1. Libéralisme des Bourbons. - 2. Persistance des préjugés et vexations. - 3. La première école rabbinique française. - 4. Une vague de conversions. - 5. Le Culte israélite rétribué par l'Etat. - 6. Réorganisation du Culte (25 mai 1844). - 7. Protection des Juifs français au dehors. - 8. Progrès sociaux. - 9. Ecoles primaires et centres d'apprentissage. - 10. Professions manuelles. - 11. Troubles antisémites (1848). - 12. La Révolution de 1848. - 13. Abolition du serment more judaico.
En remontant sur le trône de France, les Bourbons n'apportèrent aucune modification à la situation légale des juifs. La Charte du 4 juin 1814, tout en reconnaissant le Culte catholique comme religion d'Etat, accordait à tous les citoyens une égale liberté et une égale protection pour l'exercice de leur culte. Elle contenait, il est vrai, cette restriction que, seules l'église catholique et "les autres confessions chrétiennes" étaient rémunérées par l'Etat.
Mais les juifs étaient habitués à se voir traiter en parents pauvres. Ce qui les préoccupait bien plus sérieusement, aux premiers temps de la Restauration, c'était la proximité de l'échéance de dix ans prévue par Napoléon pour son "décret infâme" du 17 mars 1808. En Alsace, où les débiteurs des juifs ne tenaient aucunement à revenir au droit commun, qui les aurait obligés à payer leurs dettes, une propagande intense fut déployée en faveur de la prorogation du décret. A l'approche de sa date d'expiration, en 1818, les Conseils Généraux du Haut et du Bas-Rhin adressèrent au gouvernement des Mémoires, dans lesquels ils dénonçaient l'insuffisance des mesures prises par Napoléon en faveur des débiteurs et en réclamaient de plus sévères. L'intervention des Conseils généraux fut appuyée par une violente campagne de presse.
La question fut débattue à la Chambre des Pairs, le 5 février 1818. Le marquis de Lattier, représentant du département de la Drôme, où il n'y avait pas de juifs, y soutint la nécessité de renouveler le décret impérial. Mais l'assemblée se rangea de l'avis du Comte de Lanjuinais, qui s'éleva contre ce décret, dans lequel il dénonça une violation du principe de l'égalité des citoyens devant la Loi. De Lattier étant revenu à la charge, le 26 février, la discussion fut reprise, après renvoi à la Commission, au cours de la séance du 9 mars 1818 et, à la demande du Comte de Boissy d'Anglas et du marquis de Marbois, sa proposition fut repoussée à une très grande majorité. Ainsi la monarchie se montrait plus libérale que l'Empire.
Cela ne veut pas dire que les préjugés aient disparu : Olinde Rodrigues, mathématicien de grande valeur, est écarté de l'Ecole normale supérieure et si Maas et Lévy y sont admis, une fois nantis de leurs diplômes, aucune institution ne consent à leur confier de chaire.
Dans un autre ordre de faits, les deux filles de Moïse Carcassonne, de l'Isle-sur-Sorgue (Vaucluse), âgées respectivement de 18 et de 16 ans, sont baptisées clandestinement par l'aumônier du pensionnat catholique où elles font leurs études. Et toutes les protestations restent sans effet. Les soldats juifs sont obligés d'assister à la messe le dimanche et les jours de fête. Le jour de la Fête-Dieu, les juifs habitant sur le passage de la Procession, sont obligés de pavoiser.
Cependant, le gouvernement royal s'intéresse sérieusement à l'adaptation des israélites au nouvel état de choses. Il se préoccupe, plus particulièrement, de hâter la formation d'un Corps rabbinique de culture française, capable de prêcher en français et en possession d'une instruction générale qui le mette au même niveau que les clergés catholique et protestant, d'une part et, d'autre part, que les nouvelles générations israélites, qui fréquentent les lycées et les universités. Le 21 août 1829, le Ministre de l'Intérieur autorise l'établissement, à Metz, de la première Ecole Centrale rabbinique de France.
