Hégenheim marque frontière avec Bâle et était, du 17e au 20e siècle, siège d'une grande communauté juive. Aux alentours d'Hégenheim existaient également d'autres communautés : Hagenthal, Buschwiller, Blotzheim, Uffheim, Sierentz, Kembs et Huningue. La présence juive au pays des trois frontières (Alsace, Suisse et Pays de Bade) est attestée par nos plus anciennes archives datées du 12e siècle. Une stèle de l'antique cimetière juif de Bâle Ze Spalon (Spalen) porte la date en hébreu 4863 (1104 de notre ère).
L'empire romain
La montée en puissance des Romains débute vers l'an 800 avant notre ère. Le puissant empire romain comprenait l'Afrique du nord, l'Egypte, la Syrie, la Judée, l'Asie Mineure, le Balkan, la Grèce, l'Italie, l'Espagne, la Gaule, la Germanie supérieure et inférieure, la Grande Bretagne, ainsi que les îles de la Méditerranée.
Les Juifs refusaient d'adopter la religion d'état des Romains, car elle leur défendait la circoncision, la célébration du Shabath, le respect des lois alimentaires et l'enseignement des érudits juifs. De l'an 67 à l'an 70 de notre ère, eut lieu une révolte des Juifs à l'encontre de la mauvaise gestion du gouvernement romain. Or, face à la puissance numérique des Romains, elle fut vouée à l'échec. L'armée de Titus conquit Jérusalem et incendia le temple. Un immense malheur s'abat sur la petite Judée. Les Juifs sont capturés, assassinés, crucifiés par centaine, mis en esclavage, vendus sur les marchés d'Alexandrie, ou ils meurent de faim dans les cachots. Dans l'arène de Rome et dans les cirques, ils doivent combattre - en tant que gladiateurs l'un contre l'autre ou contre les bêtes sauvages. Les Romains adoraient les jeux sanguinaires. Le peuple sans défense était privé de sa patrie. À partir de là, les saintes écritures font fonction de patrie du peuple juif.
"Et l'Etemel vous dispersera parmi toutes les nations et il ne restera de vous qu'un petit nombre parmi les païens..." (Deutéronome 4:27).
Le peu de survivants s'installe dans le bassin méditerranéen. Jérusalem devient une ville païenne dénommée Aelia Capitolina.
Au fil du temps, la situation des Juifs de la diaspora s'améliore et ils viennent avec les Romains dans la Vallée du Rhin. Ils pratiquent le petit commerce ambulant, celui du bétail ainsi que le prêt de l'argent. Au moyen-âge, ils sont placés sous la protection des rois et seigneurs, moyennant finances. Sur la rive droite du Rhin, ils fondent de grandes communautés : à Cologne, Mayence, Worms, Spire, ainsi qu'à Trèves sur la Meuse et à Ratisbonne sur le Danube. À Cologne (Colonia Agrippinensis) on a mis au jour une pierre commémorative avec la gravure du décret de l'empereur Constantin, qui stipule qu'à partir du 11 décembre 321, les Juifs sont sur le même plan d'égalité que les Romains.
La peste
Au 14e siècle, lorsque la peste sévit en Europe, les Juifs sont accusés d'avoir empoisonné les puits. À Bâle, sont accusés Isak de Pfirt (Ferrette), Snurli de Hasenburg (Asuel), Jöfferli d'Ensisheim et Salman Trutlin d'Atkirch. Le 16 janvier 1349, environ 400 Juifs sont décimés par le feu, sans jugement, sur un îlot du Rhin, dans une baraque spécialement conçue pour l'autodafé. Un mémoire juif commente le massacre comme suit : "Que D. se souvienne des saintes victimes de la communauté de Bâle et de ses environs, massacrées et brûlées vives".
La noblesse était très endettée auprès des Juifs et n'avaient aucune objection à ce que les avoirs et les droits de gages des Juifs soient radiés. Au 13e siècle, lorsque l'évêque de Bâle avait eu besoin de moyens financiers pour la construction du pont sur le Rhin et de la nouvelle construction de la cathédrale, il avait donné en gage le trésor de la cathédrale aux Juifs.
Le 30 janvier 1349, les massacres continuent à Fribourg en Brisgau, puis le 14 février à Strasbourg, puis à Colmar, Benfeld, Mulhouse, Sélestat, Obernai, Francfort et à Cologne. À Spire et à Worms, les Juifs se réunissent dans une maison et s'immolent par le feu. Du Bassin méditerranéen jusqu'en Alsace et vers l'Allemagne, ils sont poursuivis, assommés, noyés, enterrés vivants ou périssent sur les bûchers (sauf à Avignon où ils sont placés sous la protection du Pape Clément VI).
