Comme introduction et en hommage à la communauté de Wintzenheim et à ses Rabbins, qu'il me soit permis de citer la description si pittoresque de cette collectivité, telle que la percevait Daniel Stauben, au milieu du siècle dernier, dans Scènes de la vie juive en Alsace.
"Parmi nous se trouvaient quelques personnages qui sont comme les convives obligés de toute noce juive. C'étaient autant de types caractéristiques de la curieuse population au milieu de laquelle je me trouvais.
"Cet homme qui fredonne en manière de prélude et tient à sa main son couteau prêt à battre la mesure, c'est le chantre ou 'hazan que nous avons vu le matin même inscrire les dons faits aux jeunes mariés. Il va maintenant entonner, en guise de divertissement les principaux morceaux de son répertoire liturgique : on le paie pour cela. Derrière lui se tiennent, debout et couverts, deux aides-chanteurs, ténor et basse. Ces trois personnages forment l'orchestre vocal de la synagogue où la musique instrumentale est sévèrement interdite. Salarié par la communauté, le chantre est un fonctionnaire dont la place est assez lucrative ; aussi, avec les émoluments qui lui sont alloués, doit-il entretenir à ses frais ses deux accompagnateurs. Ceux-ci font ainsi leur stage chez les chantres de différentes communautés jusqu'au jour bienheureux où, après de longues épreuves et une vie nomade, ils parviennent eux-mêmes à la dignité de 'hazan. Libres la semaine entière, les aides-chanteurs exercent plusieurs genres d'industrie. Pour grossir un peu leurs maigres honoraires, ils se chargent d'enseigner aux enfants, à un prix plus que modéré, les premiers éléments de l'écriture et de la lecture, ou ils font concurrence au barbier de l'endroit et promènent les ciseaux renommés de Bouxwiller sur les mentons de leurs coreligionnaires."
"Les aides-chanteurs possèdent encore certains autres talents qui augmentent leurs revenus. Quelque richard de la localité vient-il, en reconnaissance d'un vœu exaucé ou d'un bonheur inattendu, à doter la Synagogue d'un Sepher (Pentateuque) nouveau. Les aides-chanteurs entreprennent la mise en scène de la cérémonie qui précède la translation du rouleau sacré dans le temple. À l'aide de cartons découpés qu'ils recouvrent de mousse et de fleurs, ils improvisent un mont Sinaï hérissé de rochers et coupé de ravins, sur lequel reste exposé, pendant plusieurs jours, le Sepher, objet de vénération pour les fidèles.
À l'approche de la fête des Tabernacles, ce sont eux qui se chargent souvent de la construction, de la tenture et de l'ornementation de ces huttes en plein air où tout bon Israélite doit demeurer avec sa famille huit jours durant, en souvenir du séjour dans le désert. Pourtant, malgré ces différentes ressources, nos aides-chanteurs sont constamment réduits aux expédients. En vrais artistes, ils dépensent plus qu'ils ne gagnent ; le jeu, leur passion favorite, absorbe la plus grosse part de leurs profits. Quand leur bourse est à sec, leur revenu fixe absorbé, leur revenu éventuel engagé, ils prennent leur mal en patience et attendent l'approche des grandes fêtes de septembre. Pendant ces fêtes, qui durent plus de quinze jours, le 'hazan ne peut guère plus se passer de ses aides-chanteurs qu'une voiture de ses roues, un moulin à vent de ses ailes ; alors aussi la communauté, impatiente, se promet à l'avance merveille pour les offices qui vont suivre, et l'orchestre vocal doit se préparer par des répétitions multipliées. C'est précisément cet instant que choisissent nos aides-chanteurs pour chercher une mauvaise querelle au chantre et pour le rançonner. ils demandent soudain une augmentation d'honoraires considérable, sans quoi ils feront grève. Le pauvre chantre crie à la trahison, menace et flatte tour à tour. Les deux compères tiennent bon. Grande rumeur dans le village ; cabale et brigues pour et contre. Le Parness (chef de la communauté) s'en mêle, l'administration du temple s'émeut ; des conférences ont lieu, des négociations sont entamées, des transactions proposées, repoussées et enfin adoptées. De là des scènes et des passions burlesquement sérieuses, qui pourraient faire le sujet d'un nouveau Lutrin."
"Le Schamess de Wintzenheim est aussi l'homme aux visions étranges. Il vous dira comment, quelques heures après la mort du vénérable Rabbin Hirsch, (il s'agit de Naphtalie Hirsch Katzenellenbogen) il vit, à la tombée du jour, une flamme céleste planer sur le front chauve du pieux défunt, et en même temps, des caractères cabalistiques se dessiner sur les murs...."
