Le Bulletin de nos Communautés, témoin et instrument de la reconstruction de la communauté
juive d’Alsace-Lorraine dans l’immédiat après-guerre (suite et fin)


C. La réorganisation religieuse et administrative

La reconstruction de ces communautés devait s’effectuer, en plus de la réfection des synagogues et des cimetières, par une réorganisation religieuse et administrative. Bien évidemment, se dressaient devant eux de nombreux problèmes. Le corps rabbinique, au même titre que le reste des Juifs d’Alsace-Lorraine, n’a pas été épargné par ces années de tourmente. À titre d’exemple, dans le Haut-Rhin, huit rabbins exerçaient leur ministère avant-guerre. Au sortir de cette dernière, ils ne sont plus que trois, rendant ainsi difficile la renaissance d’une vie juive, particulièrement pour les plus petites communautés. Dès lors, il fallait préparer des jeunes à exercer les fonctions de ceux qui n’étaient pas revenus, afin de rétablir la vitalité perdue des différentes communautés d’Alsace-Lorraine. Toutefois, la durée de formation de
ces jeunes devant s’accomplir sur plusieurs années, la situation devait être encore délicate pour quelque temps (99).

Bien que Joseph Bloch, avant-guerre rabbin de Barr, soit arrivé  dès le début de l’année 1946 à Haguenau (100) et que la communauté de Sélestat qui se trouvait, depuis la libération, sans rabbin et sans ministre officiant ait accueilli, le rabbin Edmond Weil pour y exercer son ministère, ainsi que l’ancien ministre officiant de Brumath, Henri Weil, au courant de l’année 1946 (101), les rabbins étaient encore trop peu nombreux, amenant le Consistoire à procéder, à l’automne 1946, à une répartition de ces derniers dans les diverses communautés du Bas-Rhin (102).

Les rabbins ainsi répartis devaient, en raison de leur nombre restreint dans le département, s’occuper de ressorts rabbiniques deux fois supérieurs à ceux d’avant-guerre. Effectivement, le rabbinat de Strasbourg voit s’adjoindre les communautés de Bischheim, Hoenheim, Lingolsheim, Schiltigheim et Wolfisheim. Quant au reste des communautés, les ministères sont assurés par seulement cinq rabbins. Dès lors, Armand Bloch, rabbin de Saverne, devait, en plus de cette dernière, s’occuper de treize communautés. Le rabbin de Haguenau, Joseph Bloch, avait, dont celle-ci, vingt-et-une communautés qui relevaient de son ressort. Ernest Gugenheim, rabbin de Bouxwiller, exerçait, en plus de cette dernière, son ministère dans treize communautés. Le rabbin d’Erstein, Edmond Weil, assurait, en comptant cette dernière, son rabbinat dans quatorze communautés dont celle de Sélestat. Enfin, Emile Schwartz, rabbin de Obernai, s’occupait, en plus de cette dernière, de onze autres communautés (103). Bien que certaines lieux aient  nécessité, pour les rabbins, moins de travail que d’autres du fait de leur taille, le labeur qui leur incombait n’en n’était pas moins immense, à l’image du nombre des communautés dans lesquels leur rabbinat devait être exercé.

Malgré le manque de rabbins, des offices sont, dès la fin de la guerre, tenus par les différentes communautés d’Alsace-Lorraine. Effectivement, le Bulletin  nous apprend que celle de Strasbourg avait obtenu, des anciens dirigeants de la synagogue rue Kageneck, l’autorisation de s'en servir pour leurs offices (104). Ces derniers étaient célébrés par le futur grand rabbin de Strasbourg, Abraham Deutsch (105). Dès mars 1946, se tient un nouvel office du vendredi soir ainsi que du samedi soir dans la grande salle de l’École de Travail Israélite, rue Sellénick (106). Rapidement, les offices fonctionnent régulièrement dans d’autres communautés comme Mulhouse, Colmar (107) et Metz (108). Celle de Schirmeck-Labroque ainsi que celle de Wolfisheim purent aussi, grâce à la rapide remise en état de leur temple, reprendre une tenue régulière de leurs offices. Si bien que la communauté de Wolfisheim put accueillir celle d'Oberschaeffolsheim à la célébration de leurs offices (109). Au contraire, la communauté de Bischwiller dut se réunir dans un local prêté à cet effet par Mme Vve Edmond Hirsch (110), la synagogue étant complètement détruite,. D'autre part, un premier office avait pu être célébré dans la synagogue provisoirement restaurée de Haguenau à l’automne 1946 (111). Bien évidemment, apparaissent au fur et à mesure des bulletins, de nombreuses autres communautés reprenant la tenue d’offices religieux, qu'elle soit régulière ou non, mais toujours dans les difficiles conditions d’après-guerre, avant de pouvoir les célébrer dans leurs temples restaurés.

