Ebauche d'une autobiographie...
Mireille WARSCHAWSKI


Deuxième partie (1945-2006) :

La rencontre avec Max

Max Warschawski au temps de leur rencontre
La guerre finie, j'ai immédiatement repris contact avec Yeshouroun et avec mes amies qui avaient survécu. À Strasbourg, les garçons et les filles ne se réunissaient pas souvent. La première rencontre des anciens de Yeshouroun eut lieu pendant les vacances d'hiver 1945, près de Lyon, aux "Hirondelles", une maison de l'OSE (Oeuvre de Secours aux Enfants) dirigée par Nathan Samuel et sa femme Hélène Neher, tous deux de Strasbourg. Je connaissais cette dernière depuis mon enfance grâce à la synagogue de Kageneck. C'est à ce moment-là, au camp, que j'ai rencontré pour la première fois un strasbourgeois de Yeshouroun que je ne connaissais pas, Max Warschawski. Nous avons fait vraiment connaissance en nous portant tous deux volontaires pour la corvée de vaisselle...

Max avait entrepris des études rabbiniques à Limoges, au "petit séminaire", pendant que ses parents et les autres enfants étaient réfugiés près de Périgueux, comme beaucoup de Strasbourgeois. Le responsable du Séminaire était le futur grand rabbin de Strasbourg, Abraham Deutsch. Avant la fin de la guerre, Max alla rejoindre la Résistance et il fut parmi ceux qui délivrèrent Castres. Bô Cohn, bien que n'ayant pas un caractère de combattant, était avec eux. En 1945, le Séminaire Israélite de France se réinstalla à Paris, rue Vauquelin. Max s'y installa pour continuer et terminer ses études de rabbin. C'était son rêve depuis sa jeunesse, beaucoup à cause de l'admiration qu'il portait à son maître, le rabbin Deutsch. Le grand rabbin de Strasbourg qui avait été intronisé juste avant la guerre et n'a jamais pu exercer sa fonction, n'était pas revenu de déportation. Le rabbin Deutsch dirigea la communauté jusqu'à ce qu'on apprenne avec certitude que le grand rabbin Hirschler ne reviendrait plus, malheureusement. Alors seulement il fut installé grand rabbin de Strasbourg et du Bas-Rhin.
Pendant ce temps, suivant les conseils de Bô, j'ai accepté de travailler aux "Hirondelles ", quelques semaines pendant l'été 1946. Monsieur et Madame Nathan Samuel étaient adorés par les enfants de la maison, sans qu'ils ne négligent pour autant leurs propres enfants, ce qui n'était pas spécialement aisé.

En septembre 1946, j'ai cessé mes études universitaires et j'ai travaillé deux ans à la maison de Versailles, jusqu'en août 48. Pendant très peu de temps, ma directrice a été Nini, qui fut remplacée par Monsieur et Madame Félix Goldschmidt. Comme les Samuel, les Goldschmidt se sont investi dans la marche de la maison et le bonheur des enfants, parmi lesquels il y avait Leiser (Elie) Wiesel qui n'était pas toujours facile. Ils rêvaient de leur donner le sentiment d'avoir une famille. Malheureusement, c'était aux dépens de leurs propres enfants.

Après qu'il ait fait deux années d'études à Paris, le directeur, le grand rabbin Lieber, attribua à Max une bourse pour faire une année d'études dans une yeshiva. Il choisit Londres, et après un essai dans une yeshiva qui ne lui convenait pas, il décida d'aller au Jewish College, qui avait ouvert ses portes quelques années plus tôt, et où les études y étaient d'un très haut niveau. Le maître était Rav Kahana, un ancien responsable d'une yeshiva de Lituanie jusqu'à la guerre. Sa femme et ses enfants furent déportés ; il put, lui, arriver en Angleterre où il fréquenta l'Université de Londres pour apprendre l'anglais. C'est grâce à lui que Max, qui était de loin le plus jeune élève, put obtenir une Smi'ha, titre lui permettant de prendre des décisions rabbiniques. Max est revenu en juillet d'Angleterre, muni du diplôme de Rabbin très prestigieux, mais n'avait pas fait celui de l'école rabbinique française. On lui fit des misères… et il le passa donc, un an plus tard. C'était impossible autrement, d'abord pour l'honneur de l'école et ensuite pour obtenir un poste d'État. Les postes de rabbins des trois départements de l'Est étaient, grâce au concordat, des postes d'Etat et avaient une place importante dans la vie officielle. Lorsqu'il commença à travailler, il avait 23 ans.