350 communautés juives sont décimées, la reconnaissance de dettes envers les Juifs devient caduque, les biens mobiliers et immobiliers sont partagés, les stèles des cimetières utilisées ailleurs.
Le village juif d'Hégenheim
Après la peste et l'expulsion de Bâle, les Juifs cherchent refuge au Sundgau et au Pays de Bade. Les nobles d'Eptingen, de Bärenfels et de Reichenstein, leur accordent la protection moyennant finances. Au 17e siècle, les Juifs sont bannis des villages d'Allschwil, d'Oberwil et de Schönenbuch (Bâle-Campagne). Eux aussi cherchent refuge dans le Sundgau et dans la seigneurie de Rötteln au Pays de Bade.
Le 9 janvier Hannibal de Baerenfels vend aux Juifs un terrain en dehors du village d'Hégenheim, en direction de Hagenthal. La situation du terrain près du ruisseau Lertzbach, a été choisie pour la création du cimetière, l'eau du ruisseau servant à la purification des défunts. La proximité de Bâle et de Bâle-Campagne, ainsi que les endroits de la rive droite du Rhin étaient propice aux activités professionnelles. La petite colonie juive d'Hégenheim se développa rapidement pour former une communauté avec une infrastructure. Outre le cimetière, il y avait une synagogue, un rabbinat, un mikwe (bain rituel) et une maison de retraite. Un peu à l'écart, sur les hauteurs, entre Hégenheim, Hagenthal et Buschwiller, une yeshiva (école talmudique).
Cinq rabbins ont exercés leurs fonctions à Hégenheim : Moses David Günzburger, Pinchas Hirsch, Arnaud Aron, Moses Nordmann et Dr. Salomon Schüler. À partir de 1907, le Dr. Salomon Schüler est rabbin à St Louis où il décède en 1938. Les rabbins d'Hégenheim avaient également des contrats de service avec la communauté de Bâle.
Lee rabbin Nordmann bénéficiait d'un statut particulier et exerça ses fonctions de 1830 jusqu'à son décès en avril 1884. Rabbin Moïse Nordmann a fréquenté des établissements d'enseignement supérieur en France et en Allemagne notamment à Nancy, Würzburg et à Heidelberg. Avant sa nomination, il était précepteur à Kirchen (Bade). Lui et son épouse Gütele Bloch, originaire d'Efringen/Bade étaient les parents de neuf enfants. Moses Nordmann était un rabbin de tendance libérale qui exerçait ses fonctions également à Bâle, ainsi qu'à Berne, Avenches et La Chaux de Fonds en Suisse. Aux archives d'état se trouve le protocole du petit Conseil de Bâle, daté de 1872, fol.55 qui stipule : "il tenait annuellement deux sermons dans notre synagogue et célébra des mariages." De la communauté de Bâle il touchait un revenu annuel de 300 Fr. plus des taxes, et pour chaque cérémonie nuptiale 20 Fr. même si d'autres rabbins célébraient le mariage.
Moses Nordmann a créé en 1836, une Société pour le développement et l'encouragement de l'agriculture juive. Il s'est engagé avec ferveur pour l'émancipation des Juifs en Suisse. Suite au pogrom (Judenrumpel) de 1848 au Sundgau, il prend position auprès du monde de la politique et des médias.
Après son décès, le Rabbinat reste sans guide spirituel durant quatorze ans. Le bâtiment de l'asile israélite, du Rabbinat, tout comme celui de l'ancienne synagogue sont affectés à d'autres usages.
La synagogue, inaugurée le 21.9.1821, remplaçait la première datée vers 1740, laquelle fut pillée et incendiée. Le Rabbinat fut transféré à St Louis en 1906/07 où l'on avait érigée une nouvelle synagogue. La yeshiva a été déplacée au milieu du 20e siècle à St Louis. Le cimetière israélite à Hégenheim est toujours en fonction. Malheureusement, dans la dernière décennie, la partie historique n'est plus entretenue.
Les périodes difficiles
Notre civilisation repose sur les dix commandements que Moïse nous a transmis, (le 5e commandement ordonne : "tu ne dois point tuer") et les valeurs éthiques du judaïsme. Or, en dépit de ces faits, l'antisémitisme reste omniprésent, aussi au Sundgau. De fait, les Juifs du Sundgau ont connu des périodes difficiles.