De plus, la réorganisation des consistoires ainsi que des commissions administratives devait, elle aussi, permettre la reconstruction religieuse et administrative des communautés. Dès son retour à Strasbourg en juin 1945, Edouard Bing était le seul membre déjà revenu de la commission administrative. Ainsi, il fut chargé par le Consistoire de l’administration provisoire de la communauté (112). Néanmoins, les élections pour le renouvellement complet du Consistoire Israélite du Bas-Rhin et de la Commission Administrative de Strasbourg n’allaient pas tarder, devant se dérouler en même temps le 24 mars 1946 (113). Les élections consistoriales ayant nécessité un second tour s’étaient terminées le 7 avril 1946 (114). Quant au Consistoire de Moselle, les élections se tinrent le 26 mai 1946 (115) et celles du Comité de la Communauté Israélite de Metz le 7 juillet 1946 (116). Dès lors, pour la première fois depuis 1915, une première réunion inter-consistoriale s’était tenue avec les trois Consistoires d’Alsace-Moselle, le 16 novembre 1947, afin de discuter de la reconstruction matérielle et morale (117).

Enfin, les nominations d'Abraham Deutsch, le 24 avril 1947, au poste de grand rabbin du Bas-Rhin (118) et celle de Simon Fuks pour le Haut-Rhin, le 12 octobre 1947 (119), devaient assurer la reconstruction du judaïsme alsacien. En effet, les fonctions de grand rabbin étaient assurées depuis 1945 par Abraham Deutsch, du fait de la disparition en déportation de l’ancien grand rabbin du Bas-Rhin, René Hirschler. Abraham Deutsch avait déjà beaucoup contribué à la renaissance de la communauté en assurant, entre autres, la tenue régulière d’offices religieux à la synagogue de la rue Kageneck, en créant le Bulletin  de nos Communautés et en ouvrant la Maison d’Enfants de Déportés.

Ainsi, le Bulletin  rend compte de la vitesse à laquelle les différentes communautés d’Alsace-Lorraine ont remis en place- en plus de la réorganisation du corps rabbinique ainsi que la reprise régulière des offices religieux  - les institutions nécessaires à leur renaissance. Toutefois, d’autres institutions, dont le bimensuel ne manque pas de faire la promotion, constituaient elle aussi, l’avenir du judaïsme d’Alsace et de Lorraine.


III. …ET SE TOURNER VERS L’ AVENIR

A. L’accueil de la jeunesse

La jeunesse juive constituant logiquement l’avenir du judaïsme alsacien et lorrain, leur accueil était, pour les différentes communautés, et ce, dès la fin des hostilités, une priorité. En effet, le Bulletin  indique qu’en 1945, lors du retour en Alsace, aucune maison d’accueil pour les enfants de déportés ne fonctionnait. Le Grand Rabbin Deutsch ouvrit alors la Maison d’Enfants de Déportés de Strasbourg (120), au 42 avenue de la Forêt-Noire (121). Cette institution, qui ne vivait que de donations, avait pour but de redonner un cadre de vie décent, en offrant aux enfants à qui la guerre avait tout pris, tout le réconfort et le soutien dont ils avaient tant besoin. L’éducation religieuse y tenait une place toute particulière (122) et les enfants devaient poursuivre leur étude dans les différents établissements de la ville ou apprendre un métier à l’Organisation Reconstruction Travail (ORT). qui devait, sous peu, ouvrir ses portes (123). Elle accueillera en 1949 une trentaine de garçons et de filles, pour la plupart, des enfants de familles déportées, mais aussi d’autres pensionnaires, admis exceptionnellement (124), lorsque la place le permettait.