Max et moi, nous nous étions fiancés en 1946 et avions décidé de nous marier dans les deux ans, dès qu'il aurait fini ses études et trouvé du travail pour entretenir sa famille. Nous avons donc fixé le mariage au mois de septembre 1948. Mes parents se sont entièrement occupés de la préparation du mariage. En septembre, avant Rosh Hashana, nous nous sommes donc mariés rue Cadet et ce fut le rabbin Munk qui procéda à la cérémonie. Ma sœur Éliane était déjà mariée depuis un an avec Isy Loinger dont elle eut trois fils. Mes parents ont préparé le mariage et Maman, avec l'aide d'une femme qu'elle connaissait, a fait toute la cuisine.

Nous n'avions pas d'appartement puisque nous ne savions pas encore quel serait notre lieu de travail. Comme chaque année, Max célébrait les offices de fêtes dans une communauté de l'Est de la France qui n'avait pas de rabbin, ni souvent de chantre. Après les fêtes, sachant que la communauté de Strasbourg cherchait un rabbin, Max a posé sa candidature. Le grand rabbin Deutsch avait été nomme grand rabbin de Strasbourg et du Bas-Rhin. Max s'est présenté pour être son adjoint comme rabbin de Strasbourg. Il n'y avait pas d'orgue… mais beaucoup de membres de la communauté espéraient encore son retour. Quand Max s'est présenté devant le vice-président de la communauté, un cousin de maman, le bijoutier Arthur Blum, celui-ci lui a posé la question : "Accepteriez-vous la réinstallation de l'orgue dans la grande synagogue de Strasbourg ?". Max lui répondit : "Dans les mêmes conditions que le grand rabbin Deutsch, c'est-à-dire, mariages, 14 juillet – avant l'entrée du Shabath – et autres manifestations de ce genre." "Je vous remercie pour votre franchise", répondit Arthur, "mais la place n'est pas pour vous !"

La maison de Bischheim
Bischheim

Nous sommes allés humblement nous installer à Bischheim, communauté mère de Strasbourg avant la révolution, quand les Juifs n'avaient pas encore le droit de s'installer dans les villes. Les Bishheimois étaient des Juifs-alsaciens de longue date et avaient gardé une mentalité et des traditions vieilles de plusieurs siècles. Nous logions dans une vieille maison campagnarde dépourvue de tout confort, formée d'une cuisine, de deux chambres et de deux autres petites "chambres" qui en faisaient partie. Il n'y avait évidemment pas de salle de bain. Les WC se trouvaient au fond de la cour. Un plaisir en hiver et pendant les journées de pluie, surtout pour les enfants. Nous avions de la chance d'avoir l'eau courante dans la cuisine.

Les quatre aînés de nos enfants y sont nés. Tous les soirs et tous les matins, il fallait les baigner en présence d'un personnage pittoresque, archétype des Juifs de Bischheim, Armand Asch. Cet homme, un vieux garçon, racontait à mon mari toute l'histoire de la communauté depuis deux cents ans, comme si lui-même avait vécu cette période. Le dimanche matin, Max et moi donnions des cours d'hébreu aux quelques jeunes qui étaient venus un peu plus tôt assister au bain des bébés. Il ne suffisait pas de donner à nos élèves un enseignement théorique. Nous avions donc décidé d'inviter des jeunes à notre table, tous les vendredis soirs, afin de leur permettre de vivre une soirée de Shabath qu'ils ne connaissaient pas chez eux. Je pense que cela avait des conséquences positives. La plupart de ces élèves sont devenus quasiment des membres de la famille. Nous avons conservé d'affectueuses relations avec eux. Ce fut une vie très difficile, mais nous y avons appris beaucoup sur la façon de conduire une communauté et comment développer des contacts avec les membres. Nous avions appris aussi à parler le langage qu'il fallait avec nos interlocuteurs, selon leur situation, leurs problèmes et leurs options. À Strasbourg, nous avons étendu ces relations, les échanges et les dialogues avec les non-juifs, dans des cercles religieux ou laïcs, avec des responsables politiques et municipaux, avec des enseignants. Max allait tous les jours à vélo à Strasbourg pour donner ses cours aux lycées et diriger le Talmud Torah. Il y avait un jardin d'enfants juif à Strasbourg et Max y amenait Michel tous les jours, sur son vélo.

