HISTOIRE DES JUIFS DE STRASBOURG
Grand Rabbin Max Warschawski

LES JUIFS DE STRASBOURG A PARTIR DE LA REVOLUTION

Sur les insistances de Cerf-Berr et de quelques Juifs bordelais, une commission avait été constituée sous la présidence de Malesherbes, afin d'étudier les mesures susceptibles d'améliorer la condition de la population juive. Mais les événementsde 1789 interrompirent ses travaux.

Les Juifs, qui participaient pourtant largement au paiement des impôts comme tous les habitants de la France, n’avaient pas été autorisés à prendre part à l’élection des députés aux Etats Généraux,et n'avaient pu exposer leurs doléances dans les cahiers de leurs circonscriptions. Ils rédigèrent cependant une sorte de mémoire contenant leurs désirs et le présentèrent par l'intermédiaire d’un député favorable à leur cause. Parmi les réformes qu’ils souhaitaient voir adopter, figuraient entre autres le droit de choisir librement leur résidence et leur profession. La plupart des villes d’Alsace avaient érigé, au contraire, un renforcement de la législation anti-juive et les cahiers de Strasbourg demandaient une fois de plus l’expulsion de la famille Cerf-Berr (19).

Fin du bannissement

Il est inutile de revenir sur les débats passionnés que la question juive souleva à l’Assemblée Constituante. L’attitude de la population strasbourgeoise durant les quatre siècles qui avaient précédé la Révolution, explique l’opposition des députés alsaciens à toute réhabilitation des Juifs. Mais le courant libéral était trop puissant et, après des renvois successifs, les Juifs obtinrent enfin gain de cause. Par le décret du 27 septembre 1791, ils furent déclarés citoyens actifs et toutes les mesures discriminatives furent supprimées. Ce n'est qu'alors que les Juifs purent revenir à Strasbourg, et qu’une nouvelle communauté prit naissance.

A peine installés dans la ville, les Juifs furent en proie aux difficultés suscitées par la Terreur ; ils furent cependant relativement peu inquiétés, et la communauté s’agrandit rapidement. Cerf-Berr semble avoir été arrêté quelque temps pour royalisme ; il mourut en 1794. Son fils, Marx Cerf- Berr fut probablement le premier juif de Strasbourg à être admis dans la Garde Nationale et à faire partie de la Société des Amis de la Constitution.

La communauté choisit pour premier rabbin officiel, un beau-frère de Cerf-Berr, David Sinzheim, qui avait enseigné auparavant à l’école talmudique de Bischheim, et qui avait fui outre-Rhin lors des persécutions anti-religieuses de la Terreur.

Les Juifs avaient pour ainsi dire forcé la main auxautorités strasbourgeoises en revenant dans la ville. Le ressentiment de la population a leur égard n’avaitpas disparu, mais il n’avait pu s’exprimer durant la période révolutionnaire. L’avènement de l’Empire et le retour de certains émigrés, favorisa le renouveau de l'antisémitisme.

L'assemblée des Notables juifs et le Grand Sanhédrîn

Pendant son séjour à Strasbourg, lors de son retour de la bataille d'Austerlitz, Napoléon fut saisi de plaintes violentes contre les Juifs, de la part des autorités municipales. On les accusait de ruiner l’Alsace par leur usure, de se soustraire au service militaire, en un mot, de ne pas s'être assimilés à leurs concitoyens et de continuer à vivre comme par le passé.

Une campagne de presse, ouverte à Paris peu de temps après, amena Napoléon à examiner une fois de plus la question juive. Résolu à corriger les Juifs, fût-ce par la force, mais ignorant tout du judaïsme, Napoléon, après avoir illégalement suspendu pour une durée d’un an le paiement des dettes des agriculteurs envers les Juifs de l'Est (30 mai 1806), convoqua à Paris une assemblée de Notables, dont les membres étaient choisis parmi les Juifs les plus considérés et les plus éclairés de chaque département. Strasbourg y fut représentée par Abraham Piccard, Auguste Ratisbonne, David Sinzheim, Cerf Salomon, Daniel Lévy, Israël Rhens et Ruesse Picard (juillet 1806) (20).

Cette assemblée dut répondre à douze questions posées par trois commissaires impériaux et relatives au culte et aux coutumes juives, ainsi qu'à leurs rapports avec leurs concitoyens d’autres confessions. Les Notables se tirèrent admirablement de cette tâche, et les réponses qu’ils donnèrent à ces questions parfois épineuses, obtinrent la satisfaction de l’Empereur.

Cependant Napoléon voulut transformer ces réponses en décisions doctrinales, liant tous les Juifs. Il convoqua dans ce but, en février 1807, un «Grand Sanhédrîn» de 71 membres, dont les deux tiers étaient des rabbins et le dernier tiers des laïcs choisis parmi les membres de l’Assemblée des Notables.

D. Sinzheim
Réuni en grande pompe à Paris, le Sanhédrîn nomma comme président le Rabbin de Strasbourg, David Sinzheim. Il ne fit d’ailleurs qu’approuver les décisions de la première assemblée. Quelques mois plus tard, le Sanhédrîn fut dissout.

Statut d'exception pour les Juifs d’Alsace

Ces consultations de Napoléon aboutirent au décret du 17 mars 1808, qui réglementait le culte juif en France, mais rejetait les Juifs d’Alsace dans une situation d’exception. Il exigeait une autorisation préfectorale pour les Juifs des départements du Rhin qui voulaient ouvrir un commerce, restreignait les prêts et interdisait le droit de résider dans un nouveau département à tout Juif non cultivateur. Aucun conscrit juif ne pouvait se faire remplacer au service militaire, si ce n’était par un coreligionnaire. Toutes ces mesures tendaient à «régénérer» la population israélite des départements de l’Est, et elles étaient prévues pour une période de dix ans.