D’autres institutions sociales fonctionnant avant-guerre furent rouvertes malgré les difficultés d’après-guerre. Le Home Israélite de Jeunes Filles, au 11 rue Sellénick à Strasbourg qui, pendant le conflit, était devenu le siège de la Gestapo, avait été totalement réaménagé pour accueillir les services de cette dernière. Ainsi, lorsque les clés de l’immeuble furent rendues fin février 1946 à la fondatrice et présidente de l’Œuvre, Mademoiselle Laure Weil ne put que constater l’ampleur des dégâts. Effectivement, de nombreux travaux étaient nécessaires afin d’abattre les nombreuses cloisons des bureaux ainsi que les murs des cellules pour y réinstaller chambres individuelles et dortoirs, réfectoires, cuisines et salles de bains sans oublier les nombreux services techniques permettant leur fonctionnement (125). Grâce au soutien de leur amis américains (126) - à savoir la Société Israélite Française de New-York et le War Relief fréquemment sollicités par le rabbin Langer de Paris vivant à New York (127) - à la vente de charité au profit du Home et de l’Orphelinat Israélite de jeunes filles du 7 juillet 1946 (128), sans oublier les nombreux dons, un premier fond avait été constitué pour les remettre en état (129), permettant la réouverture du Home le 3 novembre 1946 (130).

De fait, cinquante-cinq jeunes filles avaient pu, dès novembre 1946, bénéficier de l’hospitalité du Home bien que les travaux n’aient pas encore été achevés. Parmi ces dernières, quinze jeunes filles avaient perdu leurs parents dans les camps et dix venaient de familles indigentes. Tout comme pour les enfants de la Maison du 42 avenue de la Forêt-Noire, le but était pour ceux du Home de pouvoir retrouver un cadre de vie digne. En plus d’y trouver une protection affectueuse, les jeunes filles étaient encadrées de près, une attention particulière étant prêtée à leur santé physique et morale. Aussi, les plus âgées d’entre elles pouvaient poursuivre leur apprentissage ou leurs études dans les divers établissements de la ville, les plus jeunes étaient, après une observation attentive, orientées dans le choix d’une formation. À l’instar de la Maison d’Enfants de Déportés, la reprise d’une éducation juive, de laquelle elles ont été privées durant les années de guerre, était au centre des préoccupations du Home. Enfin, les travaux de reconstruction étant, à l’octobre 1947, assez avancés, permirent au Home de porter sa capacité d’accueil à quatre-vingt-dix lits, suscitant de facto auprès de nombreuses filles de déportés ou venant de familles les plus nécessiteuses, leurs sollicitations afin d’y être admises (130).

Toutefois, dans son rapport sur la communauté de Haguenau, le Bulletin nous apprend qu’a contrario des deux institutions ci-dessus, l’Orphelinat Israélite de Garçons, qui pendant la guerre avait été transformé en bureaux par les Allemands, était toujours occupé par des services administratifs au printemps 1946 empêchant de fait sa réouverture (132) .
Néanmoins, dans une notice relayée par le Bulletin  à l’automne 1946, Joseph Bloch, vice-président de l’Orphelinat Israélite de Haguenau, indique que la maison leur avait été rendue puisqu'elle hébergeait depuis quelque temps vingt-cinq enfants, filles et garçons afin que les frères et sœurs ne soient pas séparés (133). L’inauguration officielle eut lieu le 11 juillet 1948. À présent maison des "Cigognes", elle regroupait cinquante enfants, garçons et filles, dont la plupart avait perdu leurs parents en déportation. Les enfants pouvaient y recommencer une nouvelle vie sous la bienveillance du directeur Nathan Samuel ainsi que celle de sa femme, qui s’efforçaient de remplacer pour tous ces enfants, leurs parents disparus durant la guerre. L’éducation religieuse constituait pour ces enfants, comme pour ceux du Home et de la Maison d’Enfants de Déportés, le fondement de leur nouveau cadre de vie. Éducation dont la qualité fut soulignée, lors de l’inauguration solennelle, par le Grand Rabbin Abraham Deutsch (134).