Cette création aurait dû se faire plus tôt. Mais elle fut retardée par l'hostilité des ultra-orthodoxes. Ce n'est qu'après neuf années de luttes passionnées que les modernistes finirent par avoir gain de cause. Transférée en 1859, à Paris, où elle prit le nom de Séminaire israélite, cette institution plus que centenaire, qui a repris, en 1906, la désignation d'Ecole rabbinique de France, est encore, à l'heure actuelle, le seul centre d'études théologiques juives fonctionnant dans notre pays. L'Ecole rabbinique fournit des rabbins non seulement à la France et à l'Algérie, mais à certains pays étrangers, tels que la Belgique, la Suisse, l'Egypte, etc... Elle a eu successivement pour directeurs Lion-Mayer Lambert (1830-1837), Mayer Lazard (1837-1866), Jacob Trénel (1856-1890), Joseph Lehmann (1890-1917), Jules Bauer (1919-1931). Son directeur actuel (en 1937) est M. le grand rabbin Maurice Liber, qui est, en même temps, directeur d'Etudes à l'Ecole des Hautes Etudes. Le doyen du corps enseignant est M. le grand rabbin Jacques Kahn, professeur de théologie.
La formation d'un rabbinat moderne répondait à un besoin d'autant
plus urgent que le judaïsme des provinces de l'Est fut ravagé,
dès les premiers temps de l'Emancipation, par une véritable
épidémie de conversions. Les néophytes catholiques provenaient
des familles les plus attachées à la Tradition. Le fils du grand
rabbin Deutz, et son gendre, Drach,
lui-même rabbin et d'une grande érudition, embrassèrent
le catholicisme. Drach entraîna dans sa conversion ses deux filles et
son fils Paul qui écrivit, par la suite, un ouvrage intitulé
Harmonie entre l'Eglise et la Synagogue. Une grande partie des descendants
de Cerf Berr
abjura la foi d'Israël.
L'un d'eux, Marie-Théodore
Ratisbonne, converti en 1826, entra dans les ordres et fonda, en 1842,
l'Ordre de Notre-Dame de Sion, destiné à la conversion des juifs.
Son frère Alphonse-Marie, passé au catholicisme en 1842, fonda
un couvent à Jérusalem. Les Liebermann,
frères et sœurs d'un grand rabbin, entrèrent dans les Missions
et l'un d'eux dirigea la Congrégation du Saint-Esprit. Vers le milieu
du 19ème siècle, et sous l'influence de leur mère, originaire
de Metz, les enfants du grand Crémieux embrassèrent également
le christianisme.
Si l'on avait laissé s'élargir le fossé entre les dirigeants spirituels du judaïsme et leurs "ouailles", si l'on n'avait pas réagi d'une manière quelconque, qui sait jusqu'où ce mouvement de conversions serait allé ?
La formation d'un corps rabbinique de culture française procura un autre avantage au judaïsme français : elle lui permit de resserrer les liens qui l'unissaient, depuis Napoléon, aux pouvoirs publics et, par là, de supprimer la dernière barrière qui séparait l'organisation cultuelle israélite des autres. Le 13 novembre 1830, le Ministre des Cultes, Mérilhou, fit voter, par 211 voix contre 71, une loi autorisant les ministres du Culte israélite à recevoir leur rétribution du Trésor Public. Approuvée à la Chambre des Pairs, le ter février 1831, cette loi fut promulguée le 8 du même mois, avec effet du 1er janvier 1831.
A nouvelle situation, nouvelle législation. Pour fondre en un tout homogène les différentes innovations apportées à l'organisation cultuelle des juifs depuis le Premier Empire, le roi Louis-Philippe publia, le 25 mai 1844, une Ordonnance qui resta, à quelques modifications près (29 août 1862, 12 septembre 1872, 26 janvier 1892), la Charte du judaïsme français jusqu'au vote de la Loi de Séparation des Eglises et de l'Etat (1905).
Cette Ordonnance reprend, en les développant, mais aussi en les démocratisant à l'occasion, les dispositions fondamentales du Règlement organique de Napoléon.
Confirmant la hiérarchie imposée par l'empereur, elle confie la direction du judaïsme de France à un Consistoire Central, siégeant à Paris et composé d'un grand rabbin et d'autant de membres laïcs qu'il y a de Consistoires départementaux. En 1852, il y avait six membres laïcs représentant respectivement Paris, Metz, Strasbourg, Colmar, Nancy, Bordeaux, St-Esprit-les-Bayonne et Marseille. A la veille de la Séparation, il y en avait davantage, car on avait augmenté le nombre des représentants du Consistoire de Paris. Mais il y avait, en tout, neuf Consistoires départementaux : Paris, Bayonne, Besançon, Bordeaux, Epinal, Lille, Lyon, Marseille et Nancy.
