© M. Rothé |
L'Alsace d'autrefois, pays de transit et d'accueil, abrita une importante population juive.
A Hégenheim, on recensa en 1848, 850 adhérents du culte mosaïque.
La situation prépondérante de la synagogue est assez exceptionnelle et ne confirme pas la règle, selon laquelle une synagogue ne doit pas dépasser les autres bâtiments de la commune.
Un grand portail rectangulaire côté ouest et une porte côté sud, invitaient les fidèles à en franchir le seuil. Le portail côté ouest est protégé par un auvent à croupe. Ce dernier repose sur quatre poteaux de bois en forme de colonne. Les encadrements sont en grès. Le rez-de-chaussée est de plain-pied, il y a un étage carré , mais point de sous-sol.
Le mur vers l'est est percé à l'étage d'une grande baie vitrée rectangulaire. Cette baie n'est pas d'origine. La synagogue possédait une chaire (Almemor) en bois, particulièrement belle.
C'est sur l'emplacement d'une première synagogue et sur une superficie de 5,39 ares, qu'elle fut érigée en 1821.
Edifiée vers 1740, elle fut pillée, ravagée et incendiée lors du siège de Huningue, le 18 Siwan 5575 , ce qui correspond au 27 juin de l'année 1815 . Beaucoup d'objets de culte, livres et documents importants, conservés dans la "Genizah" (pièce adjacente, où l'on conserve les archives), devinrent ainsi la proie des flammes, et ne sont plus en état de transmettre ou de témoigner aux générations futures leurs messages historiques. La chronique du Dr Achilles Nordmann relate également , que M. Isaak Ségal devint la victime des assaillants. On lui déroba un sac, contenant les cotisations des membres de la communauté (pour le cimetière), butin d'une valeur de 612 francs.
Six années après le drame, on reconstruisit au même endroit, l'actuelle synagogue. Le coût s'éleva à 36.000 livres.
Le 25 Elul 5581, c'est-à -dire, le 21 septembre 1821, en présence d'une grande foule, les rabbins David Günzburger et Pinchas Hirsch, eurent le grand bonheur de célébrer l'inauguration.
Du grand sermon, tenu par le rabbin Hirsch, au soir du Shabath, j'ai retenu un petit chapitre qui m'a paru essentiel, et dont voici la transcription du texte :
Le rabbin Hirsch fait allusion à l'instruction religieuse des enfants. Il appelle ses fidèles à créer une école talmudique, afin de permettre à une nouvelle génération, d'accomplir ses devoirs envers Dieu et l'humanité . En d'autres termes, de préparer le terrain en vue d'assurer l'avenir.
Au sermon s'ajouta un poème hébraïque, comprenant seize versets, et composé uniquement à cet effet, par Marem, fils du rabbin Günzburger.
Dans cette poésie lyrique chantée, Marem remercie le Tout-Puissant de sa pitié à l'égard de son peuple et de son infinie miséricorde. En revanche, il accuse et déplore la cause de l'incendie de l'ancienne maison de prières par le verset suivant :
La construction des synagogues a connu une évolution importante après la révolution.
En 1791, l'assemblée constituante accorda à la population juive les pleins droits civiques, et en 1831, le gouvernement de Louis-Philippe ordonna par décret, la rétribution des rabbins et des ministres officiants par la caisse d'état.
De ce fait, la plus grande partie des synagogues, fut édifiée dans la seconde moitié du 19ème siècle. Parmi les plus importantes synagogues citadines, on compte celles de Paris :
- rue Notre-Dame de Nazareth, érigée entre 1819-1822
- rue des Tournelles, érigée entre 1861-1876
- rue de la Victoire, érigée entre 1861-1874
Cette dernière devint plus tard synagogue consistoriale et siège rabbinique.
Dans cette période se situe également la construction de la synagogue consistoriale de Strasbourg, inaugurée en 1898, ainsi que celle de Colmar, inaugurée en 1843.
A souligner les centaines de petites synagogues contadines, dispersées dans toute la France, voire l'Europe, 200 en Alsace, presque autant que dans tout le reste de la France.