Le Conseil d’administration, présidé par M. Roos, s’était adressé à l’OSE afin que par leur collaboration, ils puissent redonner à ces enfants un foyer (135). En effet, un accord à caractère financier et pédagogique, qui permit aux enfants de bénéficier d’une éducation des plus moderne (136), fut conclu en août 1946 donnant un nouvel essor à cette institution (137). De plus, le Bulletin  rapporte que l’orphelinat procédait, suivant la coutume d’avant-guerre, à des collectes au sein de leurs coreligionnaires à l’instar de celle du printemps 1947 qui rapporta 391.644 francs (138) ou encore la quête annuelle de Pourim 1948 qui leur rapporta 724.405 francs (139).

Toutefois, l’Orphelinat Israélite de Jeunes Filles de Strasbourg, qui avait été libéré et dont les travaux avaient commencés en même temps que le Home (140), n’ouvrit ses portes  que bien plus tardivement. En effet, il renaît sous le nom "Les Violettes" le 5 septembre 1949. Afin de remplacer "le Nid", œuvre de la première enfance, la maison du 23 rue Sellénick prit la décision d’accueillir aussi les petites filles et petits garçons dès l’âge de 3 ans (141). Dès lors, le Bulletin  rend une fois de plus compte de la vitesse à laquelle ces institutions ont été remises en place afin d’offrir à une jeunesse éprouvée par les années de guerre de nouvelles perspectives d’avenir beaucoup moins sombres. Mais c'est  l'instruction professionnelle et religieuse qui constituent  l’avenir de toute la communauté.

B. L’encadrement de la jeunesse : entre formation professionnelle et instruction religieuse

La formation de la jeunesse constituait naturellement un des gros chantiers de la reconstruction d’après-guerre. Il s’agissait de combler le retard qui s’était accumulé et d’assurer l’avenir de cette jeunesse en lui transmettant, à travers une formation professionnelle solide, des savoir-faire qui pourraient être mis à profit de toute la communauté. Dès lors, le Bulletin  nous apprend que, dès le printemps 1946, les dirigeants de l’École du Travail Israélite de Strasbourg mirent, par un accord conclu avec l’ORT, leur immeuble à la disposition de cette organisation, seule à pouvoir le remettre en état après les dégâts causés par la Gestapo (142). Cet accord devait permettre l’ouverture d’une école comportant de nombreux ateliers, mais aussi un internat ainsi que des salles d’études afin de donner une formation professionnelle à la jeunesse juive d’Alsace-Lorraine (143).

Effectivement, la nouvelle école ORT allait accueillir grâce à son internat, des jeunes de part et d’autre d’Alsace ainsi que des enfants dont les parents avaient été déportés afin de les former dans leurs ateliers d’électro-mécanique, de radio-technique, d’ajustage, d’ajustage spécialisé, de soudure autogène, de couture et de coupe (144).
Elle avait été inaugurée, en même temps que le Home le 3 novembre 1946 (145), ainsi que le 4 mai 1947 par le ;inistre de l’Éducation Nationale, Marcel-Edmond Naegelen. Un article publié à l’occasion de cette inauguration solennelle précise que l’école, située au 14 rue Sellénick, accueillait alors trente-sept internes, dont une dizaine d’enfants que les horreurs de la guerre avaient rendues orphelins ainsi qu’une cinquantaine d’enfants polonais, alors en transit en France, qui suivaient des cours accélérés (146). Les cours professionnels de l’ORT qui avaient été, avant l’inauguration solennelle, reconnus officiellement par le Gouvernement français (147) devaient permettre la formation d’ouvriers qualifiés en électromécanique et radio­technique en l’espace de trois ans. De plus, une douzaine de jeunes filles y suivaient des cours de coupe et de couture (147).
L’ORT, qui à l’automne 1947, assurait la formation professionnelle de quatre-vingt-dix jeunes, s’était agrandie en accueillant l’École des filles dans un immeuble au 3 rue des Pontonniers qui comprenait trois ateliers, deux salles de classe, un salon d’essayage, un petit jardin et des locaux de dégagements. Aussi, depuis son inauguration officielle, l’école comprenait un atelier intégralement destiné aux monteurs électriciens et la salle de radio était en passe d’être achevée. Enfin, si le nombre d’élèves le permettrait, la création d’un cours d’horloger et d’un atelier de corsetière était envisagée (149), devant assurer une instruction professionnelle de la jeunesse juive alsacienne encore plus diversifiée.