Quand Évelyne, notre quatrième enfant, est née, nous n'avions pas de place pour mettre un lit supplémentaire. Nous la couchâmes dans notre chambre, à Max et à moi. Nous lui avons installé un petit lit, un "youpala", et j'ai dit à Max que lorsqu'elle aurait besoin d'un vrai petit lit, nous n'aurions pas la place pour l'installer. La communauté, qui appréciait pourtant son rabbin, ne se sentait pas concernée par ces problèmes. "Il y a des gens qui sont encore plus mal installés que vous !" (Traduction en alsacien de "fer der rebbe echs güt genum !" ("pour le rabbin, c'est assez bon !"). Alors, même Max a décidé que ça suffisait comme ça. Comme il était adoré par ses élèves, sa publicité était faite auprès des parents, et il a obtenu le poste de Strasbourg, les gens étant arrivés à juger que le rabbin était plus important que l'orgue. Les juifs de Bischheim ne furent pas heureux de cette décision, mais ils n'avaient jamais été scandalisés de la façon dont nous vivions.

Parenthèse : nos enfants

L'aîné de nos enfants, Michel, est né dix mois après notre mariage. Un an après est née l'aînée de mes filles, Judith. Au début tout s'est bien passé, mais après quelques mois, quand Judith a voulu se servir des mêmes jouets que son frère, Michel s'est précipité sur elle avec des ciseaux. Heureusement, j'étais avec eux ! Mais la conclusion a été parfaite : il avait extériorisé sa rage, ou sa jalousie. Il ne recommencera plus. Au contraire, plus âgés, ils furent vraiment proches l'un de l'autre. J'avais l'impression que Judith était très liée à ce frère.
Michel était un enfant très intelligent, très sûr de lui, du moins apparemment, et très dérangeant, aussi bien à l'école qu'à la maison. Michel a fait un bac par correspondance en même temps que des études à la Yeshiva. C'était en 1967. Il n'était pas encore israélien et ne pouvait aller à l'armée. Il est allé travailler dans un kibboutz près du Golan pour remplacer ceux qui étaient mobilisés. Il a passé son bac à Strasbourg, puis il est reparti pour Jérusalem où il fit ses études : philosophie, sciences politiques… et c'est à cette époque qu'il vira, dans son comportement et ses pensées.
C'est aussi à cette époque que naquit notre premier petit-fils Dror, fils de Michel et Françoise. Après la séparation de ses parents (qui sont restés très amis), Dror fut élevé à Paris par sa mère. Celle-ci se remaria et nous sommes restés très liés. Quant à Dror, il fit de brillantes études de physique. Il a fait son service militaire aux États-Unis, service français, dans sa spécialité. Il travaille actuellement à Paris.
Michel se remaria avec une avocate charmante, Léa. Ils eurent deux enfants : Nissan (marié et père de deux enfants) et Talila (qui fait des études de judaïsme). Michel travailla dans son métier de journaliste et en politique, très exigeant envers lui-même, en nous restant très attaché. Il voyage souvent en ce moment et écrit beaucoup, articles et livres. A cause de lui, son père a été l'objet de maintes attaques, le plus souvent d'un très bas niveau, mais aussi à cause de ses opinions personnelles et pas seulement celles de son fils.