Le rôle du grand rabbin est, essentiellement de surveillance religieuse
et d'admonition à l'égard de tous les ministres du culte. Le
Consistoire central ne peut prendre de décision d'ordre religieux sans
son approbation. Le grand rabbin est nommé, sauf approbation du chef
de l'Etat, par le Consistoire central, assisté de délégués
nommés par les électeurs des circonscriptions départementales.
Les véritables administrateurs du Culte israélite sont, par
le fait, les membres laïcs du Consistoire central. Ceux-ci sont élus
par les électeurs consistoriaux pour une durée de huit ans,
avec renouvellement par moitié tous les quatre ans. Leur élection
est soumise à l'agrément du gouvernement.
Le Consistoire central, intermédiaire entre le Gouvernement et les Consistoires départementaux, à la haute surveillance du culte et de la police intérieure des temples. C'est lui qui délivre les diplômes rabbiniques et qui donne son avis sur la nomination des rabbins. Il a droit de censure sur les rabbins et statue sur la révocation des ministres officiants. Le grand rabbin n'a pas le droit de présider le Consistoire.
Les Consistoires départementaux ont l'administration et la police
des temples de leur circonscription et des établissements et des associations
religieuses qui s'y rattachent. Ils nomment les mohelim (péritomistes
ou opérateurs de la circoncision) et les scho'hetim (abatteurs
rituéliques des animaux). Ils font les règlements relatifs au
Culte. Ils instituent, près de chaque temple, un administrateur ou
une commission administrative, agissant sous leur autorité ou sous
leur direction. Chaque Consistoire départemental a un grand rabbin
et six membres laïcs... Le grand rabbin est nommé par le Consistoire
central sur une liste de trois rabbins présentés par le Consistoire
départemental, assisté d'une Commission de délégués
élus.
Chaque consistoire groupe des communautés particulières, ayant
un et, si possible, plusieurs rabbins et un ou plusieurs ministres officiants
(hazanim). Les rabbins communaux sont nommés par le Consistoire
départemental, assisté d'une commission de délégués
élus. Dans les Communautés où il n'y a pas de rabbins,
le gouvernement peut établir, à la place du ministre officiant,
un sous-rabbin, dont les attributions sont un peu plus étendues que
celles du ministre officiant.
Nul ne peut être nommé grand rabbin, rabbin communal ou ministre officiant, s'il n'est français. Pour occuper un poste de rabbin communal, il faut être âgé de 25 ans révolus et être titulaire du diplôme du premier degré ; pour occuper un poste de grand rabbin départemental, il faut être âgé de 30 ans révolus et être titulaire du diplôme du second degré. Le grand rabbin du Consistoire Central, nommé à vie, doit être âgé au minimum de 40 ans révolus.
Nul ministre du Culte israélite ne peut donner aucune instruction
ou explication de la Loi, qui ne soit conforme aux décisions du Grand
Sanhédrin ou à celles des assemblées synodales qui fonctionneraient
dans les mêmes conditions...
Les fonctions de rabbin sont incompatibles avec toute profession industrielle
ou commerciale. Cette incompatibilité ne vise ni les ministres officiants,
ni les sous-rabbins.
Jusqu'au décret du 5 septembre 1870, abolissant le serment politique, les grands rabbins et les rabbins prêtaient, avant leur installation, entre les mains du préfet ou de son délégué, le serment de fidélité institué par la loi du 31 août 1830. Le grand rabbin du Consistoire Central prêtait le même serment entre les mains du ministre des Cultes.
Dispensés du service militaire depuis 1832, les élèves-rabbins et les rabbins subirent, comme les ecclésiastiques des autres cultes, les conséquences. de la loi du 15 juillet 1889, modifiée par la loi de 1902, astreignant tous les citoyens français, sans distinction aucune, au service militaire personnel.
La religion israélite n'a été reconnue comme l'une des religions de l'Etat que parce que ses adeptes étaient considérés comme citoyens au même titre que les autres. Quand certains pays, qui ne sont pas encore gagnés à cette notion d'égalité civique, s'avisent de vouloir appliquer, à des israélites français, les mêmes restrictions qu'aux siens, le gouvernement royal prend leur défense. Le Canton de Bâle (Suisse), avant refusé. en 1835, à un juif alsacien, l'autorisation de s'établir sur son territoire et d'y acquérir des immeubles, Louis-Philippe rompit toutes relations consulaires avec lui.