En plus de la formation professionnelle qui était assurée par l’ORT, la reprise d’une instruction profane et religieuse étaient une nécessité. Ainsi, très vite, les différentes communautés d’Alsace-Lorraine s’organisèrent afin d’assurer l’enseignement religieux de la jeunesse. En effet, comme le mentionne le Bulletin, les cours d’enseignement religieux avaient repris à Haguenau, dès la rentrée des classes d’octobre 1945. Ils avaient lieu le dimanche ainsi que le jeudi et étaient organisés par le Dr Franck avec le concours de Madeleine Loeb et Huguette Lemmel (150). Les huit à dix jeunes de la communauté mosellane de Fénétrange purent, grâce au ministre officiant Siegmund Friedemann, assister à leurs premières classes d’instruction religieuse qui s’étaient tenues à Sarrebourg durant l’été 1946 (151). Aussi, dans un article sur la communauté de Mulhouse, le Bulletin  nous apprend qu’au terme de l’année scolaire 1946, beaucoup de jeunes savaient lire correctement l’hébreu et que les plus âgés avaient fait d’importants progrès dans la traduction de prières (152)
.
À Strasbourg, l’École Israélite avait trouvé refuge dans les locaux de l’école Saint­Thomas (153). Au courant de l’année 1946, l’inspection académique du Bas-Rhin décida de transférer les élèves juifs de Saint-Thomas et de Saint-Louis - qui était l’école de filles - dans un petit immeuble au 7 rue des Glacières. Lorsque que l’école Aquiba ouvrit ses portes en 1948, la majorité des élèves quittèrent l’école de la rue des Glacières au profit de l’établissement créé par le grand rabbin Abraham Deutsch (154).

Petit à petit, d’autres institutions accueillirent la jeunesse strasbourgeoise. Parmi ces dernières, le Talmud-Torah avait- tout comme celui de Metz au début de l’année 1946 (155) - rouvert ses portes, au 29 rue Oberlin, pour la rentrée d’octobre 1946 (156). Lors de la rentrée d’octobre 1947, l’établissement avait rouvert avec un corps enseignant qui s’était étoffé et à la recherche d’un local plus grand que celui de la rue Oberlin (157). Aussi, le Bulletin  mentionne qu’à partir du 15 octobre 1947 fonctionnait, sous la direction du Consistoire Israélite du Bas- Rhin, une École de 'hazanim afin de former les nouveaux ministre officiants. Les candidats devaient avoir seize ans minimum, étaient internes et recevaient une instruction religieuse ainsi que profane solide grâce au concours de maîtres de liturgie notables (158).

Néanmoins, l’école Aquiba fut sans conteste l’institution la plus marquante de l’instruction religieuse d’après-guerre.
Établissement primaire et secondaire, l’École Aquiba - sous la direction de Benno Gross- fut fondée en 1948 par le grand rabbin Abraham Deutsch. Elle offrait, en plus d’un enseignement strictement conforme aux programmes officiels, huit heures d’instruction religieuse à savoir l’enseignement de l’hébreu, de la Bible, du Talmud, de l’histoire et de la littérature juives. Disposant d’un internat, elle comptait, à la rentrée d’octobre 1948, trente élèves. L’année suivante l’effectif avait plus que doublé. En plus de regrouper toutes les classes de la 9e à la première une annexe, qui comptait à elle seule une cinquantaine d’élèves, fonctionnait pour les classes élémentaires de 11e et 10e tout en ayant un jardin d’enfants. En dispensant une éducation religieuse, l’École Aquiba avait pour but de permettre aux enfants de vivre une vie juive intégrale et de former les futurs cadres dont la communauté avait tant besoin (159).

