"Celui qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards, ni patience"
Fureur et mystère, René Char
La société est créée peu après le Musée alsacien sous l'égide de l'historien-rabbin Moïse Ginsburger, le 1er janvier 1905 ; Charles Lévy en est le président. La Société , (à l'époque Gesellschaft für die Geschichte der Israeliten in Elsass-Lothringen), est à l'origine localisée à Mulhouse. Son programme prévoit la constitution des archives, la création d'un musée juif, l'inventaire des monuments historiques et des pierres tombales ainsi que la promotion de publications sur l'histoire des Juifs en Alsace et en Lorraine. En 1907, la Société ouvre un département juif dans les locaux du Musée Alsacien de Strasbourg. Un an plus tard, elle dispose au même endroit d'une salle supplémentaire pour y déposer ses archives et sa bibliothèque. Une des raisons de la création de cette Société et de ses activités est d'éviter, selon son secrétaire, Moïse Ginsburger, que les archives et les objets collectés dans les communautés rurales "menacées d'extinction" n'émigrent à Berlin.
Le 12 février 1977, à la suite de Georges Weill démissionnaire, Freddy Raphaël, professeur de sociologie à la Faculté des sciences sociales de l'université de Strasbourg est élu président. Sa tache n'est pas aisée, le nombre de ses adhérents peu nombreux. Il fallait redynamiser cette Société. Et comme me le confie Freddy Raphaël, "nos activités étaient plus simples, nous n'avions pas de colloque et l'on communiquait beaucoup moins." Le premier colloque de la Société s'ouvrira une année plus tard en 1978. Il a lieu chaque année - un exploit- et fera l'objet de publications vingt ans plus tard, en 1997, grâce à l'initiative d'un petit collectif composé de Jean Daltroff, de Norbert Schwab et d'Anny Bloch-Raymond.
Prenant appui sur les travaux de Moise Ginsburger, d'Elie Sheid, de Daniel Stauben, notamment, les recherches de Freddy Raphaël sur l'histoire des juifs n'ont pas cessé durant ces quarante années, le dernier travail en date, la traduction de Yossel de Rosheim, Avocat des juifs introduit et traduit par Freddy Raphaël et notre regrettée Monique Ebstein, en 2008, aux éditions de la Nuée bleue. Déjà en 1977, Freddy Raphaël en collaboration avec Robert Weyl, épigraphe, avaient publié : l'Histoire des Juifs Alsace aux éditions Privat, dans la collection Franco Judaica dirigée alors par l'éminent professeur Bernard Blumenkranz .
Freddy Raphaël avec la ténacité et la conviction qui le caractérisent ne cesse de se battre pour faire reconnaître le patrimoine mémoriel des communautés juives en Alsace, leur place, leur rôle dans la culture de cette région et d'au delà des frontières. Il est accompagné et soutenu dans les années 1980, par le docteur André Marc Haarscher, longtemps Secrétaire général de notre Société, historien du pays de Hanau et de Lichtenberg, de Jean Daltroff, auteur de nombreux ouvrages dont la Synagogue du quai Kléber, actuel secrétaire général et organisateur de notre colloque depuis une quinzaine d'années. Le président d'honneur en était le grand rabbin Warschawski, passionné de l'histoire de l'Alsace rurale et du yiddish-daitch. Parmi les premières personnes qui interviennent dans les colloques de la SHIAL, je songe à Aaron Fraenkel à qui nous devons l'immense travail sur les Contrats de mariage au XVIIIe siècle, à Georges Weill, conservateur général honoraire du patrimoine qui a débuté sa carrière comme archiviste aux Archives départementales du Bas-Rhin , à Françoise Job, historienne de la Lorraine et à notre regretté Pierre Katz, fondateur du Musée des Arts et Traditions populaires de Marmoutier, A cette première équipe s'adjoint aussi le professeur Jacques Schwartz, papyrologue .
Freddy Raphaël, sans aucune aide du Consistoire du Bas-Rhin, parfaitement bilingue, ouvre la Société au monde alémanique, alors qu'au début du XXe siècle, elle avait tout fait pour que ses documents ne soient pas expédiés à Berlin. Cette dynamique se déroule dans le contexte des rencontres ethnologiques franco-allemandes de Tübingen et du développement de la recherche allemande sur le monde juif.
Je pense au travail de déchiffrage et de sauvegarde de la genizah de Bergheim de notre regretté Gunter Boll et des cimetières de Mackenheim et de Jungholtz, à Gert Mentgen, à la découverte de la genizah de Bergheim de Gil Hüttenmeister et à ses études de méthodologie de l'épigraphie de cimetières juifs, au travail sur le monde suisse d'Uri Kaufmann, au classement enfin des archives de la Société par Peter Honigmann ; et à la Maison bleue de la Mémoire du docteur Christiane Waller-Schneller à Vieux Brisach (Bade -Wurtemberg).
Ajoutons aussi les contributions de plus en plus nombreuses de chercheurs et amateurs, passionnés d'histoire, juifs et non-juifs car "personne ne saurait posséder le monopole de l'histoire" souligne Freddy Raphaël. Je songe notamment à la merveilleuse découverte de la synagogue à Traënheim du pasteur Bernard Keller et aux travaux de l'historien, inspecteur d'académie, Dominique Lerch sur les colporteurs juifs, l'usure et l'imagerie de Wissembourg, notamment.
En effet, la Société n'est pas repliée sur elle-même : 40 % des membres de la Société vivent hors d'Alsace…
Freddy a aussi su renouveler son bureau en accueillant notre tout nouveau président, Jean Camille Bloch, ancien vice- président de Genami et auteur du livre Juifs des Vosges, 1940-1944, 1200 martyrs oubliés, Michèle Jablon, historienne, membre du Consistoire du Bas-Rhin, Norbert Schwab, trésorier, responsable du KKL, Laurent Fassin, et plus récemment Claire Decomps, conservatrice du patrimoine au Service régional de l'Inventaire de Lorraine, Jean Pierre Lambert, responsable des journées du patrimoine pour l'Alsace, Jean Pierre Schilli, Francoise Weill Kuflik et Alain Kahn, engagé dans le patrimoine de Sarre Union et de Saverne.
Je ferai mention du précieux catalogage de près de 350 objets de la collection de la SHIAL déposée au Musée alsacien effectué par Malou Schneider et des membres de la SHIAL : "Mémoires du judaïsme en Alsace : les collections du musée alsacien", et enfin, dernière réalisation de la SHIAL : le recensement, de photographies, de traduction et d'analyse des stèles du cimetière de Wintzenheim auquel tout un collectif a participé.
Ce travail opiniâtre n'aurait pu s'accomplir sans l'engagement total de Freddy Raphaël, sans sa rigueur et son exigence scientifique. Le but poursuivi durant ces années selon ses propres termes a été : "d'approcher l'histoire du judaïsme non pas pour célébrer un monde perdu mais d'appréhender cette histoire dans sa complexité à la fois dans ses lumières et dans ses zones d'ombre".
J'ajouterai qu'il a accompli cet œuvre comme un veilleur qui sonne l'alarme quand une société fragmentée parvient difficilement à surmonter les obstacles du vivre ensemble.
Il rejoint ainsi la figure de René Char : "Un poète, doit laisser des traces de son passage et non des preuves".
Merci à Freddy Raphaël de nous avoir laissé de nombreuses traces. Il peut être assuré de notre engagement à les suivre toujours en sa présence, fidèlement et infidèlement.