Judith a quitté la France en 68, immédiatement après son bac et la révolution de mai 68. Elle a fait des études d'assistante sociale. Elle travaille toujours dans ce métier, mais un travail un peu spécial. Elle épousa, très jeune, Jean Frankforter. L'argent ne manquait pas, mais Jean et Judith n'arrivaient pas à s'entendre. Ils ont, malgré tout, tenu le coup jusqu'à ce que leurs deux enfants, Maya, l'aînée, et Noam, le deuxième, fussent assez mûrs. Jean s'est remarié et Judith vit dans une jolie petite maison, seule, en face de Babette, Daniel R. et Talia.
Maya, l'aînée de Jean et Judith, s'est mariée avec Doron Barachi et ils ont trois enfants adorables : l'aîné, un garçon, s'appelle Or (Lumière), la deuxième est une fille, Sha'har, et la plus petite s'appelle Ziv. Ils sont très mignons et Or est déjà bien intégré dans la famille, en particulier avec ses petits cousins. Nous sommes donc devenus pour la première fois arrière-grands-parents, un deuxième jour de Roch Hashana. Judith, la future grand-mère, a conduit sa fille en voiture à Adassa et, après la naissance, elle est revenue à pied jusqu'à la synagogue. Je la vois encore, rouge, mouillée de transpiration et heureuse.
Judith est une merveilleuse grand-mère. Elle travaille toujours, a beaucoup d'amis, et sa table du vendredi soir est toujours ouverte. Elle est très active dans les mouvements de paix, au sein des "Fille de Paix" (Bath Shalom) et surtout "Les femmes en noir", ces femmes qui manifestent dans la dignité tous les vendredis, contre l'occupation. J'ai toujours été agréablement stupéfaite et heureuse de voir les femmes en noir ne pas daigner répondre aux injures de certains passants, parmi lesquels de nombreux chauffeurs de taxis. Je me demande souvent si nous n'avons pas eu tort de la faire partir immédiatement après son bac. Nous étions un peu loin de la réalité : nous essayions de construire notre étape suivante, l'alyah. De ce fait, nous voulions que nos enfants soient déjà impliqués dans la vie israélienne. Je pense que Judith se sentait rejetée et abandonnée.

Un an après Judith, naquit notre troisième, Daniel-Baroukh comme mon grand-père paternel que je n'avais jamais connu (pas plus que ma grand-mère dont je porte le nom). Daniel a fait sa terminale à l'école orthodoxe et a réussi son bac. Après les résultats, il nous a dit, d'un air innocent : "je voudrais faire des études de Droit". Nous nous sommes regardés, Max et moi, ne sachant que répondre. L'une des raisons était que nous désirions qu'il fasse son alya après ses études et le Droit français est très différent du Droit israélien (mélange de droit anglais, juif, etc.). Mais, du fait qu'il exprimait quelque chose qu'il avait choisi de lui-même, nous avons accepté en nous disant qu'on résoudrait le problème à la fin de ses études. Après avoir obtenu sa maîtrise, il est parti en Israël et, en un an, il a passé - et parfaitement réussi - onze examens israéliens. Puis il a fait ses différents stages et a épousé Aviva. Ils ont deux enfants : Yaniv est étudiant en médecine, et Nathalie vient de terminer son service militaire et voyage, comme tous les jeunes, avant de commencer ses études.

Trois ans de mariage, trois enfants… Pour le quatrième, nous avons attendu deux ans. Quel événement, c'était Évelyne-Esther. Pour chaque accouchement, j'allais à l'hôpital juif, Adassa. Tous mes enfants, même quand nous habitions Bischheim, sont nés à Strasbourg. Évelyne avait un caractère fort et arrivait toujours à ses fins ( en tout bien, tout honneur ! Elle a fait son bac en étudiant à l'école Aquiba jusqu'au bout. Elle est très gentille et aime les enfants. Elle a donc fait ses études de jardinière d'enfants, puis d'enseignante du primaire. Depuis, elle a mené sa vie avec beaucoup d'assurance et de succès, et ce n'a pas toujours été facile.
Lorsqu'elle était encore à Strasbourg, elle y a épousé le frère du futur grand rabbin de France. Ce dernier, Joseph Sitruck, a travaillé comme assistant de Max. Le mari d'Évelyne, Pierre Sitruck (Pierrot), était venu à Strasbourg pour faire ses études universitaires. Ils quittèrent Strasbourg pour Marseille, dont le grand rabbin était alors Joseph Sitruck. Ils attendirent huit ans la naissance de leur premier enfant, une fille, Nehama, née à Ticha be Av ; elle fait actuellement de brillantes études. Puis naquit un fils, David et, quelques années après, une fille, Noemie. La direction de l'école qu'Évelyne a créée se termina mal pour elle, et elle a choisi d'être d'enseignante à l'école juive de Marseille. Elle est restée une merveilleuse enseignante. Elle dirige la bibliothèque juive de Marseille avec beaucoup d'enthousiasme et réussit parfaitement. Il y a quelques années, elle a décidé de se présenter aux élections de son quartier. Elle a été élue, mais son parti n'ayant pas la majorité, elle ne dispose pas de beaucoup de pouvoirs. Le moral reste bon.