Enfin, l’encadrement et l’instruction religieuse des jeunes devaient se poursuivre dans les différents mouvements de jeunesse d’Alsace-Lorraine. Le Bulletin  nous apprend qu’à l’été 1946, des camps de vacances furent organisés par le Mouvement Yechouroun (160) ou encore que la Jeunesse Juive Thionvilloise avait reprit ses activités dès l’hiver 1946. Les cercles d’études reprirent et des fêtes furent à nouveau organisées à l’occasion de Hanoucca ou encore de Pourim (161). Le Bulletin  ne manquait pas de faire figurer dans ses colonnes le programme d’activités des différents mouvements de jeunesse et de rendre compte du déroulement de ces dernières afin d’attirer de nouveaux jeunes dans ces organisations. Ainsi, petit à petit les nombreux mouvements de jeunesse, comme les Éclaireurs Israélites de France ou les Jeunesses Juives des différentes communautés, reprirent leurs activités d’avant-guerre. Leur but étant de transmettre aux jeunes les valeurs morales et spirituelles du judaïsme en les rassemblant à l’occasion de cercles d’études, de cycles d’exposés, de camps de vacances, d’évènements sportifs, de bal privés lors de fêtes religieuses et de nombreuses autres activités.

Le Centre du Merkaz de Strasbourg qui regroupait à lui seul toutes les organisations de jeunesse de la ville rouvrit les portes de sa bibliothèque et de sa salle de lecture au printemps 1946 (162). Dès lors, ce Centre ainsi que les nombreux autres foyers et maisons de jeunesse mettaient à disposition de cette dernière une imposante documentation et des salles d’études afin que se forment les futurs cadres de la communauté.

C. Vers une lente reconstruction

De nombreuses choses avaient déjà été accomplies, mais les différentes communautés d’Alsace-Lorraine, dont les blessures commençaient à peine à être pansées devaient encore faire face à l’hostilité de certains de leurs compatriotes. En effet, dès la fin de la guerre, un communiqué du Bulletin  nous apprend qu’un tract antisémite circulait dans les campagnes d’Alsace afin d’inciter les Français à "en finir une fois pour toutes" avec les Juifs (163). D’autres tracts antisémites avaient été distribués notamment dans la commune de Thionville à l’automne 1950. Une association locale d’obédience politique de droite avait été immédiatement soupçonnée par les milieux juifs (164). À cela, s’ajoute, la profanation de plusieurs cimetières juifs. Ainsi, au printemps 1950, le cimetière de Brumath avait été vandalisé pour la troisième fois depuis la fin de la guerre (165). Il avait été profané une première fois au printemps 1946 (166). Le cimetière de Thann avait lui aussi été l’objet d’actes de vandalisme de ce genre à l’été 1946 (167) et au printemps 1948 où toutes les tombes restantes furent renversées (168). Bien d’autres, avaient été profanés à l’instar des cimetières strasbourgeois Ets-Haïm, dans la nuit du 15 septembre 1949 (169), et Adath-Israël au mois de mai 1950 (170). À cette liste déjà longue, s’ajoute celui de Bischheim où, au printemps 1950, huit pierres tombales avaient été renversées et des plaques de marbres pulvérisées (171).

Ces actes, relayés et fustigés par le Bulletin, témoignent de l’animosité qu’éprouvait une part de la population française à l’égard de ses compatriotes juifs. Animosité, déjà présente avant la guerre, mais sans aucun doute exacerbée par les quatre années d’Occupation. La jeunesse en avait été d’autant plus marquée, car l’éducation nazie avait fait de véritables ravages auprès d’elle, laissant ses traces à jamais. Effectivement, même après la fin de la guerre, des jeunes se mirent à profaner les cimetières juifs l’instar de celui de Thann ainsi que ceux de Bischheim et de Adath-Israël respectivement profanés par des enfants âgés de onze à douze ans (172) et de douze à treize ans (173). Ces actions mentionnées par le Bulletin,  rappelant les tourmentes de la guerre, avaient considérablement marqué les esprits et avaient rendu la reconstruction, sans toutefois l’en empêcher, encore plus difficile. Bien plus, ces agissements traduisaient l’état d’esprit de certains de leurs compatriotes dont ils allaient encore subir les sévices longtemps après la fin de la guerre.