Comme le lecteur l'aura compris, la communauté de Wintzenheim possédait, dans un passé relativement récent, toutes les structures indispensables à une vie juive authentique. Sa population, comme cela ressort du recensement de 1784, la hissait au premier rang parmi les communautés du Haut-Rhin. Ceci explique le nombre important des maîtres d'école qui, à l'époque, s'élevait à neuf, pour une population de 417 âmes, ainsi que le fait que plusieurs rabbins exerçaient simultanément leur fonction à Wintzenheim.
Parmi ceux qui nous sont connus, nous voudrions mentionner ici Moyse fils d'Abraham, cité en 1734, son fils Meir Moyse Bloch (vers 1758), puis le frère du dernier cité, Auscher Moyse Bloch, commis rabbin déjà en 1784, et qui, dans une lettre fort aimable du 3 novembre 1806 à l'empereur Napoléon 1er, s'excusait de ne pouvoir se rendre à Paris pour assister au Grand Sanhédrin, vu son grand âge (en fait il mourra en 1819 comme cela est attesté sur sa tombe qui se trouve à Wintzenheim). A la même époque, en 1784, on trouve encore Joseph Abraham en tant que commis rabbin, alors que Jacob Braunschweig exercera un plus tard son ministère rabbinique à Wintzenheim, comme cela ressort d'une lettre du 30 juin 1806, dans laquelle il accepte de siéger comme "député à l'Assemblée des Notables" convoquée à Paris par l'Empereur. D'après notre éminent collègue Max Warschawski (Introduction au Yad David de David Sintzheim, traité de Guittîn, Jérusalem 1976), le titre de "commis rabbin" qui se transformera plus tard en "sous-rabbin" désignait un rabbin qui exerçait son ministère par rapport à sa communauté, alors qu'il existait un autre titre qui désignait les rabbins reconnus par le pouvoir (peut-être ces derniers étaient-ils aussi les présidents des tribunaux rabbiniques).
Toujours est-il qu'au 18e siècle les commis rabbins de Wintzenheim dépendaient tous de Sussel Moyse Enosch qui depuis Ribeauvillé, exerçait les fonctions de rabbin de toute la Haute Alsace - l'équivalent de la fonction actuelle de grand rabbin -. On pourra d'ailleurs noter que si, au tout début du 18e siècle, Ribeauvillé était le siège du rabbinat de toute l'Alsace, avec Samuel Lévy (1702-1711), puis avec Samuel Sanvill Weyl (1711-1721), cette fonction fut plus tard scindée en deux, avec un Rabbin pour la Haute Alsace et un Rabbin pour la Basse Alsace, avant qu'au début du 19è siècle Ribeauvillé ne perde définitivement sa primauté au profit de Wintzenheim, dont Naphtalie Lazare Hirsch Katzenellenbogen fut le premier grand rabbin.
Naphtalie Hirsch KATZENELLENBOGEN
Le 4 décembre 2018 une plaque posée en mémoire du grand rabbin Naphtali Hirsch Katzenellenbogen à la synagogue de Wintzenheim a été inaugurée. Cliquez ici pour voir le reportage de la cérémonie |
Alexandre Auscher BLOCH
Au décès de N.H. Katzenellenbogen, c'est un enfant de Wintzenheim qui lui succède, en la personne de Alexandre Auscher Bloch, fils de Auscher Moyse Bloch qui avait exercé son ministère rabbinique à Wintzenheim à l'époque de la Révolution française.
On pourra noter que A.A. Bloch est le quatrième rabbin de la même famille - c'est presque une dynastie, de la troisième génération - qui va diriger la communauté de Wintzenheim.
Né en 1781, fils de Rachel MAY et du rabbin A.M. Bloch, le rabbin Alexandre Auscher Bloch veillera aux destinées de la communauté de Wintzenheim jusqu'à son décès le 5 juillet 1832.
Théodore DIEDISHEIM
À la suite de A.A. Bloch, c'est encore un rabbin alsacien et haut-rhinois qui s'installera à Wintzenheim en la personne de Théodore Diedisheim (Il existe plusieurs orthographes de ce nom, qui vont de Tudisheim à Ditisheim).
Théodore Diedisheim était né le 24 juin 1808 à
Hégenheim, et il était le sixième enfant de Jacques Diedisheim
et de Jeanne Nordmann.