Le 25 août 1789, débute la révolte des paysans lors de laquelle les Juifs sont malmenés, poursuivis, pillés et leurs maisons saccagées. Cinquante juifs trouvent refuge à Mulhouse et 708 à Bâle. Mais les meneurs ont été punis selon la gravité de leurs faits. Ainsi, Johann Birgi et Fridolin Pfister sont condamnés à la pendaison, Sébastien Zuger à trois années de galère et Johann North à six mois de prison.
Il s'ensuit deux autres pogroms en 1830-32 et en 1848.
Depuis l'ère de Titus, empereur des Romains, les pogroms se répètent. Ceux en Russie et en Pologne étaient particulièrement barbares.
La Chrétienté, issue du judaïsme a largement contribué au malheur des Juifs. Le chef suprême de l'Eglise catholique romaine, le Pape Jean XXIII, a rédigé le 3 juin 1963, peu avant son décès, une prière de pénitence :"Nous reconnaissons à présent que durant des siècles nous étions aveuglés, de sorte que nous n'avons plus reconnu la beauté de ton peuple élu, ni dans son visage les traits de notre frère aîné. Nous reconnaissons que le signe de Caïn marque notre front. Des siècles durant, Abel était couché à terre en larmes et en sang, parce que nous avons oublié ton affection. Pardonne-nous la malédiction que nous avons prononcé à tort à l'égard des Juifs. Pardonne-nous de t'avoir crucifié une seconde fois dans leur chair, parce que nous étions inconscients." Ce pape, un simple fils de paysans de Bergame en Lombardie, a été le premier à accomplir son devoir, car toutes les religions chrétiennes tirent leurs racines du vieux tronc du judaïsme.
Les Communautés soeurs du Margraviat
Le village juif d'Hégenheim, pratiquait un contact régulier avec ses frères et sœurs de la rive droite du Rhin. Le Margrave Friedrich était bien intentionné à l'égard des Juifs, car ils animaient le commerce, les marchés hebdomadaires et payaient des taxes pour leur protection. Mais, ce patronage n'était pas une garantie éternelle pour se fixer à un endroit et les montants des frais de douane, impôts et d'autres taxes étaient à l'origine de la paupérisation de la population juive rurale. Beaucoup d'entre eux parcouraient le pays et n'avaient pas de domicile fixe. De surcroît, l'antisémitisme latent ou virulent était omniprésent. Jusqu'au 20e siècle, l'environnement rural reprochait aux Juifs le crime contre Jésus de Nazareth. Les chrétiens adressent leurs prières à Jésus et Marie - un juif et une juive - sans se poser des questions. Encore de nos jours, ils vont en pèlerinage sur le tombeau du Christ et prient devant une tombe vide.
Parallèlement à l'achat d'un terrain à Hégenheim, Nathan Ullmann achète au Schädelberg à Lörrach, un terrain, servant de sépulture pour son fils décédé. Ce terrain se développa pour former le cimetière central de la seigneurie de Rötteln. Jusqu'en 1850, les Juifs y enterraient leurs défunts.
Hirz Bloch était le premier Juif ayant élu domicile à Kirchen. Il est immigré en provenance de Dornach, canton de Soleure. Egalement du Sundgau, sont immigrés au Pays de Bade des Juifs : de Blotzheim, Niedersept, Sierenz et Durmenach .
La communauté juive de Mullheim a été créée ver l'an 1720. Jusqu'en 1850, ils enterraient leurs défunts sur le vieux cimetière à Sulzburg. Cet ancien village juif, au Pays du Margrave, entouré de forêts, de prés et de vignobles, se trouve à une cinquantaine de Km de Bâle. Cette petite ville résidendentielle des Margraves, avec son église conventuelle St Cyriak, son musée des mines, sa piscine alimentée par l'eau de souce, abrite encore de nos jours un des plus anciens cimetières israélites du Pays de Bade mentionné une première fois en 1643, ainsi qu'une jolie synagogue. En l'an 1546, Margrave Ernst de Bade permet aux Juifs de Sulzburg, lesquels sont propriétaires de sept maisons jusqu'à nouvel ordre et qui paient le droit de protection de 40 Gulden et "24 aunes de velours de bonne qualité ou de damas" de construire une synagogue et d'engager un chantre ou un maître d'école.