Malgré cela, la vie reprenait doucement son cours. En effet, la longue liste des membres déportés des communautés d’Alsace-Lorraine qui avait été publiée la première fois dans le premier Bulletin  de janvier 1946, s’était terminée dans le deuxième Bulletin  de l’année 1948 (174), laissant la place aux listes de naissances, bar-mitsvoth, fiançailles, mariages et décès, symboles de la reprise d’une vie "ordinaire" ainsi que de la renaissance d’une communauté. Peu à peu les noms des victimes de la barbarie nazie furent gravés dans des plaques commémoratives à l’instar de celle de Sarrebourg inaugurée à l’été 1947 en l’honneur des soixante-treize déportés de la communauté (175) ou encore celle de Thann inaugurée le 11 novembre 1949 en souvenir de ses dix-huit victimes et martyrs (176). De nombreux autres monuments à la mémoire des déportés sont inaugurés comme celui de Westhoffen le 19 août 1948 (177), celui de Colmar en septembre 1948 où figurent les noms de cent-trente-quatre victimes du nazisme (178) ainsi que celui de Haguenau le 26 septembre 1948 (179) sans oublier le monument aux morts israélites de la guerre de Metz, inauguré le 18 septembre 1949, en l’honneur des mille-cinq-cent tombés ou disparus (180) et celui de Mulhouse, inauguré le 4 juin 1950 en mémoire des trois cents juifs de la communauté ayant disparus durant la guerre (181). Ces derniers ne sont qu’un aperçu de tous ceux mentionnés par le Bulletin , mais témoignent de la volonté qu’avaient les Juifs d’Alsace-Lorraine, de reconstruire une vie sur les ruines du passé sans que jamais personne n’oublie la catastrophe qu'ils avaient endurée.

Cette lente reconstruction avait déjà commencé avec la remise en état de quelques synagogues. Néanmoins, certaines communautés avaient, à cause de l’importance des dégâts, mis plus de temps que d’autres à rénover leurs temples. Dès lors, la synagogue de Mulhouse qui avait été très sérieusement endommagée ne rouvrit ses portes que le 19 mars 1950. Cet évènement fut l’objet d’une célébration à la signification double. En effet, l’office fut non seulement célébré pour la ré-inauguration du temple, mais aussi à l’occasion du centenaire de ce dernier (182). Quant à  la synagogue de Saverne, bien que les travaux de réfection eurent été menés en moins de cinq mois par l’architecte Edmond Picard, qui rendit à l’édifice sa splendeur d’antan, elle ne fut inaugurée qu’au début du mois de septembre 1950 (183).

Pour certaines communautés, cette reconstruction allait être encore plus lente. En effet, la construction d’un temple définitif étant pour quelques-unes d’entre elles dans un avenir lointain, les prières des fidèles allaient être alors accueillies dans des synagogues provisoires. En effet, le 18 mars 1948 était inauguré le temple provisoire de Wissembourg (184) ou encore celui de Strasbourg, inauguré le 19 mars 1950 (185). Le temple avait été aménagé dans la cour intérieure de l’ancien couvent Sainte-Claire, place Broglie, par les architectes Edmond Picard et Lucien Cromback - président du Consistoire Israélite du Bas-Rhin (186). De plus, ce n’est qu’en 1950, après des pourparlers engagés depuis 1947 avec la Mairie de Strasbourg, que la communauté israélite obtenait enfin le terrain de la future grande synagogue de Strasbourg. Effectivement, lors de la séance du Conseil municipal, il avait été convenu que la Ville de Strasbourg remettrait à la Communauté israélite, en échange du terrain de l’ancienne synagogue du quai Kléber d’une surface de quarante-trois ares, un terrain d’une surface égale situé au Contades en bordure de l’avenue de la Paix (187). Ainsi, une étape marquante de la reconstruction d’après-guerre avait été franchie, mais de nombreuses autres devaient encore l’être, avant l’inauguration de la grande Synagogue de la Paix, le 22 mars 1958 (188).

Conclusion

Le Bulletin  s’est donc avéré être un réel témoin et instrument de la reconstruction de la communauté juive d’Alsace-Lorraine pour les années d’après-guerre, ses seuls buts étant de l’unir et de la voir renaître. Ainsi, le Bulletin  participa à la réorganisation d’immédiat après- guerre en plusieurs points. En effet, à leur retour, les différentes communautés étaient désemparées, conscient de cela le Bulletin  allait leur donner de nouveaux repères. Les lecteurs pouvaient trouver dans les colonnes de ce journal des informations de première nécessité sur la reprise d’une vie juive. Effectivement, les horaires et les nouveaux lieux de cultes, notamment pour la communauté strasbourgeoise qui s’était réfugiée dans le petit temple de la rue Kageneck ainsi que dans la grande salle du Palais des fêtes rue Séllénick, étaient mentionnés par le Bulletin. De plus, les lecteurs étaient aussi informés de la réouverture du bain rituel qui constituait avec la synagogue, un des lieux centraux de la vie communautaire juive.