Evelyne et Annie
En 1955 naquit Annie-Rebecca, comme ma grand-mère maternelle qui m'avait beaucoup chouchoutée. Annie est née deux ans après Évelyne. Nous habitions donc déjà Strasbourg, quai Kléber, et Michel entrait à l'école. Annie est rentrée à la maison avec des abcès sur la tête. Elle était petite et maigre et, dès sa sortie de l'hôpital, elle a été soignée par le "célèbre" pédiatre Raymond Meyer. Ce médecin connaissait parfaitement son métier, du point de vue médical nous n'avions rien à lui reprocher, mais, malgré sa gentillesse, il avait un caractère souvent difficile à supporter. Nous et les Meyer-Moog étions encore parmi sa rare clientèle. On a toujours eu beaucoup de mal à faire manger Annie, ce qui m'énervait et m'effrayait beaucoup. Elle resta longtemps très petite et maigre, mais en excellente santé. Grâce à Judith et Annie, j'ai gardé pendant longtemps l'angoisse des heures du repas des enfants…
La scolarité se passa sans problème et Annie fit des études de Pharmacie. Elle fit un de ses stages en Israël, ce qui lui facilita son alya après la fin de ses études. Annie avait connu à Strasbourg un jeune étudiant dentiste originaire d'une famille religieuse et profondément alsacienne, Michel Rothé. Ils se marièrent à Strasbourg et s'installèrent à Jérusalem. Annie avait - et a toujours - un poste de pharmacienne à Adassa. Après quelques années de travail provisoire dans sa profession, même en dehors de Jérusalem, Michel ouvrit son cabinet personnel à Jérusalem. Ils ont quatre garçons, Eytan, Gadiel, Yona et Eliel.

En 1958, après trois ans cette fois, j'accouchai pour la sixième fois. Cette date n'était pas prévue, c'était la fin du huitième mois. Nous étions en vacances dans les Vosges. Un Shabath, je me réveille : je perdais les eaux. Nous ne connaissions personne, et Max n'avait pas très envie de prendre son auto, un Shabath, pour me conduire à l'hôpital de Strasbourg. On finit par trouver la sage-femme qui était vieille et n'avait plus fait d'accouchement depuis des années. Cependant, elle finit par accepter de m'accompagner en taxi. J'arrivais ainsi, en bon état, à la clinique Adassa. Personne ne me vit dans l'auto. Le chauffeur me déposa, la sage-femme ne sortit même pas pour m'accompagner. Quand elle fut de retour, Max lui demanda si j'étais bien arrivée et si j'avais bien voyagé, elle répondit : "votre femme a mieux voyagé que moi !". Le docteur Bader arriva immédiatement et mit au monde… une fille, qui n'avait pas le poids normal. On l'envoya en puériculture à l'Hôpital Civil : on nous la rendrait quand elle aurait atteint trois kilos. Tous les jours, son papa lui apportait le lait que je pompais, plusieurs fois par jour. Quand notre pédiatre revint de vacances, il alla voir Ne'hama Elisabeth (dite Babette) et réussit à énerver si bien le personnel de l'hôpital, que nous récupérâmes notre fille plus tôt que prévu, bien qu'elle n'ait pas encore atteint les trois kilos ! Notre pédiatre venait trop souvent et sa présence les gênait beaucoup : " Vous n'avez pas besoin de nous, votre bébé est en de bonnes mains ! " Babette est devenue le plus gros de nos bébés…
Babette était une bonne élève de l'école Aquiba. Elle est entrée dans cette école secondaire après le Gan Chalom et y est restée jusqu'au bac. Elle se fit d'excellentes amies, mais, comme ses frères et sœurs, ne s'attacha pas à l'école. Elle s'inscrivit en fac, fit des études d'histoire et s'intéressa à l'archéologie en particulier. Elle passait ses vacances en Israël et travaillait alors sur des chantiers archéologiques menés par des archéologues français. Quand elle termina ses études universitaires, le travail l'attendait au CNRS, à Jérusalem. Elle y rejoignit sa très bonne amie, Lisou Baer, qui s'occupe du secrétariat. Elle y trouva son américain, Daniel Rohrlich, très religieux et très cultivé, un spécialiste de physique quantique. Sa famille était restée en Amérique, mais lui habitait en Israël. Nous avons été très heureux de cette solution. Ils ont eu une fille, Talia.