Lors de la Guerre de Trente Ans et jusqu'en 1717, les Juifs n'étaient plus tolérés au Pays de Bade. Après quoi, la vie normale continua à Sulzburg. Une décennie plus tard, la petite ville de Sulzburg devint le siège du Rabbinat de Bade. Lei Rabbin en exercice était David Kahn originaire de Ribeauvillé en Alsace, la relève fut prise par son fils Isaak Kahn un érudit du Talmud, Abraham Weil lui succéda et finalement Emmanuel Dreyfuss.
La Foire de Zurzach en Argovie au lir siècle
Deux fois par an, à la Pentecôte et le jour de sainte Véronique, les Juifs se rencontraient à la Foire. Ils venaient d'Argovie, du Brisgau, de Bade, de l'Alsace, de la contrée de Souabe, de Franconie de Francfort de Hambourg de Prague de la Lorraine, et même d'Amsterdam et de Francfort. Ils payaient le péage corporel et étaient bien vus, car ils animaient le commerce et remplissaient les caisses d'état. Le péage corporel était divisé par trois : à l'évêché de Constance, au duché de Bade et à la ville de Zurzach. La plupart des commerçants juifs étaient de condition modeste. On ne pratiquait pas le négoce de l'or ou des pierres précieuses ou le prêt de l'argent, mais plutôt du bric à brac, de sorte que le niveau de la foire baissait chaque année.
L'Emancipation
Avec l'émancipation (en France 1791, en Allemagne 1871), le peuple juif a fortement contribué et dans tous les domaines - économie, culture, musique, science, affaires bancaires, industrie, médecine, éducation et politique - à l'évolution de l'humanité. Au 19e et au 20e siècle les Juifs ont connu honneur et splendeur, puis le déclin et l'extermination. Six millions de Juifs n'ont pas survécu à la période nazie. La plupart d'entre eux n'ont pas de sépulture. Ils sont dans une fosse commune ou au ciel.
Malheureusement, l'antisémitisme reste omniprésent. Serait-ce possible qu'il soit inscrit dans l'ADN en Europe ? Le 22 octobre 1940, les Juifs de Bade sont déportés à Gurs dans les Pyrénées (sud de la France). À partir de 1941, il n'y a plus de Juifs au Pays de Bade ni en Alsace. Durant la période barbare nazie, 2/3 des Juifs d'Europe ont été assassinés. Le judaïsme rural de la rive gauche et de la rive droite du Rhin est effacé. Ce qui nous reste sont les souvenirs.
Mais depuis 1948, les Juifs sont de retour en Allemagne (de l'Est et de l'Ouest). En 1961, on dénombre 25 000 personnes qui se divise en trois groupes : des Juifs allemands cachés durant la guerre, des survivants juifs des pays de l'Est, et des Juifs qui sont revenus de l'étranger ou d'Israël. À cette époque, le degré d'instruction et de culture était modeste, il manquait l'intelligentsia.
La vie juive au 21e siècle
La vie juive - aujourd'hui citadine -, continue en Alsace tout comme au pays de Bade. À St Louis, à trois km d'Hégenheim, existe une communauté juive avec une infrastructure intacte et une yeshiva , et la nouvelle communauté juive de Lörrach est en fonction depuis 1995.
Le cimetière d'Hégenheim est toujours en fonction pour les résidents juifs de la contrée. Il possède un caractère international, puisque les défunts sont originaires d'Autriche, de la Belgique, de la Suisse, de l'Allemagne, de la Grande Bretagne, du Maroc, des Pays Bas, de la Pologne, de la Russie, de l'ancienne Union soviétique, de l'Ukraine et des Etats-Unis. Non loin de l'oratoire se trouve un monument imposant.II maintient la mémoire des 45 martyrs de la Shoah.
La vie du "Stetl", nous rappelle à Sulzburg, le cimetière bien entretenu au lieu dit : "le lieu de sépultures à l'arrière de la petite ville, prés de la mine de minerai". Une pierre commémorative porte cette inscription : "Aux victimes des persécutions de 1933-1945, et à la mémoire des Juifs de Sulzburg et Staufen, qui sans défense ont été abandonnés et sont morts pour leur foi. Érigé le trentième jour anniversaire de l'anéantissement de leur vénérable et pieuse communauté- 1970. L'étoile dorée de David au portail du cimetière "Beth Olam" mentionne "Étend sur nous le manteau de ta paix"
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