Malheureusement, quelques années plus tard. quand, en 1841, la ville de Dresde (Saxe) refusa le séjour au juif français Wurmser et quand, en 1845 la Suisse expulsa plusieurs juifs alsaciens, Guizot n'osa pas conseiller au roi la même fermeté.
L'instigateur de la rupture des relations consulaires avec le Canton de Bâle (1835), était l'avocat nîmois Adolphe Crémieux (1796-1880). Sept ans plus tard, Crémieux était élu député et, dès sa réélection, en 1846, il s'affirma comme l'un des chefs de la gauche parlementaire et comme l'un des plus rudes adversaires de Guizot. Il était le second israélite siégeant au Parlement : le premier était Achille Fould, élu en 1834.
Bien avant la Révolution de 1848, les israélites français avaient gravi de nouveaux échelons dans la hiérarchie sociale. Avec Anspach, ils avaient accédé à la magistrature. Armand Halphen avait été agréé comme notaire. Michel Lévy s'était vu confier une chaire de médecine au Val-de-Grâce. En 1836, le compositeur de musique Fromenthal Halévy, l'auteur de la Juive, avait franchi le seuil de l'Institut, en entrant à l'Académie des Beaux-arts. En 1844, le philosophe Adolphe Franck, professeur au Collège de France, fut élu à l'Académie des Sciences morales et politiques. Entre 1838 et 1845, l'actrice Rachel fit briller d'un éclat incomparable la tragédie classique, reléguée dans l'ombre par le mouvement romantique. Gustave Halphen fut accepté comme consul général de Turquie à Paris.
Un grand nombre de fils de la grande bourgeoisie conquit des grades dans l'armée. A l'heure de la retraite, l'un d'eux, le lieutenant-colonel Max Cerfberr, entra au Parlement (1842), où il siégea aux côtés de Guizot sur les bancs du parti conservateur. Il devint, également, président du Consistoire Central. Il y eut même un général israélite, le baron Wolf.
Les financiers, au premier rang desquels se trouvent le baron James de Rothschild
et les frères Péreire facilitent, dans la plus large mesure,
les débuts du chemin de fer et permettent à la France de rattraper
les quelques années de retard qu'elle a sur d'autres pays. On enregistre
également à Paris aussi bien qu'en province, de belles réussites
dans les milieux commerciaux et industriels.
Cette ascension, limitée à une élite ou à quelques
privilégiés, ne signifierait rien ou pas grand 'chose si on
n'avait, par ailleurs, la satisfaction de noter une progression morale dans
les milieux de condition modeste. Cette satisfaction n'a, heureusement pas
manqué.
Dès la Restauration. en province aussi bien qu'à Paris des comités se forment pour créer des écoles communales juives. Les difficultés sont nombreuses car il n'y a ni locaux, ni ressources, ni maîtres. et l'on n'est pas sûr d'avoir des élèves, si grande est l'indiscipline qui règne dans les communautés. Méprisant tous les obstacles, des hommes et des femmes dévoués se mettent à l'œuvre et bientôt leurs efforts opiniâtres et leurs sacrifices sont couronnés de succès.
Dès l'année 1818, à Metz, à Strasbourg, à Colmar des établissements scolaires fonctionnent. L'empressement des communautés d'Alsace à avoir des écoles est d'autant plus compréhensible qu'elles ont à lutter contre un mal endémique (dont les chrétiens souffrent, d'ailleurs, autant qu'eux) : l'usage excessif du patois local. Un an à peine après son ouverture, l'école israélite de Metz conviait les autorités départementales à admirer son exposition de dessins linéaires et d'ornement. En 1822, l'école de Marseille décernait déjà des prix de natation. A Bordeaux, l'école de garçons fonctionna dès 1817 et celle des filles à partir de 1831. Une première école de garçons, ouverte à Paris en 1819, fut suivie de peu de la création d'une école de filles (1821) et, en 1825, le Préfet de la Seine déclarait que les écoles juives pouvaient servir de modèles aux autres.