Celui que l'on appelait familièrement "reb Toterlé" desservait à l'époque, outre sa propre communauté, Turckheim, Wettolsheim, Ingersheim et Munster. Dans toutes ces communautés "il fait toutes les fonctions rabbiniques, il y prêche, bénit les mariages et voit les malades".
Nommé le 26 août 1832 après avoir été préféré à Michel Cerf, rabbin de Bergheim, il aura une carrière particulièrement longue à Wintzenheim, qui fut son premier poste rabbinique, et où il restera en fonction jusqu'à son décès en 1883. On pourra noter que Th. Diedisheim fut le dernier rabbin de Wintzenheim à avoir été formé auprès de maîtres et non pas dans le cadre d'une école rabbinique constituée.
Mayer LERNER
Dans l'intervalle, l'Alsace étant devenue allemande, les dirigeants de la communauté de Wintzenheim engagèrent, après Diedisheim, le rabbin Mayer Lerner de Berlin, appelé plus tard aussi Mayer fils de Morde'haï d'Altona.
Il était né à Czestokhova en Pologne, avait étudié dans sa jeunesse à Cracovie puis avait obtenu son diplôme rabbinique auprès du prestigieux séminaire rabbinique Hildesheimer à Berlin.
Selon la norme de l'époque, il avait mené en parallèle des études universitaires, qui lui avaient valu le titre de docteur, et à ce titre, avait publié une thèse sur Les sources du midrach Beréshith Rabba.
Mayer Lerner fut nommé rabbin de Wintzenheim le 14 février 1884, communauté qu'il quittera dès 1890 pour devenir rabbin auprès de la Fédération des synagogues à Londres (qui regroupait 23 synagogues).
En 1894, Mayer Lerner devint rabbin d'Altona et du Schleswig-Holstein. Durant sa carrière en Allemagne, il s'opposa aux théories de Graetz, et de façon plus générale, au mouvement de la Réforme qui se développait alors dans ce pays.
En 1891, il publia son ouvrage principal Hadar Hacarmel, recueil de responsa et d'exégèse.
En 1905, il écrira le 'Hayé Olam pour réaffirmer l'interdiction de la crémation pour les Juifs.
Il publiera encore Torath Hamishna en 1915, dont le sujet est l'origine de la tradition orale.
Mayer Lerner s'illustra également par son intérêt pour le mouvement du retour en Palestine. A ce titre il sera le fondateur de l'association Moria en 1905, association dont le but consistait à "restaurer les ruines anciennes et la culture religieuse nationale juive" et qui rejoindra en 1930, l'année du décès de son fondateur, l'Agoudath Israël.
Au départ de Mayer Lerner pour Londres, c'est Joseph Zivi (ou Zivy) qui fut choisi pour lui succéder.
Né à Biesheim, le 24 décembre 1865, fils de Baruch Zivi et Caroline Duckes, Joseph Zivi, comme son prédécesseur, fera ses études rabbiniques à Berlin, comme c'était l'habitude pour les rabbins alsaciens de l'époque, auprès du rabbin Ezriel Hildesheimer, et obtiendra également le titre universitaire de docteur.
Il fut nommé rabbin de Wintzenheim fin 1892, à une époque où la population juive y était encore fort nombreuse. C'est ainsi qu'on dénombrait, à sa prise de fonction, 551 Juifs à Wintzenheim, 30 à Wettolsheim, 80 à Turckheim, 26 à Munster, et 55 à Ingersheim.
Joseph Hildesheimer fut marié en premières noces à Louise Emma Hirsch, et en secondes noces il épousa Lucie Debré, dont la famille, originaire de Westhoffen, s'illustrera dans le monde des sciences, des lettres, des arts et de la politique.
En 1936, c'est Simon Fuks qui fut choisi comme le successeur de Joseph Zivi.
Il fut le premier et le seul rabbin de Wintzenheim à avoir acquis sa formation à Paris, tant à l'École rabbinique de la rue Vauquelin qu'à la Sorbonne. Nos lecteurs trouveront dans son article la primeur des souvenirs wintzenheimois de celui qui est notre maître, et qui assuma avec érudition et dévouement la lourde charge de grand rabbin du Haut-Rhin de 1947 à 1986, restant toujours attaché à sa première communauté et aux familles qu'il avait côtoyées dès le début de son rabbinat, et dont l'amitié fidèle se poursuit jusqu'à ce jour.
Au moment de conclure cet article non exhaustif sur le rabbinat à Wintzenheim, je voudrais, pour attester de l'authenticité et de la place de la Torah dans cette vénérable communauté, relever plusieurs points :
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