Napoléon régla en outre le culte juif, en instituant le système consistorial, tel qu’il est encore appliqué dans les départements d’Alsace et de Moselle. Mais les fonctionnaires du culte n’étaient pas rétribués par l’Etat, comme leurs collègues des autres confessions. Il fallut attendre la révolution de 1830 pour voir enfin l’égalité complète des Juifs dans tous les domaines, tant sociaux que religieux.

La communauté juive de Strasbourg

J. Meyer
A. Aron
David Sinzheim avait été nommé grand rabbin du Consistoire central, et avait cédé son poste de Strasbourg à Jacob Meyer, rabbin d’Obernai, qui devint le premier grand rabbin du Consistoire du Bas-Rhin et dont le souvenir resta longtemps vivace à Strasbourg.

Une synagogue fut ouverte rue des Drapiers; mais elle s’avéra bientôt trop exigüe devant la population juive toujours croissante. La communauté fit alors construire le temple de la rue Sainte-Hélène, remplacé, en 1899, par la synagogue du quai Kléber. Arnaud Aron avait entre temps succédé à Jacob Meyer, et il occupa le siège rabbinique pendant près de 50 ans. De nombreuses oeuvres furent fondées, dont la plupart existent encore de nos jours.

L’occupation allemande de 1870, entraîna un certain nombre de départs vers l’intérieur de la France. La communauté avait bien changé depuis un siècle. Le souvenir de la Révolution française et l’émancipation avaient fait oublier aux Juifs les malheurs passés et avait créé dans leur coeur un amour profond pour la France. Ce n’étaient plus des fripiers et des usuriers, mais une population émancipée, présente dans tous les domaines de la vie sociale qui attendait l’effondrement du régime allemand.

Auraient-ils songé, les Juifs de Strasbourg, que vingt ans à peine après avoir accueilli dans la liesse les troupes françaises, leur synagogue serait rasée, leurs oeuvres anéanties, et que tant des leurs vivraient une période pire que toutes celles que ces quelques pages ont essayé de dépeindre ?

APPENDICE :
LA SECONDE GUERRE MONDIALE ET SES CONSEQUENCES

SOURCES :
La seconde guerre mondiale

Lorsqu'éclata la seconde guerre mondiale (en septembre 1939), la population juive de Strasbourg -environ dix mille personnes- fut évacuée tout entière vers le sud-ouest de la France. Après la capitulation française (juin 1940), la communauté juive réussit a créer des institutions provisoires : elle établit une synagogue et un bureau d'aide sociale à Périgueux, ainsi qu'une synagogue à Limoges.

Le grand rabbin de Strasbourg, René Hirschler, mobilisé en 1939, poursuivit ses fonctions comme rabbin itinérant, et visita les membres de sa communauté, dispersés dans plus de cinquante localités au sud de la Loire.

A Strasbourg, la synagogue du quai Kléber, qui avait été édifiée en 1898, fut incendiée par les Jeunesses hitlériennes le 12 septembre 1940. Les sapeurs pompiers se virent interdire de combattre l'incendie de la synagogue, dont le mobilier et les orgues avaient été déménagés auparavant par les nazis. Ceux-ci détruisirent totalement le bâtiment et effacèrent toute trace de sa structure.

Les Juifs de Strasbourg jouèrent un rôle majeur dans l'action éducative, sociale, sanitaire et dans la résistance. Ils fondèrent des écoles agricoles, et contribuèrent à les insérer dans le cadre du Scoutisme français (Eclaireurs Israélites de France). Sous les auspices de l'O.S.E., ils aidèrent à ouvrir des cliniques et des maisons d'enfants. Ils organisèrent par la suite des transferts d'enfants vers la Suisse ou la Palestine (par l'Espagne), et se joignirent à la Résistance armée.

synagoguesPour avoir pris par à ces activités, les rabbins Hirschler, Robert Brunschwig et Elie Cyper, ainsi que le jeune chef Léo Cohn, furent arrêtés et déportés vers les camps de la mort. Les rabbins Samy Klein et Aron Wolf furent tués au cours d'actions de résistance.

L'après-guerre

Environ dix mille juifs vivaient à Strasbourg avant la seconde guerre mondiale. Ils furent huit mille à y revenir après la Libération. Mille d'entre eux périrent en déportation, et un autre millier décida de s'installer ailleurs.

La synagogue de la Paix a été inaugurée en 1958. Elle comporte un grand centre communautaire, qui a souvent été le lieu de congrès juifs nationaux ou internationaux.

En 1965 on comptait douze mille juifs à Strasbourg (4,5% de la population). Cet accroissement était dû à la croissance naturelle, à l'immigration en provenance de localités alsaciennes plus petites, à l'immigration en provenance d'Europe centrale, et à l'installation de réfugiés et de rapatriés d'Afrique du Nord. Ces groupes ont fondés des oratoires dans plusieurs quartiers de la cité.

La communauté juive de Strasbourg a été l'une des plus actives en Europe après la seconde guerre mondiale. Les institutions créées après 1945 mettent l'accent sur l'éducation juive, contrairement à la tendance qui prévalait avant la guerre. L'université de Strasbourg comporte une chaire d'Etudes juives, qui fut tenue par André Neher.


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