Pupitre du chantre de la synagogue de Hégenheim, en sapin, début 19ème siècle et lampe de Hanouka avec dessin floral |
La religion juive est une religion de paix et de tolérance, et les synagogues des maisons de prières pour tous les peuples. Car il est écrit "Ma maison sera dénommée maison de prières pour tous les peuples". (Isaïe 56:7)
Par ailleurs, en dehors des fonctions de transmission (le la religion et de la culture juive, la synagogue exerce aussi un contrôle social non négligeable. Plus d'un se vit réprimander "coram publico", s'il avait fauté ou s'il montrait peu de zèle à payer les taxes et cotisations imposées aux membres communautaires. En outre, on incite les fidèles à respecter les lois et à pratiquer la charité . L'étude de la Torah, le respect des lois et la charité , sont les trois valeurs fondamentales du judaïsme (sans compter les diverses activités philanthropiques).
C'est à l'initiative du Gouvernement, que fut réorganisé le culte israélite. Le 30 mai 1806, un décret impérial convoqua à Paris 74 notables israélites, en vue de reconstituer le Grand Sanhédrin (tribunal). Les décisions de ce tribunal servent de base pour l'organisation du culte israélite en France.
Le dirigeant de la synagogue est un rabbin communal, assisté par un ministre officiant (le chantre). Ils sont élus par une assemblée de notables. Chaque synagogue possède un règlement rigoureux, qui dicte la discipline intérieure. La synagogue perçoit diverses taxes, location des bancs, droit d'entrée, parfois aussi une taxe supplémentaire, qui permet à la communauté juive de venir en aide aux dépourvus.
Les différentes synagogues du département, ou de plusieurs, sont regroupées sous l'autorité d'un consistoire, composé de membres laïcs et d'un grand rabbin. A la tête de ces consistoires est placé le consistoire central à Paris, présidé par le grand rabbin de France. Notre consistoire départemental, siégea jusqu'en 1822 à Winzenheim, puis il fut transféré à Colmar.
Presque toutes les synagogues de la diaspora s'orientent vers Jérusalem et leurs espaces intérieurs sont restés durant près de vingt siècles en conformité avec les lois du Talmud .
A la paroi orientale, se trouve l'arche sainte "Aron Hakodesh", avec les rouleaux de la Loi, la Torah. Cette arche est souvent dissimulée sous d'épais rideaux, richement ornés et décorés, le "parokheth". A côté , se trouve le pupitre du chantre. Au milieu de la pièce s'élève la "bima" ou "almemor", similaire à la chaire. On y lit les rouleaux de la Loi, le Pentateuque, c'est-à-dire, les cinq livres de Moïse : la Genèse, l'Exode, le Lévitique, les Nombres et le Deutéronome. Ces rouleaux sont parés de manteaux et de couronnes finement ciselées.
Du milieu de la pièce à l'entrée, s'étend le foyer le "oulam" avec ses places réservées aux membres masculins de la communauté. Le plan de table révèle le statut social de ses occupants. Celui qui avait l'honneur d'être assis très près du sanctuaire, bénéficiait (soit par sa richesse, soit par sa sagesse) du respect de ses coreligionnaires.
Autrefois les rangées de places étaient nettement écartées afin de pouvoir se prosterner à un moment précis du culte.
Une partie du sol était recouvert de parquet mosaïque avec des ornementations, entre autre l'étoile de David. Dans un placard à l'entrée, étaient rangés "les talith" (châles) et les livres de prières, car les Juifs n'avaient pas le droit de porter hors de la synagogue, ces objets rituels nécessaires au culte.
L'illumination était due au "ner tamid", lustre symbolisant la lumière éternelle et à la "menorah", chandelier à sept ou à neuf branches.
A l’entrée côté sud, nous pouvons encore admirer de nos jours le "gissef", Giessfass, fontaine destinée à la purification des mains, à l'entrée et à la sortie de la synagogue, ainsi que divers lustres d'origine.