L'enseignement primaire fut, presque aussitôt, complété par la création de Sociétés d'encouragement à l'apprentissage des arts et des métiers. Celle de Strasbourg réussit à ouvrir, en 1825, une école de Travail d'où sont sortis des milliers d'ouvriers et de petits patrons, et qui est encore, de nos jours, un des orgueils du judaïsme français. En 1842, une institution identique fut ouverte à Mulhouse. De la Société des Amis du Travail, créée à Paris en 1823 et transformée en 1853 en Société de Patronage des apprentis et ouvriers israélites de Paris est sortie, en 1865, cette magnifique Ecole de Travail, établissement modèle, à qui l'Académie française a décerné, en 1921, un de ses prix Monthyon.
L'apprentissage féminin n'a pas été négligé, lui non plus, et la Société pour l'établissement des jeunes filles israélites, créée à Paris en 1843, a vu son action s'élargir, à partir de l'année 1871, par la création de l'Ecole Bischoffsheim, d'où sont sorties non seulement des couturières, des modistes, des lingères et des brodeuses, ruais des employées de bureau, des comptables, des vendeuses et des institutrices.
L'orphelinat Salomon et Caroline de Rothschild, créé en 1857, et qui reçoit des garçons et des filles, fournit un gros contingent aux œuvres d'apprentissage.
Des soins particuliers furent, dès les premiers temps, accordés
au redressement par le travail des des enfants délinquants ou moralement
abandonnés. Leur nombre étant trop restreint pour justifier
la création d'une oeuvre spéciale, longtemps la Société
de Patronage des ouvriers et apprentis les prit sous sa protection. En 1889,
le grand rabbin de France Zadoc Kahn
réussit, grâce à de généreux concours, à
établir, à leur intention, un Refuge au Plessis-Piquet (Seine),
organisé en centre d'apprentissage horticole et agricole. Transporté
après la guerre à Ars-sur-Moselotte (Moselle), le Refuge a cessé
de fonctionner faute d'éléments (1933).
Une œuvre similaire, destinée aux fillettes, fonctionne, depuis
1866. Son siège actuel est à Neuilly.
Une statistique, dressée en 1843, et portant sur 409 familles parisiennes,
indique, entre autres, les professions suivantes :
10 pour les hommes, armurier, peintre en bâtiment, bijoutier, bimbelotier,
garçon boucher, boutonnier, ouvrier en bretelles, ouvrier en brosses,
broyeur de couleurs, chocolatier, conducteur d'omnibus, domestique, ébéniste,
gantier, matelassier, nacrier, palefrenier, raccommodeur de porcelaines, tourneur
;
20 pour les femmes, tresseuse, polisseuse en caractères, polisseuse
sur porcelaine, ouvrière en passementerie, lingère, fangeuse,
fleuriste, fileuse, couturière.
La Révolution de 1848 faillit compromettre cette œuvre de régénération. Les paysans d'Alsace, en particulier ceux du Sundgau, profitèrent du bouleversement général pour s'attaquer aux juifs. A Mutzig et à Quatzenheim, les agitateurs se contentèrent de lancer des fusées pour effrayer la population. Mais à Brumath, à Westhoffen, à Hochfelden, à Saverne, ils saccagèrent les maisons juives et se livrèrent à un pillage en règle, certains au cri de : "Vive la République !" accompagnés des accents de la Marseillaise ; d'autres au cri de : "Hep ! hep !" (initiales de Hierosolyma est perdita, Jérusalem est détruite), importé d'Allemagne.
L'élection du Prince Louis-Napoléon à la présidence de la République ne fut pas pour rassurer les juifs d'Alsace : son nom évoquait le souvenir de l'Empereur qui, sous prétexte de corriger leurs pères, les avait spoliés et livrés à la vindicte publique. A un certain moment, le bruit se répandit que les juifs du Haut-Rhin voulaient émigrer en Suisse. Les paysans du Sundgau qui, pourtant, ne se faisaient pas faute de les molester, n'entendirent pas laisser "leurs juifs" quitter la région. Ils firent savoir qu'ils s'opposeraient, par les armes, à leur départ et ils menacèrent d'incendier les villages suisses qui leur donneraient asile. Pour éviter tout incident, le gouvernement de Berne donna ordre de faire interner les juifs qui se réfugieraient dans son canton et il interdit formellement la vente des armes.
