelques arrangements pourrait devenir - pourquoi pas - un musée de l'Imagerie Juive à côté du musée de l'Imagerie Populaire de la petite cité.

André-Marc HAARSCHER

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