Au premier étage, se trouvent les balustrades réservées aux femmes. Elles sont complètement fermées par des fenêtres grillagées avec des orifices d'air. Comme la Loi juive n'oblige pas les femmes à participer à l'office religieux, il existe de très anciennes synagogues sans cette partie réservée à la gent féminine. Toutefois, la Loi exige pour les femmes mariées participant au culte, le port d'un couvre-chef.
A la partie ouest se trouvaient les locaux destinés aux rabbins et à l'enseignement talmudique.
La Schule de Hégenheim, comme toutes les anciennes maisons de prières juives, ne possédait pas d'orgue. En signe d'affliction, la musique religieuse en est bannie depuis la destruction du temple de Jérusalem, en l'an 70 de notre ère. Le temple de Jérusalem était le lieu sacré pour tout le peuple d'Israël, il ne pouvait être vendu car sa sainteté était éternelle. Par contre, une synagogue, lieu de réunions et de prières d'une communauté, peut sous certaines réserves, servir à d'autres fins.
Vis-à-vis de la synagogue, côté sud, au numéro 11 de la rue d'Alsace, étaient installés les bains rituels "mikwe". Ces bains, construits en 1839, furent à l'origine de bien des conflits.
Planchette en sapin et chêne, dorée 27,5 x 21,0 x 6,5 cm, fixée au-dessus de la parole orientale de la synagogue de Hégenheim, avec inscription en hébreu "Que celui qui emprunte une voie irréprochable soit mon serviteur". |
A quelques lieues de Hégenheim, existait de 1757 à 1847, l'école talmudique "Beth Hamidrash". Plusieurs rabbins ont tenu la charge du professorat. Dans des actes de dénombrements, on retrouve les rabbins Josef Meyer, Meyer Breger et Simon Bickart. Dans des actes du notariat de Blotzheim, le nom du Rabbi Naphtali Liberles de Prague.
Peu à peu, l'école rabbinique de Metz, fondée en 1829, prit en charge les fonctions de la "Beth Hamidrash" de Sierentz.
Entre 1897 et 1899, la synagogue nécessita d'importantes rénovations. Elles furent exécutées par l'entrepreneur de construction Wilhelm Huber d'Allschwil, sous la surveillance de l'architecte Louvat de Mulhouse. Une attestation témoigne de la réception des travaux, moyennant 1.780 francs. Elle eu lieu le 1 er juillet 1899, en présence de l'entrepreneur et de l'architecte en question, ainsi que des représentants de la communauté juive.
L'émancipation de 1791 et l'industrialisation au 19ème siècle, provoquèrent une grande émigration vers les villes. Après de nouvelles persécutions en 1848, les Juifs de Hégenheim et alentours, quittent en grand nombre la région et s'installent dans les cités urbaines. La Suisse devint une des destinations, et les villes de Bâle, Berne, Avenches et la Chaux-de-Fonds, pour en nommer quelques unes, bénéficieront du savoir-faire de leurs nouveaux ressortissants. Le commerce textile, horloger, bancaire, les grands magasins, etc..., tout ceci se développa et prit un nouvel essor. En revanche, dans notre contrée, on retrouva une communauté restreinte et passablement affaiblie. En 1907, le rabbinat de Hégenheim est dissous et transféré à St-Louis, où la communauté inaugurera une nouvelle synagogue.
Toutefois, la commune de Hégenheim garda l'usufruit des biens confisqués jusque dans les années cinquante. Il s'agit là , des loyers des locataires de la synagogue ainsi que de la maison (l'oratoire) dans l'enceinte du cimetière. Après diverses interventions du Consistoire israélite de Colmar, réclamant ses droits, la communauté obtint gain de cause.
Enfin, en 1962, elle put procéder à la mise en vente de l'immeuble. La vente d'une maison de prières est autorisée, si la fin justifie les moyens. En d'autres termes, si le gain est mis au profit d'une intention sacrée, telle que la construction d'une nouvelle synagogue, ou l'achat d'objets religieux nécessaires au culte, etc ...