La crainte d'un exil des juifs du Haut-Rhin se propagea jusque dans les sphères gouvernementales et le ministre de l'Intérieur, Dufaure, leur écrivit une lettre pour les rassurer sur les intentions du Prince Louis-Napoléon.
Les excès antijuifs restèrent, d'ailleurs, limités à un petit nombre de localités. Dans beaucoup d'autres les habitants chrétiens, curé et pasteur en tête, s'opposèrent énergiquement à l'entrée des énergumènes venus di Sundgau. Et, dans le plus grand nombre d'endroits, personne ne songea à inquiéter les juifs, qui jouissaient de la sympathie et de l'estime générales.
Les premiers jours de la Révolution de 1848, un cortège défila dans les rues de Paris, précédé d'une bannière portant cette inscription : "Union des Cultes. Fraternité universelle." Sous cette bannière marchaient des prêtres catholiques, un pasteur protestant et le Grand Rabbin du Consistoire Central, Marchand Ennery.
Le gouvernement provisoire comptait, parmi ses membres, Michel Goudchaux, ministre des finances et Adolphe Crémieux, ministre de la justice. Celui-ci profita de son bref passage au pouvoir pour faire voter deux lois d'une généreuse inspiration : 1° l'abolition de la peine de mort pour les crimes politiques; 2° l'abolition de l'esclavage des nègres dans les Colonies françaises.
En dépit de toutes les mesures prises sous la Restauration et sous la Monarchie de juillet, il subsistait encore quelques barrières entre les juifs et les chrétiens. La plus humiliante était celle du serment more judaico (à la manière juive). Tout israélite cité devant un tribunal, comme plaideur, comme plaignant ou comme témoin, devait prêter serment à la synagogue, au milieu d'une mise en scène impressionnante. Les magistrats étaient convaincus que le serment ordinaire, commun à tous les autres citoyens, ne liait pas les juifs.
Dès sa création (1809), le Consistoire central protesta contre cette atteinte manifeste à l'égalité civique et contre la suspicion qu'elle faisait peser sur l'ensemble des israélites de France. Mais la protestation du Consistoire Central resta vaine : les israélites qui refusaient de prêter le serment more judaico étaient déchus du bénéfice du jugement et condamnés. En 1816, les grands rabbins du Consistoire central publièrent un Manifeste dans lequel ils déclaraient que le serment judiciaire prêté par un Israélite, dans quelque lieu que ce fût, avait force d'engagement. On n'en continua pas moins à exiger le serment spécial.
C'est Adolphe Crémieux qui, le premier, engagea la lutte contre cet usage vexatoire. En 1827, il prit, devant la Cour de Nîmes, la défense d'un Israélite qui s'était refusé au serment more judaico : "C'est la conscience, s'écria-t-il, au cours de sa plaidoirie, et non la religion qu'il faut appeler devant les magistrats." Après avoir rappelé qu'en entrant au barreau il avait prêté le serment ordinaire, il demanda s'il devait quitter sa robe d'avocat. Mais son principal argument, celui sur lequel il insista avec force, ce fut que : "Tous les citoyens sont égaux devant la Loi."
La thèse de Crémieux triompha à Nîmes, mais elle subit un échec, la même année, à Metz et à Saverne. Adolphe Crémieux, qui siégea au Consistoire à partir de 1831, en profita pour conseiller aux rabbins de refuser leur concours à toute cérémonie synagogale de prestation du serment more judaico, s'engageant à les défendre en cas de besoin. Lazare Isidor, rabbin de Saverne, suivit ses conseils et, en 1839, il fut poursuivi devant le tribunal de Saverne par une plaideuse israélite, qui prétendit qu'en l'empêchant de prêter serment et, en conséquence, de gagner son procès, le rabbin lui avait causé un préjudice grave. Fidèle à sa promesse, Crémieux vint défendre le rabbin et sa plaidoirie impressionna fortement le tribunal, qui renonça aux poursuites contre le rabbin. Lazare Isidor, réputé pour son énergie, son grand coeur et ses dons oratoires, ne tarda pas à être appelé au poste de grand rabbin de Paris en 1848. Il termina sa carrière comme grand rabbin de France (1867-1888).
Le serment more judaico fut aboli par un arrêt de la Cour de
Cassation du 3 mars 1846.
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