à Strasbourg, avec les parents de Mireille
Nous revînmes aux intervalles de deux ans et, en 1960, naquit notre dernier : Joël Pierre. D'après ses frères et sœurs, il aurait été un enfant gâté. Il avait - et il a toujours - onze ans de moins que son frère aîné. Il me faut, à ce propos, évoquer une réflexion de Michel. L'une de ses camarades de classe était devenue grande sœur, également après onze ans. Michel trouva cela drôle et me le raconta en riant. Je lui fis alors la remarque que c'était également le cas chez nous, il avait onze ans de plus que son petit frère. Il me regarda comme si j'avais dit une idiotie et me répondit : "oui, mais chez nous c'est plein, entre !"
Joël fréquenta le Gan Chalom puis l'école Aquiba, tout comme ses frères et sœurs. Il a été d'accord avec nous pour faire ses trois dernières années du secondaire à la Yeshiva de Montreux, sous la direction de la famille Botchko. Le rav Botchko, le maître de Joël, succédait à son père, le fondateur de la Yeshiva. C'était une Yeshiva très ouverte, n'acceptant pas uniquement les super-orthodoxes, et permettait aux élèves de préparer le bac. C'est ce que fit Joël qui a très bien réussi. Quand il eut terminé son secondaire, il demanda à partir pour Israël. Il voulait y faire ses études, comme (futur) ingénieur. C'était un peu le même système qu'à Montreux. Il travaillait sérieusement, sans s'exciter et ne faisait pas de politique. Au bout de trois ans, il passa ses examens et fut reçu comme ingénieur en électro-optique. Il fit, de plus, des examens pour avoir le droit d'enseigner. Cela aussi lui fut utile, surtout qu'entre-temps il avait trouvé une jeune fille qu'il épousa avant d'avoir achevé ses études.
Bijou Hakoun, de son vrai nom Brigitte, venait d’Anvers oùson père travaillait dans les diamants, comme la plupart des juifs de la ville. Bijou faisait ses études à Jérusalem. C'est là qu'ils se marièrent et bâtirent leur foyer. Les parents de Bijou mirent un appartement à leur disposition ce qui facilita leur installation. Joël eut quelques difficultés à trouver un travail car il n'avait pas encore fait son service militaire. On n'aimait pas engager quelqu'un qui allait abandonner son travail dans un temps trop proche. Tout s'est bien passé. Ils ont eu trois garçons - Netanel, Yotam et Aviel -, puis une fille, Noah. Quant à Joël, après plusieurs travaux intéressants, il a quitté sa spécialité, l'électro-optique, pour s'occuper de finances (de qui est-il le fils ???). Il a ramené la banque Rothschild en Israël. Il travaille toujours dans ce domaine… et il a l'air content.

Mes parents ont pu assister à la naissance de tous nos enfants. Après la retraite de Papa, ils ont quitté Paris et sont venus s'installer à Strasbourg, à cinq minutes de chez nous, et sont revenus dans leur synagogue de la rue Kageneck. Ils ont encore vécu quelque temps. Papa est mort à près de 80 ans et maman, à près de 90 ans. Elle a vécu ses derniers mois à Elisa, une maison de retraite. Plusieurs années durant, mes parents habitaient chez nous, quai Kléber. C'est là que papa est mort, chez nous, dans notre chambre à coucher qui était devenu celle de mes parents. C'est assez intéressant de constater le changement, de ma mère en particulier. Tout-à-coup, elle qui ne pouvait rester sans rien faire s'est arrêtée de travailler, et elle est devenue tout à fait dépendante. Quand nous partions voir nos enfants en Israël, je demandais toujours à quelqu'un de la famille de rester avec Papa et Maman. Je m'aperçois qu'à mon âge je commence à ressembler à ma mère. Mais j'ai la chance d'avoir des enfants magnifiques tout près de moi.


Les 7 enfants en 2006 - de g. à dr. : Joël, Babette, Annie, Evelyne, Daniel, Judith, Michel

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