A ce jour, la synagogue de Hégenheim est propriété privée. Néanmoins, grâce à la gentillesse et l'obligeance de son propriétaire, le sculpteur Walthari Gürtler, la Sté d'Histoire du Sundgau, a eu l'honneur et le plaisir de visiter ces lieux, lors de son assemblée générale du 4 mai 1997. Il va sans dire, que cette visite, admirablement guidée et commentée par le rabbin Marc Meyer de St.Louis, prêta à maintes réflexions.
Inévitablement surgit un univers nostalgique, plein d'images émouvantes. La pensée erre dans ce lieu pieux d'autrefois, s'attarde aux fidèles, écoute leurs prières implorant joie et miséricorde, et essaie de partager le souvenir des fêtes célébrées par les siècles passés. Puis, elle rejoint les cinq rabbins qui ont oeuvré dans ce sanctuaire, transmettant la tradition et la culture juive, et dont le plus important fut le rabbin Moïse Nordmann. (Biographie publiée dans le bulletin n°1).
Moïse David Günzburger, personnalité aux fonctions importantes. Il participait aux assemblées des notables, ainsi qu'aux réunions du Grand Sanhédrîin (tribunal) en 1806 et 1807 à Paris. Il décéda à l'âge de 79 ans. | |
1824-1828 | Pinchas Hirsch, fils du premier grand rabbin du Haut-Rhin, Naphtali Hirsch Katzenellenbogen. Il décéda à la fleur de l'âge, dans sa trente et unième année. |
1830-1834 | Arnaud Aron, originaire de Soultz dans le Bas-Rhin, appelé à la tâche de grand rabbin de Strasbourg en 1834. Il décéda en 1890. |
1834-1884 | Moïse Nordmann, originaire de Hégenheim, rabbin de tendance libérale, aux fonctions multiples, rabbin de Hégenheim, Bâle, Berne, Avenches et La Chaux-de-Fonds. Il décéda en 1884, à l'âge de 75 ans. |
1898-1907 | Dr Salomon Schuler, rabbin de Hégenheim jusqu'en 1907, plus tard, rabbin de St-Louis jusqu'en 1938, année dans laquelle il décéda. |
(...)
En effet la synagogue de Hégenheim ne fait plus fonction de maison de prières, toutefois, elle nous met en demeure, nous exhorte et nous rappelle les années sombres de notre soi-disant "civilisation européenne". Celles, où dans le nuit du 9 au 10 novembre 1938 (Reichskristallnacht), les synagogues d'Allemagne ont été systématiquement détruites, incendiées et pillées. Plus tard s'ajouteront celles des pays envahis. Elle nous rappelle également, le sort de la grande synagogue consistoriale de Strasbourg, construite dans un style roman, situé quai Kléber, symbole du judaïsme d'Alsace. Inaugurée le 8 septembre 1898, elle fut incendiée le 12 septembre 1940. Plus tard, ses vestiges seront rasés par les nazis.
Leurs guides spirituels n'échapperont pas non plus à la fureur des occupants.
La tristesse s'empare de nous, à l'énumération des vingt rabbins et des vingt-cinq ministres officiants français disparus. Ils moururent en déportation ou furent fusillés. Parmi eux, le grand rabbin René Hirschler, les rabbins Robert Brunschwig, Elie Cyper, Samy Klein et Aron Wolf de Strasbourg.
La plupart des rabbins et ministres officiants disparus étaient des Alsaciens ou avaient exercé en Alsace. C'est presque avec soulagement, qu'on prend note de la mort du rabbin Dr Schuler de St-Louis, décédé de mort naturelle en 1938 à Bâle, épargné du triste sort de ses confrères.
Le 15 mai 1948 (5 Iyar 5708), 19 siècles après la destruction de Jérusalem et son sanctuaire par les légions romaines, sera proclamé par David Ben Gurion, la création de l'Etat d'Israël.
Le mandat britannique avait cessé d'exister et la période charnière du judaïsme d'Europe était révolue. Tel phénix qui meurt au crépuscule, pour renaître à l'aube, ivre de soleil et de liberté .
Un long parcours difficile avait abouti en Erez Israël. Ainsi fut accompli la parole des prophètes.
Et une nouvelle page, faite de gloire et de lumière, de tourmente et de supplice, s'inscrira dans l'histoire du peuple d'Israël.
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