Le Bulletin incitait également les différentes communautés à participer à cette reconstruction en faisant de ces dernières, les principales actrices de cette renaissance. Très vite, Abraham Deutsch et Nephtali Grunewald comprirent cela et tentèrent - avec succès - à travers ce journal, de mobiliser les communautés à l’occasion d’événements qui allaient marquer cette reconstruction. En effet, celle de Strasbourg était appelée à aller aux urnes pour les élections du Consistoire du Bas-Rhin et de la Commission administrative israélite de la ville, le Bulletin  soulignant l’importance d’assurer, pour redonner aux communautés leur vitalité d’antan, un fonctionnement correct de ces institutions. Évidemment, était aussi mentionnée par le journal, la réorganisation des consistoires du Haut-Rhin et de Moselle ainsi que de leurs Commissions administratives, afin d’informer les lecteurs de l’avancement de la reconstruction dans toutes les communautés d’Alsace-Lorraine.

Rapidement, le Bulletin  prit aussi conscience de l’importance de présenter à ses lecteurs, les actions d’œuvres sociales comme le Home Israélite de Jeunes Filles et l’orphelinat les "Violettes" de Strasbourg. Ces organisations étant nécessaires pour l’accueil des jeunes dont les parents étaient morts en déportation, le bimensuel, endossant encore une fois son rôle d’acteur de la reconstruction, faisait la promotion de ventes de charité qui étaient organisées au profit de ces dernières afin de réunir le plus grand nombre de personnes. Ainsi, ces évènements étaient l’occasion pour la communauté de se retrouver et de constater l’importance de ces institutions par le travail qui y était fait tout en participant à leur bon fonctionnement. Aussi, le Bulletin  n’a jamais cessé de relayer les nombreux appels aux dons des différentes communautés d’Alsace-Lorraine pour la réfection de leurs synagogues et de leurs cimetières. Les donations ne manquaient pas de figurer dans le journal montrant ainsi aux lecteurs, la générosité de leurs coreligionnaires, tout en suscitant auprès de chacun d’eux un sentiment d’unité.

Bien évidemment, le Bulletin  faisait également la promotion régulière de l’ORT quant à l’avancement des travaux, à son agrandissement et aux formations dispensées. Le journal assurait aussi à ses lecteurs que cette école serait le centre de la formation professionnelle d’Alsace-Lorraine grâce à ses cours relevant de la dernière modernité. Bien plus, il incitait les parents à y inscrire leurs enfants leur assurant d’un bon accueil et d’un hébergement ainsi que d’une formation professionnelle solide, le Bulletin  insistant sur le fait qu’il était de leur devoir de redonner un avenir à cette jeunesse. Davantage, le bimensuel encourageait l’instruction religieuse à travers la promotion du Talmud-Torah et de l’école Aquiba. Cette dernière avait été mise en avant dans les colonnes du Bulletin  notamment du fait de la renommée de ses professeurs, mais également de l’amplitude de l’enseignement proposé allant du jardin d’enfants à la première tout en offrant la possibilité d’intégrer un internat qui se révélait indispensable à l’hébergement de jeunes venant de part et d’autre d’Alsace-Lorraine. De plus, le Bulletin  ne manquait pas de mettre en avant les programmes d’activités des différents mouvements de jeunesse ainsi que du déroulement de ces dernières afin de susciter auprès des jeunes, l’envie d’intégrer ces organisations.
 
Enfin, ce journal rendait compte du quotidien de l’ensemble des communautés d’Alsace-Lorraine en renseignant ses lecteurs sur la situation de leurs coreligionnaires ainsi que sur les nombreuses difficultés auxquelles ils faisaient face. Plus encore, le bimensuel n’a jamais cessé de montrer comment les communautés affrontaient ces difficultés, comment elles avaient surmonté les premières et comment elles allaient surmonter les suivantes.

Bibliographie

Sources

Ouvrages spécialisés

Sitographie

Remerciements

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